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Critique de film
Le film
Affiche du film

Flics en jeans

(Squadra antiscippo)

L'histoire

A Rome, le Maréchal Nico Giraldi fait sur sa moto la chasse aux voleurs à la tire. Flic atypique, débraillé et mal rasé, il tente de remonter aux receleurs qui sont à l'origine de la délinquance. Un jour une mallette d'argent sale est dérobée à un gangster Américain et déclenche une vague de meurtre chez les voyous de la rue. Nico se charge de l'affaire et va tenter de s'attaquer à ce gangster protégé par son ambassade.

Analyse et critique

Les premières images de Flics en jeans en donnent immédiatement le ton plutôt décalé : dans les rues de Rome, un homme baisse son pantalon et fait mine de faire ses besoins dans la pelouse devant un groupe de touristes médusés, pendant que ses complices volent les bagages de ces derniers. La comédie vient d’entrer de plein pied dans le polar italien. Comme pour le western italien quelques années plus tôt, ce choc signe à la fois la revitalisation du genre et le début de sa fin. Le cinéaste et scénariste Bruno Corbucci a déjà une longue carrière derrière lui en 1976, et s’est déjà particulièrement illustré dans le registre comique, en écrivant plusieurs films interprétés par Totò, puis en mettant en scène de grosses comédies populaires. C’est cependant la première fois qu’ils se frotte au Poliziottesco, un genre en plein boom depuis quatre ans, construit principalement sur des démonstrations de violences et des atmosphères oppressantes. C’est donc un challenge de tenter de mêler de l’humour au genre sans perdre ses marqueurs les plus caractéristiques et sa capacité remarquable à se faire le reflet de l’état de la société italienne de l’époque. Flics en jeans y parvient, et son succès public est le probable reflet d’une attente du public pour des films moins pesant, mais toujours en prise avec la réalité de la vie des italiens.


Flics en jeans s’ouvre sur une série de séquences mettant en scène des vols à la tire. Certaines sont humoristiques, comme celle déjà décrites, d’autres plus brutales. Les évènements dépeints sont des délits, sans violences excessives, toutefois le principe reste le même que pour beaucoup de Poliziottesco qui ouvrent leur récit par ce type d’énumération faisant l’état de la situation criminelle du moment. C’est face à ce type de délinquance que lutte Nico Giraldi et sa Squadra Antiscippo, littéralement la brigade anti-vol, avec un look et des méthodes parfois surprenantes. Le récit du film commence comme une chronique du quotidien de Giraldi, son travail dans une Rome sale et en ruine, loin de la ville des guides touristiques, avant de se focaliser une affaire, celle qui va permettre à Giraldi de remonter aux gros poissons qu’il combat, les receleurs. Tout au long du film, Corbucci dose habilement l’humour, évitant la surcharge et le mettant même de côté lorsque le suspense se tend. Flics en jeans reste un polar, coloré par des touches de comédies, passant parfois par la grossièreté, mais sans jamais tomber ni dans l’excès de blagues, ni dans la vulgarité. Tous les éléments du Poliziottesco s’y retrouvent avec une peinture sociale poussée, qui montre une ville soumise à la délinquance, mais aussi à de cruelles difficultés économiques, comme l’illustrent les bureaux décrépits de la brigade. On ressent devant Flics en jeans une forme de réalité de la vie de la population romaine, Corbucci filmant notamment l’inévitable derby romain, emblème populaire de la ville. On retrouve aussi dans le film les séquences caractéristiques du genre avec de nombreuses poursuites, dont le spectaculaire est renforcé par l’utilisation de motos, le mode de locomotion préféré de la brigade. La grande scène de violence finale est également bien présente, filmée avec efficacité par Corbucci.


Nous aurions ainsi affaire à un polar italien classique, léger et plaisant mais comme il en existe finalement beaucoup d’autres, si ce n’est un ton humoristique alors inédit dans le paysage cinématographique italien. La mise en scène de Bruno Corbucci est efficace, mais sans personnalité, et le récit plutôt classique. Ce qui fait la véritable singularité de Flics en jeans, c’est la performance marquante de Tomás Milián qui par sa drôlerie, sa présence physique et la finesse de son jeu porte le film sur ses épaules. Acteur polyvalent, capable de convaincre chez Antonioni comme chez Lenzi, le cubain n’en est pas à son coup d’essai dans le polar mais il va ici créer son premier personnage emblématique du genre, avant celui de Monnezza qui apparaitra quelques mois plus tard. Dans un univers peuplé d’acteurs charismatiques mais souvent monolithiques tels Maurizio Merli, Milian est souvent dans le Poliziottesco l’acteur qui porte la subtilité, le second degré de lecture des films et le message des auteurs. Avec le rôle de Nico Giraldi, il peut s’exprimer pleinement, dans la peau d’un flic singulier par son aspect physique et vestimentaire comme par son comportement. Giraldi est un ancien voleur qui a changé de camp, et se trouve loin du flic emblématique qui tire sur tout ce qui bouge. Il vise les gros, ceux qui tirent profit de la délinquance quotidienne, plus que les petits auxquels il s’identifie. Milián a construit un personnage unique, contribuant d’ailleurs à son écriture, inspirée d’un ami rencontré à Rome. Plutôt qu’Harry Callahan ou encore Paul Kersey, auxquels on peut souvent comparer les flics du polar italien, Giraldi est évidemment modelé sur la figure de Frank Serpico. La référence est explicite, dans l’allure physique du personnage, mais aussi par l’affiche installée dans son logement ou par le nom du rat domestique qui ne le quitte pas. Il ne s’agit pas seulement d’un clin d’œil, il y a du Serpico en Giraldi, qui veut frapper le mal à sa source mais n’y parvient finalement pas. Et même s’il est dit dans le final que Norman Shelley, l’antagoniste de Giraldi qui s’est réfugié aux Etats Unis y sera jugé, le spectateur expérimenté comprends facilement qu’il échappera à la justice, donnant finalement à Flics en jeans un ton plus amer qu’il n’y parait.


Le personnage de Giraldi sera la raison principale du succès public du film, qui sera prolongé de dix suites tournées entre 1976 et 1985. Dès le second épisode (Un flic très spécial), la place de l’humour sera plus importante et Giraldi pourra poursuivre son adversaire en Amérique, tel un héros triomphant de toutes les difficultés. Avec Flics en jeans, Bruno Corbucci parvient à tenir l’équilibre subtil entre comédie et polar, et crée un film original, qui mérite largement la découverte.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 18 novembre 2021