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Critique de film

L'histoire

Descartes quitte le collège jésuite où il passé son enfance. Il doute des connaissances qui lui ont été inculquées, à l’exception des mathématiques et de la géométrie. Il s’engage dans l’armée du prince de Nassau à Breda. A son retour, il veut fuir l’ambiance mondaine pour se consacrer aux études. Au cours d’une nuit intense, il trouve les fondements d’une science nouvelle.

Analyse et critique

Si Roberto Rossellini a filmé la mort de Pascal, il va arrêter son travail sur Descartes quand celui-ci est sur le point de publier ses Méditations métaphysiques (1647). Ce choix révèle deux intensions : montrer la publication d’un ouvrage essentiel à la modernité et les possibilités de sa diffusion par le biais d’une presse à imprimer. Aussi importantes soient les idées du grand philosophe, elles n’auraient peut-être pas pu révolutionner la place de l’homme dans le monde sans le concours de la science. On peut penser qu’en concluant son Descartes sur l’image de la presse typographique, Rossellini expose le symbole d’une machine à diffuser des idées. La presse à imprimer, comme la télévision, permet d’exposer des pensées pour aider l’homme à se repérer dans le monde. À cet égard, Rossellini trouve dans la figure de Mersenne un double des Lumières.

Le film débute alors que le jeune homme étudie encore chez les jésuites. Ce lieu d’enseignement est important dans la compréhension de sa pensée, puisque le philosophe allait rejeter une bonne partie de son instruction pour se concentrer essentiellement sur les mathématiques, la géométrie et l’astronomie. Les préjugés enseignés à Descartes, et dont il allait chercher tout au long de sa vie à se défaire, ont souvent amené Rossellini à déplorer la manière d’instruire à notre époque. Si seules les mathématiques trouvent grâce aux yeux du philosophe, seuls les faits historiques et l’énoncé précis des pensées ont valeur d’instruction pour Rossellini. Fidèle à sa méthode filmique, Rossellini veut suivre pas à pas le cheminement d’une pensée, de ses premiers doutes à la nuit de sa révélation, jusqu’à l’achèvement de son œuvre de philosophe avec les publications successives du Discours de la méthode puis des Méditations métaphysiques.

On va ainsi entendre son Descartes soliloquer précisément des passages entiers extirpés de son œuvre écrite. Il exposera dans un salon le Cogito tel qu’il a été écrit avec les différentes phases logiques et déductives de son raisonnement fondé sur sa propre méthode. Rossellini choisit aussi de montrer diverses facettes de l’homme pour donner une explication à la manière dont a pu se constituer une partie de son raisonnement. Tout se passe ainsi comme si la philosophie cartésienne allait naître autant de son expérience de la vie, de ses lectures, que de ses intenses nuits à méditer. Dans son fameux poêle, une chambre chauffée dans les Provinces Unies, Descartes a laissé au cours de la nuit, des dizaines de livres s’entasser sur son bureau. Rossellini choisit de montrer la culture et l’érudition du philosophe alors que Descartes cherchait surtout à éviter de s’encombrer l’esprit avec des théories toutes faites. Passant la majeure partie de sa vie au lit, il aimait à méditer longuement sous les couvertures jusqu’à des heures tardives de la journée. Habitude qui lui a souvent été reprochée et qui permet à Rossellini de parsemer d’un peu de légèreté et d’humour son portrait. Le cinéaste lui-même aimait recevoir ses collaborateurs alors qu’il restait alité.

Descartes a beaucoup voyagé, il ne tenait pas en place, il est en perpétuel mouvement quand il ne reste pas alité trop longtemps. Le cinéaste scande le rythme de son film par les divers allers et retours à cheval du philosophe à travers la campagne nordique, sous un ciel gris. Descartes ne veut surtout pas rester trop longtemps au même endroit tant il redoute la proximité et l’accoutumance qui pourraient lui procurer quelque intérêt pour une vie mondaine (qu’il goûte peu). Il fuit les affaires du monde, cherchant un moyen de ne pas s’encombrer l’esprit avec des futilités. S’il se lie effectivement avec sa servante Hélène (Anne Pouchie), il attendra longtemps après qu’elle ait accouché de leur fille Francine pour venir la retrouver.

Pour aborder le lien entre cette simple servante et cet homme lettré et sophistiqué, Rossellini et ses scénaristes optent pour une belle idée : Descartes s’exprime parfois de manière compliquée et empruntée tandis qu’Hélène ne fait que réciter des maximes et des aphorismes populaires. Elle incarne le bon sens. Et le fameux philosophe s’est entiché de quelqu’un qui parle simplement mais exprime la vérité nue. Entre eux, tout du moins lors de leur rencontre, s’instaure une complicité fondée sur un certain antagonisme de caractère et qui donne lieu à des scènes plutôt légères et qui culmineront vers un baiser que l’on a décrit comme « le plus court de toute l’histoire du cinéma. »

Descartes part à la guerre, voyage tout le temps, rencontre des femmes, fréquente un temps les salons et écrit. Sur ce dernier point, Rossellini se montre dubitatif. Descartes pense certes, exprime de temps en temps les méandres de sa pensée, prend part à quelques objections pour critiquer l’enseignement des scholastiques, mais rechigne sans cesse à écrire. Tout au long du film, il s’excuse auprès de ses bienfaiteurs (Mersenne, Beeckman) de ne pas avoir encore achevé l’ouvrage scientifique qu’on lui implore de rédiger depuis longtemps. À leur tour, ses bienfaiteurs lui reprochent de se gaspiller dans des considérations d’ordre métaphysiques, au lieu de s’activer à bâtir une œuvre scientifique comme Galilée en Italie. Mais Descartes a besoin de ses fondements métaphysiques pour bâtir une science nouvelle et suppléer à l’ancienne connaissance fondée sur une croyance aveugle dans les textes d’Aristote. Rarement dans une œuvre télévisuelle, aura-t-on vu décrit si précisément un tel système de pensée. Rossellini revient sur des passages entiers de l’œuvre cartésienne, exprimant ses plus grandes idées, cherchant un moyen logique de les lier. Pour comprendre toute la densité du Descartes de Rossellini, il faut effectivement se plonger dans l’œuvre et la vie du grand philosophe. Puisque l’expérience de pensée de Descartes doit être décrite, il s’agit aussi de montrer ses erreurs, les hypothèses scientifiques qui se sont avérées erronées comme celle où il imaginait la Terre voguant dans l’espace comme un vaisseau sur la mer.

L’erreur fait aussi partie du cheminement vers la vérité. Il suffit de s’en rendre compte, de ne pas continuer à avancer sans être certain de la validité des étapes. Apprenant la condamnation de Galilée en 1633, Descartes renonce à publier Le Traité du monde et de la lumière. C’est aussi à la suite de cette condamnation qu’il décide de donner une orientation nouvelle à son œuvre.

La première partie du téléfilm montre essentiellement le jaillissement d’une pensée à travers les expériences de la vie et trois rêves successifs au cours d’une nuit de légende. Dans la seconde partie, nous nous rapprochons de Descartes, il ne devient plus seulement un porte-voix ou le guide d’un musée interactif : il s’incarne. Le cinéaste réussit à lui donner une identité alors que ce très beau film, sans doute le plus austère de tous mais aussi le plus complet, souffre d’un doublage aberrant. Rossellini avait demandé à ses comédiens italiens de jouer en français avant d’être doublés à nouveau. L’impossibilité d’une harmonie entre les voix et les bouches dans la première partie renforce l’impression d’acteurs absents et mimant des statues du passé dans le seul but de déverser le maximum d’informations. Pourtant l’humain va gagner sur le haut-parleur. À quoi le doit on ? On peut risquer quelques hypothèses même si le système du film nous paraît trop contraignant pour que l’on puisse s’en échapper tout à fait. D’abord, il faut savoir que Rossellini détestait cordialement Descartes en tant qu’individu : il le trouvait veule, paresseux, et irresponsable. Il est fort probable que Rossellini ait été fasciné par l’ambivalence du personnage : un être médiocre capable d’accoucher d’une pensée extraordinaire. Ensuite, il a bien remarqué que les grands malheurs de la vie de Descartes (décès successifs à quelques mois d’intervalle de sa fille qu’il adorait puis de son père) correspondent aux dates de publication de ses ouvrages majeurs. Rossellini a sans doute été intéressé par la tension qui s’est jouée rapidement entre la simple expérience humaine et le jaillissement de la pensée. On peut même y risquer une explication quant au choix du philosophe ainsi abordé : Rossellini filme l’avènement de la science, de la rationalité et d’une ré-emprise du monde par l’homme. Touché au plus profond, Descartes réagit rapidement et offre à l’Humanité la conclusion de ses sacrifices. À travers Descartes, c’est tout le projet télévisuel de Rossellini qui s’éclaire comme la pensée des hommes de lumière qu’il a voulu comprendre : un contact de l’individu avec le monde, malgré les malheurs et les vicissitudes du quotidien. Sinon, comment interpréter ce final magnifique où Descartes déclare aller chercher les principes de la philosophie (qu’il n’a toujours pas rédigés) au fond de ses souffrances. En fin de compte, par ce zoom progressif effectué sur l’homme, Rossellini touche à l’affirmation morale de son projet utopique.

   

PREMIERE PARTIE : LA DIALECTIQUE DE ROSSELLINI

DEUXIEME PARTIE : BLAISE PASCAL

TROISIEME PARTIE : AUGUSTIN D'HIPPONE

QUATRIEME PARTIE : L'AGE DE COSME DE MEDICIS

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La fiche IMDb du film

Par Frédéric Mercier - le 30 octobre 2009