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Critique de film
Le film

Blaise Pascal

L'histoire

Pascal arrive à seize ans à Rouen. Il se consacre aux mathématiques et invente la première machine à calculer. Il découvre la physique et se met en tête de démontrer la possibilité du vide. A la mort de son père, il hérite et découvre les joies de la vie de salon. Se répugnant lui-même pour cette existence, il traverse une crise existentielle et mystique.

Analyse et critique

Première étape du parcours proposé dans le coffret, Blaise Pascal est le film de toutes les surprises. On ne peut qu’être étonné face à l’harmonie absolue qui règne pendant deux heures entre la méthode radicale de Roberto Rossellini et son sujet. Le cinéaste veut réaliser moins une biographie qu’une monographie. Seules les idées du philosophe mathématicien devraient compter. Or, le siècle des Lumières s’illumine, l’Humanité toute entière s’éclaire d’un jour nouveau. Des quatre films de ce coffret, Blaise Pascal est le plus beau sans doute parce qu’il aborde de front une idée abstraite, un conflit intime profond.

Si ce téléfilm, fidèle au projet encyclopédique, contient des tableaux d’époque, une reconstitution parfois minutieuse des machineries inouïes inventées par l’homme de science, on sent une tension formidable pénétrer la matière historique. Tension d’une pensée prodigieuse en marche, renforcée tout du long par les sonorités musicales de Mario Nascimbene. Le musicien s’essayait avec Rossellini à une texture électronique obsédante. Après avoir trouvé la gloire à Hollywood (c’est à lui que l’on doit par exemple les marches triomphales des Vikings de Richard Fleischer et qui renforcent l’aspect euphorisant de ce chef-d’œuvre du film d'aventure), le musicien trouve auprès du cinéaste la possibilité d’explorer d’autres directions des thèmes musicaux. Les séquences sont ainsi répétées de manière obsédante comme des boucles. Elles sont envahies d’un long souffle délétère qui fait baigner le film dans une matière mortifère, pénétrante et irréelle. Le motif sonore souligne la violence d’une pensée en feu, d’une réflexion intense qui est en train de tuer le corps de Pascal à petit feu. (1)

Cette tension extraordinaire laisse l’homme pris en étau entre la vie terrestre et la vie immortelle à laquelle il s’accroche. Elle est toute entière présente entre sa Foi et ses aspirations scientistes. Tout se déroule comme si Pascal voulait user de sa vie pour l’étudier et en jouir tandis que la mort est sans cesse présente dans ses pensées. Pascal est toujours partagé entre ce qu’il doit faire et ce à quoi il ne peut résister. Il y a ainsi un conflit qui se noue en lui-même entre son désir d’être un savant juste et son goût pour les salons, les mondanités et le jeu. Pascal est rappelé à sa condition terrestre, à sa petitesse d’homme pris entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. Cela, Rossellini le montre avec une économie de moyens économiques et dramatiques qui laisse pantois.

Le cinéaste savait de quoi il traitait en s’attaquant à Pascal : lui-même a toujours été partagé entre sa Foi chrétienne et son matérialisme. Dans ces quatre films, Rossellini tranche en faveur d’un humanisme qui a toujours été présent dans chacun de ses films. Pascal a beau étudier, expérimenter, mesurer la pression de l’air, fabriquer une calculatrice, faire oeuvre de moraliste génial ; on ne peut que compatir à la longue marche douloureuse d’un homme miné par des migraines terrifiantes. Si Rossellini hésitait à l’origine à filmer ce philosophe dont il se sentait éloigné, c’est en apprenant de quels maux il souffrait en permanence, qu’il se rapprocha instantanément de lui. Il se produit à l’écran comme un miracle : une rencontre inattendue entre deux pensées.

Pascal aimait parfois à discourir. Il fait la connaissance de Descartes à qui il avoue son admiration. Mais il lui fait part aussi de ses doutes quant au cogito et sur la question du point d’appui inébranlable à partir duquel on peut envisager la possibilité de bâtir une science nouvelle. Cette rencontre historique (2) indique encore la nature d’une nouvelle tension présente dans le jeune homme : une incapacité à se reposer, Pascal est toujours en lutte contre quelque chose, incapable d’harmoniser toutes ses pensées et aspirations.

Film de la tension, au sens plein et littéral, Blaise Pascal est l’une des plus belles œuvres de Roberto Rossellini. Pour incarner le grand théoricien du vide, Rossellini choisit Pierre Arditi dont c’est le premier rôle à l’écran. Rossellini affirma avoir choisi l’acteur qui lui ressemblait le plus. En bonus, dans un intéressant entretien, l’acteur fétiche d'Alain Resnais voit différemment les choses. Il pense que Rossellini avait sympathisé avec son très jeune fils. Le cinéaste aurait préféré donner du travail à un jeune père de famille désoeuvré.

Le film culmine vers son extraordinaire final, théâtre de toutes les tensions. Le physicien, alité, fiévreux, cherche par tous les moyens à recevoir les sacrements. Son corps porte les stigmates d’une tension spirituelle intense et qui fut aussi celle de toute l’Europe occidentale au XVIIème siècle : le conflit intime de tout un chacun pris entre le risque de s’appartenir à soi même et d’échapper à Dieu et à la vie immortelle. En filmant la mort de Pascal, Rossellini veut montrer la victoire d’un esprit sur la chair. D’un strict point de vue historiographique, Blaise Pascal est le premier film où Rossellini systématise sa méthode du plan-séquence idéal.


(1) Pascal est mort prématurément à l’âge de 39 ans en 1662.
(2) Leur rencontre eut effectivement lieu.

  

PREMIERE PARTIE : La DIALECTIQUE DE ROSSELLINI
Troisième partie : Augustin d'Hippone
Quatrième partie : L'Âge de Cosme de Médicis
Cinquième partie : Descartes

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Frédéric Mercier - le 17 octobre 2009