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Critique de film
Le film
Affiche du film

Dernier domicile connu

L'histoire

Brillant inspecteur principal, Marceau Léonetti se retrouve muté dans un petit commissariat de quartier après avoir arrêté un chauffard fils d'un célèbre avocat. Dans son nouveau poste, il est rapidement chargé de traquer les pervers dans les salles de cinéma et se voit adjoindre pour cette mission une jeune auxiliaire de police, Jeanne Dumas. Un jour, il est chargé d'une nouvelle mission : retrouver un témoin disparu depuis 5 ans, un certains Roger Martin, dont la comparution est indispensable à un procès majeur qui se tient la semaine suivante. Les collègues de Léonetti sont convaincus que la mission est impossible, mais l'inspecteur et sa jeune auxiliaire vont tout de même persévérer dans cette enquête dangereuse.

Analyse et critique

C’est en lisant des volumes de la Série Noire que Giovanni découvre Dernier domicile connu, premier roman de l’auteur américain Joseph Harrington. L’action se passe à New York, et Giovanni imagine tout à fait son adaptation en France et le potentiel de cette histoire de deux flics marchant dans une ville. Il confie le livre à Lino Ventura avec lequel il a construit une solide amitié et comme pour ses films précédents, c’est l’acteur qui va faire le tour des cinéastes pour monter le projet. Dans un premier temps, il se heurte à des refus, personne ne pensant possible la transposition du récit à Paris. C’est ainsi que Ventura convainc Giovanni de se charger lui-même du film. Ils se tournent vers le producteur du Rapace qui va accepter le projet et s’allier avec Jacques Bar pour lancer le projet. La production sera pourtant ralentie. En attendant que les droits se débloquent et que la production se lance, José Giovanni joue le script doctor pour Henri Verneuil sur Le Clan des Siciliens, ajoutant notamment au récit le personnage joué par Lino Ventura. Du coup lorsque les droits se débloquent, Ventura est pris par le Verneuil, puis Marlène Jobert en tournage avec René Clément sur Le Passager de la pluie. Le temps ayant passé, Jobert lui annonce qu’elle ne veut plus faire le film car elle ne se reconnait plus dans le personnage. C’est Claude Sautet qui finira par la convaincre de revenir sur sa décision. Bien lui en à pris, car elle permit le tournage d’un des plus beaux polars du cinéma français, sommet de sa carrière et de celle de José Giovanni.


Dernier domicile connu suit l’attelage étrange entre un flic expérimenté, l’inspecteur Marceau Leonetti, et la jeune Jeanne Dumas qui va sillonner Paris pour retrouver la trace de Roger Martin, le témoin clé d’un procès. Quatre années avant Les Anges gardiens, le film matriciel de Richard Rush avec James Caan et Alan Arkin, José Giovanni livre une sorte de buddy movie avant l’heure. Les principaux ingrédients sont présents, d’une part un « vieux cheval » comme Marceau se définit lui-même, revenu de tout et mis sur la touche par sa hiérarchie malgré une prestigieuse carrière et de l’autre Jeanne, une bleue, naïve et idéaliste, totalement étrangère à l’action policière qui va finalement se transformer en aide précieuse pour l’inspecteur. Seule la dimension comique, souvent présente dans ce genre, est ici totalement absente pour laisser place au développement d’une relation père-fille entre les deux personnages, filmée avec pudeur et discrétion par Giovanni, qui apporte une émotion inattendue au film. Giovanni à l’intelligence de ne jamais s’appesantir sur le passé de Jeanne, que l’on devine difficile, ni sur l’évolution du personnage de Marceau, qui petit à petit change de statut et accepte les idées de Jeanne.


Si Dernier domicile connu propose une intrigue policière relativement conventionnelle, la forme est originale pour son époque, refusant notamment la course à l’action qui caractérise le polar du début des années 70, aux Etats-Unis comme en Italie. Symbole de ce choix, les héros se déplacent très souvent à pied, loin des courses poursuites automobiles à la mode à cette époque. Dernier domicile connu met en scène un duo de flics qui marchent, ce qui du strict point de vue narratif montre l’effort que leur impose leur enquête, et qui permet également d’illustrer de manière originale l’évolution de leurs rapports. Au début du film, Jeanne est souvent filmée courant après la grande foulée de Marceau. Avec le temps, elle le rejoint souvent, le dépasse parfois, démontrant dans les mouvements l’évolution de sa position dans le duo. Surtout, c’est un moyen de mettre en scène une passionnante promenade dans les rues de Paris, faisant du film un formidable témoignage de son époque. Nous voyons la modernité des grandes tours du 13e arrondissement, les chantiers de la transformation de Paris, et la destruction des plus vieux quartiers, comme en témoigne cette adresse à laquelle se rend le duo et qui derrière la porte, n’est plus qu’un vaste terrain vague. Cette scène particulièrement emblématique du film est aussi l’illustration d’un des propos du film, la fin d’une époque, celle des Marceau Leonetti, celle d’un Paris à l’ancienne, et la plongée vers un monde moderne, qui est deux choses à la fois, d’une part la fraicheur et la modernité de Jeanne, d’autre part un monde dans lequel les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être, comme cet immeuble qui a conservé sa façade, mais perdu sa structure.


A ce titre, ce qui frappe est la manière dont Giovanni filme la Police. Hormis Marceau et Jeanne, les autres font peur, conspirent comme des gangsters, et il est difficile dans leur caractérisation de les distinguer des criminels qui poursuivent également Roger Martin. Cette mise en scène annonce le dénouement du film, que nous ne révélerons pas ici, ainsi qu’un brouillage des frontières entre le bien et le mal, typique du propos des polars de l’époque. Dans ce cadre, Ventura est évidemment le choix parfait dans le rôle de Marceau, incarnant des valeurs fortes et une rigueur morale inébranlable. Ventura joue de son charisme habituel, mais propose aussi ici une figure inhabituelle de son jeu, en montrant ses émotions dans sa relation avec Jeanne/Marlène Jobert. Un Ventura rare, et d’autant plus précieux, qui aura rarement été aussi touchant. Face à lui, Marlène Jobert trouve l’un des grands rôles qui lance sa carrière. Giovanni l’avait repéré dans L’astragale (Guy Casaril), qui l’avait convaincu qu’elle était le personnage. Une excellente inspiration, l’actrice ayant à la fois la force du rôle mais aussi sa fraicheur et son innocence. Sorti quelques semaines après Le Passager de la pluie, Dernier domicile connu contribuera évidemment au lancement de sa remarquable carrière.


Le film est tout aussi emblématique de la carrière de François de Roubaix. Il nous offre sa bande originale la plus emblématique, qui continue d’être utilisée de nos jours par de nombreux artiste et qui contribue à rentre Dernier domicile connu mémorable. Intelligemment, Giovanni ne la surutilise pas, choisissant de l’exploiter lorsqu’il s’agit de rythmer les trajets de ses personnages ainsi que pour illustrer les passages les plus expérimentaux, notamment le rêve de Jeanne, qui collent parfaitement à la modernité de la musique de De Roubaix. D’un grand polar, qui marque par ses acteurs et le témoignage qu’il livre de son époque, cette bande son transforme Dernier domicile connu en un film majeur, probablement le sommet de l’œuvre de José Giovanni, et une œuvre majeure du cinéma des années 70.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 6 juin 2022