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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Conseiller

(Il consigliori)

L'histoire

Don Antonio est le parrain respecté de San Francisco, inflexible mais respectueux du code d’honneur de la Mafia. Lorsque Thomas, son conseiller et filleul, lui annonce sa volonté de quitter l’organisation après avoir passé deux années en prison, il ne s’y oppose pas. En acceptant, Le Don montre sa faiblesse et déclenche une sanglante guerre des gangs à San Francisco menée par son ancien lieutenant Garofalo, frustré de ne pas pouvoir créer sa propre famille. Également menacé, Thomas va revenir aux côtés de Don Antonio, pour un combat qui s’étendra jusqu’en Sicile.

Analyse et critique

De tous les réalisateurs de l'âge d'or du cinéma italien, Alberto De Martino ne fait pas parti des plus réputés. Comme beaucoup, il a exploré tous les filons exploités par les producteurs de l'époque, mais contrairement à d’autres son travail n’est pas associé à l'un d'entre eux en particulier. Au contraire, sa mise en scène classique et élégante est adaptée à tous les genres, qu’il a su servir avec réussite, du polar au western, du péplum au film d’horreur. Toute proportion gardée, on pourrait y voir une sorte de Richard Fleischer italien : un cinéaste à la technique sûre, capable de s’attaquer avec succès à tous les sujets. Un réalisateur qui est donc parfaitement adapté à la succession des filons exploités par les producteurs durant l’âge d’or du cinéma italien, et qui se trouve en 1973 confronté au film de mafia, le petit frère du polar italien, qui s’imposa naturellement dans l'économie du cinéma italien après le succès international du Parrain. Et, pour une fois, Le Conseiller est un film dont on peut dire qu'il surfe vraiment sur le succès de l’œuvre de Coppola, pas seulement d’un point de vue commercial mais également dans son propos. Filiation, code d'honneur, opposition entre la vieille génération et la plus jeune, corruption absolue du monde, poids des racines siciliennes, tout y est, même si le film de De Martino est évidemment moins ambitieux, moins prestigieux. Pourtant, une fois cela dit, si l'on juge le film pour ce qu'il est, voici une œuvre sacrément plaisante, qui ravira les fans de films de gangsters et plus largement du cinéma italien.

A l’évidence, les producteurs du Conseiller étaient intimement convaincus du potentiel commercial du film. Avec une grande partie des scènes tournées aux Etats-Unis, à San Francisco et au Nouveau-Mexique, et une esthétique particulièrement léchée qu’il faut probablement mettre au crédit de Joe d’Amato, qui fera plus tard sa réputation en réalisant une quantité industrielle de films érotiques à la qualité discutable. Alberto De Martino a semblé bénéficier de moyens conséquents, et le résultat relève plus du film de prestige que de la série B tournée à la va-vite. Seules les diverses séquences d’action, mêlant fusillades et poursuites effrénées dans les rues de San Francisco, sont la trace de la domination à l’époque du cinéma de genre dans la production transalpine. On pourrait alors rapprocher Le Conseiller du poliziottesco standard, mais le propos politique et social est bien plus en retrait que dans les œuvres habituelles du genre. Le fait même que le récit soit déraciné, se déroulant majoritairement outre Atlantique, exclut de facto le film des grilles de lecture habituelles du cinéma italien pour le situer à un niveau plus universel. C’est aussi le style de De Martino qui distingue Le Conseiller des productions classiques. Loin du rythme effréné d’un Umberto Lenzi ou des inventions visuelles d’un Castellari, pour rester dans le registre du polar, le cinéaste propose un film plus posé qui prend le temps d’installer le récit, et un style classique, dans le sens le plus noble du terme.


Le récit n’est toutefois pas indépendant de l’Italie. Le Conseiller s’intéresse à la question des racines et de l’héritage, de l’importance pour un homme de connaitre, comprendre et respecter ses origines géographiques, et sur l’opposition entre le pragmatisme du territoire américain et la morale et la sagesse liées au vieux continent. Ainsi, comme dans Le Parrain d’ailleurs, l’objectif du film n’est pas de décortiquer le fonctionnement de la mafia, de décrire ses crimes ou d’analyser son impact sur la société. Nous ne sommes pas dans Au nom de la loi de Germi, et encore moins devant l’un des films-dossiers de Francesco Rosi. La question de la mafia est une toile de fond, qui sert à exacerber des comportements et des actes. Au cœur de l’histoire, Don Antonio, un parrain respectable dont l’autorité va être mise à mal par Garofalo, l’un de ses lieutenants, lorsqu’il laisse partir de la famille Thomas, son filleul. Isolé, ce vieux parrain est affaibli, vulnérable à la violence de son adversaire. Lorsque Thomas va revenir à lui, il retrouve une famille et simultanément de la force. Alors que De Martino le filmait seul à l’écran, passif, le plus souvent assis, il lui redonne une énergie quand son consigliori le rejoint, le filmant dans l’action, notamment lors d'un coup de force contre Garofalo. Le déplacement du récit en Sicile, sur ses terres, va donner un autre avantage à Don Antonio. Il a raison du point de vue de la morale, et cette terre qui représente ses racines va lui rendre justice. Lors de l’arrivée à Palerme, Antonio et Thomas admirent le pays de leurs ancêtres, sont fascinés par les décors qu’ils découvrent ou retrouvent, alors qu’à l’inverse Garofalo les méprise. De Martino va filmer une Sicile qui punit littéralement le second pour son arrogance, avec l’élimination de ses hommes de main sans que l’on ne voit leur tueur, comme si c’était l’environnement lui-même qui les emportait. Le Conseiller célèbre ainsi la Sicile comme une terre d’histoire et de morale, sur laquelle les justes comme Don Antonio triomphent sur les arrivistes comme Garofalo là où le rapport de forces était inversé aux Etats-Unis. Ce propos se traduit dans la mise en scène de De Martino, qui filme les Etats-Unis comme un lieu d’action, avec efficacité, mais sans forcément leur donner une âme. Au contraire, la Sicile est magnifiée, filmée de manière viscérale comme une terre vivante. A ce titre, le plan qui montre Garofalo surplombé par le village dans lequel se cachent Don Antonio et Thomas est spectaculaire. La montagne, le village en eux-mêmes semblent menaçants, sans grands discours, en une seule image. Un message discret, mais évident à l’image, à mettre au crédit du talent du cinéaste

Hormis sa mise en scène, l'autre grande force du film est évidement son casting impressionnant. En premier lieu, nous trouvons un Martin Balsam particulièrement convaincant dans le rôle de Don Antonio. De tous les acteurs américains qui ont profité du boom du cinéma italien dans les années 60-70, souvent pour arrondir leurs fins de mois et se payer de sympathiques vacances romaines, Balsam semble être l'un de ceux qui a pris cela avec le plus de sérieux. Il s'est constitué une belle filmographie (Chronique d'un homicide, Confession d'un commissaire de Police au procureur de la république) et a toujours fait preuve d'un véritable investissement dans ses rôles, comme c'est le cas ici. Il sait donner à son personnage à la fois une véritable vulnérabilité, comme dans la scène tournée dans l’arrière-cuisine du restaurant d’un ami, où Don Antonio s’est réfugié, et une grande force, s’engageant physiquement dans certaines séquences d’action A ses côtés, l'inévitable Tomas Milian dans le rôle de Thomas, bien moins excentrique que dans ses rôles habituels, confirme l'étendue de son talent avec une performance intériorisée mais remarquable. Et dans le rôle du méchant Garofalo, Francisco Rabal, toujours impressionnant dans sa capacité de jouer avec aisance dans n'importe quel genre de film.


Enfin, Il ne faut pas non plus oublier la très belle musique de Riz Ortolani, très intégrée au film et qui propose deux ou trois thèmes particulièrement marquants. Un ingrédient de plus pour un film qui présente de belles qualités à tout point de vue. Malgré une production initiée à l’évidence par opportunisme commercial, Le Conseiller est une très belle réussite qui mérite largement le détour, et donne envie de se pencher encore plus avant sur la carrière éclectique d’Alberto De Martino.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 14 octobre 2021