Critique de film
Le film
Affiche du film

Compañeros

(Vamos a matar, compañeros)

L'histoire

Alors que la révolution mexicaine fait rage, la ville de San Bernardino vient de tomber aux mains du cupide et tyrannique général Mongo. Désireux de mettre le grappin sur un précieux butin détenu dans un coffre-fort ultra-sécurisé, celui-ci va engager un trafiquant d’armes suédois et un rebelle mexicain pour ramener au pays le professeur Xantos, emprisonné aux États-Unis. Cet intellectuel pacifiste, principal opposant à Mongo, est le seul à connaître la combinaison du coffre…

Analyse et critique


Compañeros est la pièce centrale d’une trilogie de Sergio Corbucci s’inscrivant dans le western « Zapata », suivant El mercenario (1969) et précédant Mais qu'est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ? (1972). Le western Zapata est un sous-genre du western italien, se caractérisant par son cadre de la Révolution Mexicaine et un propos très politisé souvent en rapport avec le contexte géopolitique contemporain. Le film fondateur du genre sera El Chuncho de Damiano Damiani (1966) qui en pose la structure presque immuable, mais sujette à de nombreuses variations sur le même thème. Il s’agit de l’association et de la confrontation entre un occidental (souvent américain) cynique et un péon mexicain ignare, au cœur de ce cadre agité de la Révolution Mexicaine, l’aventure les amenant à un rapprochement amical et possiblement idéologique. Des cinéastes engagés comme Damiano Damiani et Sergio Sollima renforcent l’écho du message politique dans leurs western Zapata, notamment sous la plume d’un scénariste politisé comme Franco Solinas voyant dans le western une voie plus accessible pour affirmer son propos auprès d’un public populaire.


Ces films, sans forcément être sentencieux, s’avèrent donc très affirmés dans leur message de gauche, alors que Sergio Corbucci semble, notamment sur Compañeros (il sera plus contraint sur El Mercenario avec le scénario justement rédigé par Franco Solinas), davantage faire un pas de côté même si le duo gringo cynique/péon dépolitisé est reconduit. Alors que Franco Nero semble reprendre son personnage de dandy désinvolte de El Mercenario, c’est Tomás Milián qui endosse avec gouaille et énergie celui du péon Vasco. Après des débuts dans un cinéma d’auteur plus intellectuel et une formation classique, l’acteur avait trouvé un second souffle dans le cinéma italien et plus particulièrement le western en devenant l’idole des publics du tiers-monde grâce à la trilogie « Cuchillo » de Sergio Sollima (Colorado (1966), Le Dernier face à face (1967), Saludos Hombre (1968)) qui marque cette bascule de son registre. La première partie du film joue ainsi plus particulièrement sur l’opposition des deux personnages, celle-ci relevant avant tout du rang social et du bagage intellectuel - prolongée par les différences physiques, l'élégance et la blondeur stoïque de Nero aux yeux bleus, l'agitation et la présence débraillée du "métèque" Milian-, même si la finalité de leur contribution à la révolution n’est pas si éloignée.


Passé l’introduction qui amorce le flashback, Corbucci s’amuse du chaos et de la ronde des tyrans lorsque Vasco, cirant les bottes du dominant militaire du moment, a un sursaut de fierté sanglante face à celui-ci mais tombe de Charybde en Scylla lorsque l’échauffourée qui s’ensuit le met sous la coupe de Mongo (José Bódalo). Le péon est un être qui subit les évènements dans le contexte de la Révolution, et se range presque par instinct de survie animale vers la main qui l’épargne et le nourrit, quitte à se perdre. A l’inverse, le « Suédois » (Franco Nero) est montré comme un être distant aux évènements et cupide, usant au contraire de ses atouts sociaux et intellectuels pour s’offrir au plus offrant dans cette poudrière mexicaine. Quelques scènes démontrent que sous ces archétypes les deux personnages n’ont pas un si mauvais fond, sont capable d’empathie et ne demandent qu’à être « éveillés ». Le terme « éveillé » est plus en adéquation avec le propos de Corbucci que celui « d’éduqués » qu’on emploierait plus aisément pour aborder la naissance d’une conscience politique chez l’individu.


Ainsi la première partie est un pur récit picaresque durant lequel chacun des héros incarne pleinement l’archétype qui le définit : roublard et individualiste pour le Suédois, débrouillard mais naïf avec Vasco – l’hilarante scène où il est dépassé par les talents d’amante d’une prostituée. Les péripéties comiques et les morceaux de bravoure spectaculaires s’enchaînent avec frénésie tandis que le duo apprend à se connaître à coup de trahison et de rabibochage. « L’éveil » viendra durant la seconde partie avec un troisième larron s’ajoutant au voyage, le leader pacifiste Xantos (Fernando Rey). Là où le scénario d’un Franco Solinas aurait asséné son message à coup de tirades appuyées, Sergio Corbucci construit l’engagement de ses personnages dans l’action. Vasco est surpris par l’empathie de Xantos qui force le Suédois à revenir sur ses pas pour le sauver, tandis que le cynisme de ce dernier est ébranlé par tant de bienveillance. Le « prisonnier » devient, par son calme et son éloquence, un mentor et une figure paternelle pour le duo, une dynamique explicitement illustrée lorsqu’il tente de calmer un sévère bagarre entre eux. Corbucci entremêle les métaphores qui auraient pu sembler simplistes à une vraie logique dramatique, telle la fascination de Xantos pour une race de tortue qu’il va collecter durant le périple. Le pas de côté du réalisateur existe dans cet aparté où une logique simple (mais pas simpliste) influence la vision du monde jusque-là uniforme (dans la cupidité pour le Suédois, la survie pour Vasco) de Vasco et le Suédois.


Corbucci oppose d’ailleurs à ses héros des personnages miroirs, qui resteront dans la caricature malfaisante chacun à leur manière. Mongo est un chef de guerre mexicain opportuniste voyant la révolution comme un moyen de s’enrichir (José Bódalo ayant d’ailleurs déjà joué ce type d'emploi pour Corbucci dans Django (1966), tandis que John (Jack Palance) est quant à lui ce gringo désinvolte et bras armé des businessmen américains dont il protège les intérêts moyennant finance. Jack Palance en fait un méchant fascinant, flottant au-dessus des évènements dans les volutes de marijuana, et représentant aussi ce mélange d’allégorie et de pure efficacité narrative recherchée par Corbucci – le faucon de John symbole des Etats-Unis carnassiers mais aussi implacable prédateur volant traquant nos héros.


Fort de ces différents niveaux de lecture jamais appuyés, Corbucci peut ainsi célébrer un bel entre-deux. Le dogme pacifiste de Xantos se heurte à la réalité violente de la révolution, et la nature même des péripéties s’en ressent. La première partie immorale mais jouissive s’oppose à la seconde, à l’action plus incarnée, où l’on a réellement peur pour les personnages, avec en point d’orgue la spectaculaire mais « facile » scène d’évasion alors qu’une traversée de frontière initialement calme provoquera une tension bien plus grande. Le jusqu’au-boutisme pacifiste de Xantos sera louable au point d’en faire un quasi saint, mais c’est bien la désobéissance par les armes de ses jeunes ouailles qui constituera le point de bascule à sa cause. Corbucci ne fustige aucune approche, mais par sa fausse simplicité exprime paradoxalement la complexité d’un monde où les approches uniformes, même les plus nobles, se heurtent à la réalité. C’est captivant de bout en bout, chaque questionnement se fondant dans une énergie picaresque d’ensemble qui ne se dément jamais (et renforcée par le pétaradant score d'Ennio Morricone) et offre son moment « d’éveil » à chacun des protagonistes – le « butin » retrouvé dans le coffre par le Suédois et la leçon qu’il devra en tirer. La dernière scène vibre de cette fougue à travers des archétypes qui vacillent encore pour pencher vers le même objectif, celui de la Révolution et de l’aventure.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 4 mars 2025