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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Grands espaces

(The Big Country)

L'histoire

Le marin James McKay (Gregory Peck) débarque dans les 'grands espaces' du Middle West pour y épouser Patricia (Carroll Baker), la fille d’un grand propriétaire terrien, le Major Henry Terrill (Charles Bickford). Homme intelligent et adepte de la non-violence, James va se trouver mêlé à la lutte sanglante que se livrent deux clans rivaux convoitant le même point d’eau ; d’un côté les Terrill, sa future belle-famille, de l’autre les Hannassey que dirige Rufus (Burl Ives), un patriarche lui aussi à poigne de fer, sauf que contrairement aux Terrill, sa famille vit dans une relative pauvreté. Le terrain sur lequel se trouve la rivière tant convoitée est la propriété des Maragon ; mais la seule héritière encore vivante, la douce institutrice Julie (Jean Simmons), refuse justement de vendre ses terres à quiconque pour ne pas provoquer de conflits ni de jalousies. James, dans l’espoir de réconcilier tout le monde, va néanmoins réussir à la convaincre de lui vendre sa parcelle. De peur que le point d'eau ne tombe dans l’escarcelle des Terrill (puisque James doit toujours épouser leur fille), les Hannassey vont kidnapper la jeune maîtresse d’école afin de la marier de force à un des fils de la famille, en l’occurrence le chahuteur Buck (Chuck Connors). Les tensions qui règnent entre les différents protagonistes se dénoueront pour la plupart au milieu de Blanco Canyon, espèce de labyrinthe naturel assez détonant comparé aux vastes et plates étendues de cette ‘Big Country’...

Analyse et critique

Depuis le milieu des années 50, la télévision à fait rapidement et avec une certaine vigueur de l’ombre au septième art. Pour lutter contre la petite lucarne et retenir le public qui commençait à déserter les salles obscures, Hollywood avait décidé de sortir la grosse artillerie en encourageant surtout ses techniciens à recourir à l’écran large pour se démarquer des productions télévisées. On eut également idée de produire des ‘grosses machineries' de prestige lorgnant vers la saga familiale, budgets imposants à la clé, avec l’intention très ferme d’effectuer des percées au box-office. William Wyler ayant déjà décroché le jackpot avec son précédent essai, La loi du seigneur – Friendly Persuasion (qui rafla en même temps l’oscar du meilleur film), réédita son exploit avec Les Grands espaces qui continua à renflouer les caisses des producteurs. Le précédent, malgré son intrigue située en pleine Guerre de Sécession, était une chronique familiale (assez lourdingue d’ailleurs) et n’avait pas grand-chose à voir avec le western. On peut donc raisonnablement affirmer que Les Grands Espaces pourrait être le premier véritable ‘blockbuster’ du genre. L’année suivante, le grand réalisateur frappera encore plus fort avec le plus célèbre de tous les péplums, Ben-Hur, pour lequel, comme tout le monde le sait, il réutilisera pour le rôle-titre l’un des acteurs de son western alors assez en retrait, Charlton Heston. The Big Country est la deuxième et dernière incursion du réalisateur dans le genre après le déjà célèbre The Westerner (Le Cavalier du désert) avec le duo Gary Cooper et Walter Brennan. Entre temps, il nous aura comblé à maintes reprises, faisant mentir la critique française de l’époque très dure à son égard. Il n’est qu’à citer deux titres parmi d’autres pour s’en convaincre, de purs chefs-d’œuvre dans leurs genres respectifs, le mélodrame et la comédie romantique : Les Plus belles années de notre vie (The Best Years of our Lives) ou Vacances Romaines (Roman Holiday). Mais, revenons-en à notre western, Wyler n’ayant désormais plus besoin de nous pour se défendre, sa filmographie parlant d’elle-même.

Gregory Peck, acteur alors en pleine période engagée, coproduisit The Big Country avec la haute et noble ambition de prôner la non-violence à l’intérieur d’un spectacle aussi conçu pour rapporter des devises. Pour cela, il ne lésina pas sur les moyens : flopée de scénaristes célèbres s’inspirant, avec l’aide d’un écrivain, d’un feuilleton à succès, casting de stars, décors luxueux, riche utilisation du plein air… Tout fut mis en œuvre pour plaire au grand public. Le résultat financier répondit à toutes les espérances mais le résultat artistique, loin d’être déshonorant, n’est malheureusement pas entièrement convainquant même si le film se suit dans l’ensemble avec beaucoup de plaisir. Sous l’apparence d’un western, nous assistons en fait ici à une sorte de tragédie familiale, une chronique historique du Texas. Le film se révèle être une étude de systèmes de pensées archaïques basés sur un code de l’honneur assez rude et l’importance primordiale accordée à la propriété provoquant des jalousies et rivalités pouvant aller jusqu’au meurtre. Face à ce mode de pensée dépassée, un homme venue de l’Est va intelligemment s’y opposer ; un homme discret et peu bavard qui va agir avec dignité en quelques circonstances que ce soit, parfois même seul et contre tous dans ce milieu hostile et arrogant qui a du mal à l’accepter et à l’intégrer. Les valeurs mises en avant et véhiculées par le personnage mesuré interprété par Gregory Peck sont on ne peut plus honorables et finalement très touchantes, faisant de ce film un western hautement recommandable.

Les auteurs nous brossent dans le même temps une étude psychologique, non dénuée d’intérêt, de personnages pas tous aussi stéréotypés et simplistes qu’on a pu un peu trop facilement le dire ici ou là, de plus excellemment bien interprétés. Qu’en est-il justement de ce casting prestigieux ? Gregory Peck est impeccable dans ce rôle éminemment sympathique du marin bostonien débarquant dans un Texas encore archaïque et violent ; comme nous le faisions pressentir ci-avant, nous n'avions encore que rarement eu l’occasion au sein du genre de croiser un personnage aussi noble et intelligent, moderne dans sa façon de contrer toutes les règles ancestrales régissant ces immenses contrées. Il faut également souligner la merveilleuse performance de la belle Jean Simmons en attachante institutrice souhaitant la paix entre les clans, et aussi de Chuck Connors dans le rôle du fils indiscipliné des Hannassey, un personnage au départ antipathique mais qu’on apprend à apprécier en cours de route et qui sera même au cœur de la scène la plus émouvante du film, celle de sa mort dans les bras de son père. Burl Ives (un Oscar mérité pour ce rôle) et Charles Bickford interprètent les deux rudes patriarches antagonistes, des personnages taillés à la hache mais qui incarnent à la perfection ce code de l’honneur qui n’a plus lieu d’être par le fait de provoquer bêtement d’inutiles bains de sang ; le final le démontrera à la perfection. Carroll Baker semble manquer un peu de maturité dans ce rôle de femme capricieuse (on est en droit de la préférer en Baby Doll) mais s’avère cependant loin d’être mauvaise non plus. Quant au futur Ben-Hur, Charlton Heston, il a accepté un rôle qui ne le sert pas vraiment ; c’est assez courageux de sa part même s’il demeure un peu en retrait. Wyler se dédommagera envers lui l’année suivante en lui offrant l’un de ses rôles les plus illustres, un de ceux assez rares dont toutes les générations se souviennent.

On suit donc avec attention et passion cette histoire romanesque jusqu’à ce superbe moment au bord de la rivière au cours duquel des sentiments naissent entre Jean Simmons et Gregory Peck. Ensuite, durant la dernière heure (puisque le film dure non moins de 160 minutes) les scènes s’étirent bien trop longuement, le scénario patine un peu et un certain statisme s’installe ; alors que l’on s’attendait à une accélération du rythme, le film ralentit au contraire inexorablement. Heureusement, cette dernière partie un peu trop empesée comportera encore deux ou trois moments forts dont le final tourné dans un Canyon absolument étonnant. Et puis, la manière qu’à Wyler de filmer ces immenses espaces (le titre français est très bien choisi pour une fois) donne à son film une sacrée ampleur, la succession de gros plans et de très larges plan d’ensemble lui apportant une dynamique plastique assez étonnante, la photographie de Franz Planer se révélant magistrale, jouant avec génie sur la démesure des paysages mis à sa disposition. A ce titre, la longue séquence vue à distance de la bagarre entre Gregory Peck et Charlton Heston est d’une modernité singulière, appuyant à la perfection la thématique de la vacuité des antagonismes humains face à l'immensité de la nature. A de très nombreuses autres reprises, Wyler filme de minuscules silhouettes perdues dans l’immensité du cadre en cinémascope et le résultat est souvent surprenant de beauté. Dommage que durant la seconde partie, nous trouvions bien moins de tels plans, de telles séquences.

Pour donner un exemple de l’importance (bonne ou mauvaise) de la musique au cinéma, un mot sur la puissante composition de Jerome Moross qui comporte surtout un très beau thème principal, épique, superbement rythmé et orchestré, plein d’allant et très aisé à retenir. Par la seule force de cette mélodie, une scène assez ‘clichée’ au départ devient anthologique : celle au cours de laquelle, après avoir été abandonné par tous ces hommes et décidant de partir se battre seul contre ses ennemis au risque quasi-certain de ne pas en revenir, l’impitoyable Charles Bickford est rejoint finalement par l'ensemble de ses employés toujours sous l’emprise de son formidable charisme. Par ailleurs, cette même partition, assez envahissante parfois, dessert d’autres scènes qui perdent tout leur contenu dramatique par la seule faute d’une musique guillerette hors de propos ou maladroitement utilisée (voir la première rencontre de Gregory Peck avec les Hannassey chahuteurs ou la fin de la séquence du dressage du cheval). Mais qu'on ne s'y trompe pas ; malgré quelques fautes de goûts, l'ensemble du travail de Moross mérite tous les éloges, soutenant souvent à merveilles les superbes images du film.

L’ensemble du film se révèle donc assez inégal, y compris dans son interprétation, mais l’impression finale reste plutôt positive même si l’action se trouve ramassée en quelques moments forts au détriment du rythme et du dynamisme qui font ici parfois bien défaut. Nous aurions aimé plus de la grandeur tragique d'un Duel au Soleil (Duel in the Sun) de King Vidor par exemple ou un souffle romanesque du genre de celui qui anime tout du long un film comme Autant en emporte le vent (Gone with the Wind). Tel quel, le spectacle demeure cependant très honnête surtout en comparaison de ces mêmes westerns de prestige plus proches de nous que sont les médiocres et (ou) ridicules Horizons lointains (Far and Away) de Ron Howard avec Tom Cruise ou Silverado de Lawrence Kasdan avec Kevin Costner, pour prendre l’exemple de films qui pourraient avoir été mis en chantier dans la même optique que ce lui de Wyler. Même si la déception vient parfois nous titiller, ne boudons pas notre plaisir devant ce western de prestige au propos intelligent et à l’indéniable réussite plastique.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 3 décembre 2002