Menu
Portraits

 
  

« Dans un western, vous devez aborder les choses en face. Il faut donner le pas aux personnages sur l’action, ne pas hésiter à improviser en fonction du décor, à changer son scénario, aimer les paysages et les comprendre, disposer d’un chef opérateur qui ne craigne pas les risques, savoir en peu de mots et en quelques images imposer un personnage ou une action, ne pas avoir peur du silence, ne pas abuser de la violence, ne pas hésiter à s’attaquer aux mythes, à la convention, avoir un sérieux sens de l’humour » disait Budd Boetticher en 1969 dans un entretien pour Positif (n°110). Par ce bref descriptif de sa conception du western, nous avons un bel aperçu de ce que nous réservent les westerns du cinéaste ; ils se trouvent être aussi clairs, carrés, honnêtes, purs et concis que ce qu’on peut déceler à travers ces quelques phrases. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il me semble intéressant de revenir sur de succinctes biographies, d’une part du cinéaste qui en est arrivé à de tels sommets, de l’autre du sous-estimé Randolph Scott, son acteur de prédilection, pour cette inégalable "série’" westernienne commencée en 1956 avec Sept hommes à abattre et qui s’achèvera cinq ans plus tard avec Comanche Station.

Oscar Boetticher Jr. est né le 29 juillet 1916 à Chicago (Illinois). Après des études dans l’Ohio, il commence une carrière de boxeur, puis devient une star du football avant de s’envoler pour le Mexique où il finit par se retrouver matador professionnel à seulement 20 ans. Sa connaissance de la tauromachie lui donne l’occasion d’être engagé en 1941 comme conseiller technique de Rouben Mamoulian sur Arènes sanglantes (Blood and Sand), film ayant pour vedettes Tyrone Power et Rita Hayworth. Il demeure alors à Hollywood comme assistant réalisateur : il le sera sur cinq films jusqu’en 1944, année au cours de laquelle il dirige son premier long métrage. « J’ai commencé par travailler comme assistant réalisateur sur de nombreux films... J’ai vite abandonné ce poste qui n’avait rien à voir avec la mise en scène. Un assistant, aux Etats Unis, dépend plus du producteur que du metteur en scène. C’est la plupart du temps un jeune homme qui fait plus ou moins office d’espion pour le producteur. Il doit lui rapporter les erreurs du metteur en scène, les retards qu’il prend sur le plan de travail. J’étais un très mauvais assistant car je prenais toujours le parti du réalisateur… Le dernier cinéaste que j’ai assisté fut Charles Vidor pour Cover Girl (La Reine de Broadway). » (1) Il réalise alors onze œuvres à petits budgets sous son vrai nom pour les compagnies Monogram ou Columbia, des films noirs et des thrillers pour la grande majorité. Ils n’ont jamais été distribués en France, mais voici ce que le principal intéressé écrivait sur eux avec son laconisme habituel : « Moins j’en parlerai, mieux ça vaudra ! » (1) Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon, dans leur 50 ans de cinéma américain, en sauvent néanmoins quelques-uns.

C’est seulement en 1951, après avoir opté pour le prénom de Budd, qu’une de ses réalisations, The Bullfighter and the Lady (La Dame et le toréador), film partiellement autobiographique, fait se braquer les projecteurs sur sa personne. D’abord bloqué par les producteurs, qui le trouvaient trop long et qui n’y croyaient pas une seconde, il est entièrement remonté par John Ford qui était tombé amoureux de la première version rejetée. Grâce à lui, il peut enfin être projeté. Les deux cinéastes garderont toujours de cette expérience une estime réciproque. John Wayne qui en était le producteur n’en restera pas là avec Boetticher et, même s’il ne tournera jamais avec lui en tant qu’acteur, produira un autre de ses films, celui qui entame la série avec Randolph Scott, le glorifié - à juste titre - Sept hommes à abattre. L’osmose entre le réalisateur et l’acteur est en grande partie à l’origine de la perfection et du ton unique des sept westerns qu’ils tourneront ensemble.

Car Randolph Scott est loin d’être un acteur médiocre, contrairement à ce qu’on a pu lire parfois ! L’homme impassible "au visage en lame de couteau" a tâté de tous les genres avant de se spécialiser quasi exclusivement dans le western. Son choix volontaire de ne tourner que dans des films à petits budgets lui fermèrent beaucoup de portes ; il se trouva alors catalogué comme étant "le John Wayne du pauvre". Qu’importe ! Peu avide de gloire, il passa à la production dans le but de pouvoir travailler tranquillement avec ses amis Ray Enright, André De Toth, Joseph H. Lewis et Budd Boetticher, sans aucun doute les réalisateurs de série B les plus doués des années 1950. Les conditions de productions créées par sa firme Ranown (de RANdolph Scott et Harry Joe BrOWN) se résument à ces quelques points essentiels : de très faibles budgets, des temps de tournages très courts et la plupart du temps en extérieurs, un casting de second plan très costaud, un choix d’excellents scénaristes et de chef opérateurs… « Less is sometimes more », telle pourrait être la devise de Boetticher qui s’est accommodé à la perfection de ces conditions minimales de production et de tournage, ces dernières l’ayant obligé de conjuguer débrouillardise et efficacité. Quant à l’acteur, son chant du cygne n’est autre que le premier chef-d’œuvre de Sam Peckinpah, Coups de feu dans la Sierra (Ride the High Country). Estimant avoir gagné assez d’argent, il se retire des affaires cinématographiques à 61 ans préférant, plutôt que de continuer à travailler, jouer au golf et aller visiter ses amis. Ne courant pas nécessairement après un statut de star, Randolph Scott aura eu une carrière rondement menée, longue et discrète, qu’il décida de stopper assez tôt pour pouvoir encore presque 20 années durant pleinement profiter de la vie. Quel plus bel hommage pouvait-on lui rendre que celui de… Budd Boetticher justement : « Randy est un homme extraordinaire…J’ai toujours pensé que s’il avait toujours été employé dans nos films [Boetticher et le producteur Harry Joe Brown], il aurait pu devenir une plus grande vedette que John Wayne ou n’importe quelle autre vedette de western, à l’exception de Gary Cooper. » (1)

Pour en revenir au cinéaste, avant sa collaboration avec Randolph Scott, il réalise pour Universal quelques westerns à petits budgets très intéressants, la plupart très réussis à défaut d’être tous inoubliables : A feu et à Sang (The Cimarron Kid, 1951) avec Audie Murphy, Le Traître du Texas (Horizons West, 1952) avec Robert Ryan, L’Expédition de Fort King (Seminole, 1953) avec Rock Hudson, ou encore Le Déserteur de Fort Alamo (The Man from the Alamo, 1953) avec Glenn Ford. Sans atteindre les futurs sommets du réalisateur, ils n’en comportent déjà pas moins quelques-uns de leurs traits caractéristiques comme un étonnant sens du rythme et du découpage lors des scènes d’action (l’attaque finale dans The Man from the Alamo est déjà un modèle du genre), une utilisation judicieuse des paysages mis à sa disposition, une forte caractérisation de tous les personnages, des "bad guys" souvent croqués avec une certaine sympathie… C’est en 1956, avec Seven Men from Now, qu’il entame sa coopération avec Randolph Scott et le producteur Harry Joe Brown, un film qui lui apporte la célébrité aussi bien dans son propre pays qu’en Europe. André Bazin dans Les Cahiers du Cinéma est époustouflé par ce premier jet de "néo-classicisme" qu’il considère non moins que comme le meilleur western tourné depuis la Seconde Guerre mondiale. Au début des années 1960, le cinéaste réalise un superbe petit film, de gangster concis et nerveux, qui n’a pas à rougir aux côtés de ses westerns : La Chute d’un caïd (The Rise and Fall of Legs Diamond).

Vient ensuite la période la plus noire de sa carrière. Parti au Mexique tourner un documentaire sur son ami, le matador Carlos Arruza, il lui faut sept ans pour y mettre un terme après avoir vécu les pires difficultés aussi bien professionnelles que privées : divorce, déchéance, ruine, prison et même asile psychiatrique ! Cette expérience, il la relate dans un livre sorti en 1968 et intitulé When in Disgrace. Bien que terminé après qu’Arruza ait trouvé la mort dans un accident de voiture, le film ne sort que cinq ans plus tard ; il subit un échec cuisant au box office. Entre-temps, Boetticher était rentré à Hollywood avec l’intention de refaire surface en s’associant avec l’acteur Audie Murphy, lui aussi dans une période déclinante. Qui tire le premier (A Time for Dying) sort en salles en 1969 et ce sera son dernier film. Sa réputation est plus que flatteuse mais, devenu rarissime, il est malheureusement encore aujourd’hui difficile de le voir. Pensant poursuivre cette collaboration avec Audie Murphy, il voit ses projets d’avenir réduits à néant quand ce dernier est tué dans un accident d’avion. La dernière contribution de Boetticher pour le septième art est son écriture du scénario de Sierra Torride (Two Mules for Sister Sarah) de Don Siegel avec Clint Eastwood et Shirley McLaine. Il se retire ensuite dans son ranch pour se livrer à son autre passion, les chevaux, auprès d’une femme qu’il vient d’épouser et avec qui il s’entend à merveille. Il décède le 29 novembre 2001 ; on peut le voir encore fringuant, à peine une année avant, dans le passionnant documentaire inclut dans ce coffret. En 1964, avec une grande modestie, il disait : « Je n’aimerais pas faire un film en voulant y mettre une "Budd Boetticher touch" parce que les gens diraient "Gee, quel grand metteur en scène", et oublieraient ce qui se passe sur l’écran. Je veux que les gens vivent mes films et disent à la fin "Quel beau spectacle, qui en est l’auteur ?", et si un jour quelqu’un répond "Budd Boetticher" qu’ils disent "mais oui, j’aurais du m’en douter…", Voilà ce qu’être un grand réalisateur représente pour moi et j’espère que j’en serai un bientôt. » Qu’il en soit rassuré ! Non seulement il l’est devenu mais, de plus, il avait bel et bien sa "touch" quoiqu’il s’en défende !

S’il est avant tout connu en tant que réalisateur de westerns, c’est que ces derniers composent quasiment la moitié de sa filmographie ; pour l’anecdote, la plupart tournés en à peine 15 jours ! Par l’intermédiaire de ceux-ci, on doit lui être reconnaissant d’avoir pu mettre le pied à l’étrier de nombreux futurs célèbres acteurs tels Raymond Burr, Rock Hudson, Dennis Weaver, James Coburn, Lee Marvin, Richard Boone, Henry Silva, Craig Stevens, Claude Akins... Avant de s’attarder un par un sur les cinq westerns présents dans le coffret, tous ceux-ci possédant de nombreux points communs aisément identifiables, essayons d’en faire le tour en laissant le plus possible parler le cinéaste lui-même, très lucide sur son travail même si parfois trop modeste, avec sa tendance à se révéler beaucoup trop sévère à son égard, souvent injustement.

Budd Boetticher a toujours été avant tout à la recherche de l’efficacité scénaristique, à tel point qu’il semble peu conscient de son génie de la mise en scène qu’il réfute souvent : « Je ne suis pas fidèle à l’histoire quand elle risque de gâcher le film… Il vaut mieux arranger la vérité historique et faire un film chouette, du moment que cela se tient, plutôt que de la respecter scrupuleusement et faire un film terne et ennuyeux comme on en voit tellement aujourd’hui… Je n’aime pas les réalisateurs qui mettent la caméra entre les jambes, qui filment dans les miroirs. La caméra n’est pas un jouet. Elle sert à raconter une histoire, pas à étaler votre style sur un écran... » (1) Il prend rarement partie pour l’un ou l’autre camp, l’un ou l’autre protagoniste, trouvant toujours le moyen de faire apprécier au public même les personnages les plus "sombres" : « Je n’ai jamais fait de film qui soit pour ou contre quelque chose. Dans mes films, surtout dans ceux que j’ai aimé tourner, je ne m’intéresse pas à ce qui est vrai ou faux et pourquoi. Il faut que j’aime beaucoup tous les personnages que je mets en scène. Par exemple, dans Legs Diamond, il fallait que je m’intéresse au personnage sinon le film n’aurait eu aucun intérêt. Il fallait que je l’aime, lui, ce misérable salaud. » Il s’intéresse plus aux actions que ses protagonistes mettent en branle pour défendre leurs idées qu’à leurs idées elles-mêmes : « (…) Les personnages m’intéressent plus que les idées qu’ils défendent. Les idées transparaissent tout naturellement après. Je ne m’intéresse pas aux causes que défendent les gens mais à ce qu’ils font pour les défendre. » (5) On peut affirmer sans grand risque de se tromper, surtout après avoir revu le cycle en un laps de temps très court, que le manichéisme dont on l’affuble souvent n’est que pure invention : « Dans mes films, les héros ne sont pas de vrais héros et les méchants pas de vrais méchants. Je voudrais que tous les personnages qui s’opposent à Randolph Scott vous soient un peu sympathiques… Dans mes films, je voudrais que l’on sente ce qu’il y a de bien dans ces personnages (de méchants), ce qui les a fait devenir ce qu’ils sont. S’ils n‘étaient pas tués, ils pourraient revenir à une vie normale. Je veux que vous soyez effrayés par le fait que ce sont des hommes normaux. Ils ont commis des erreurs comme tout le monde ; ce sont des êtres humains, plus humains parfois que Scott… » (1)

A propos de sa principale thématique, le cinéaste disait : « Tous les films avec Randolph Scott racontent à peu près la même histoire, avec des variantes. Un homme dont on a tué la femme recherche le meurtrier. Cela me permet de montrer les rapports assez subtils entre un héros qui s’enferme à tort dans sa vengeance et des hors-la-loi qui, au contraire, essaient de rompre avec leur passé. Ce sont les rapports les plus simples du western, mais aussi les plus essentiels. » (1) Généralisation quelque peu hâtive puisque le thème de la vengeance ne peut s’appliquer qu’à trois des sept films du cycle Scott. En revanche, un hors-la-loi souhaitant rompre avec son passé est effectivement présent dans quasiment chacun d’eux. Quand à son affirmation comme quoi « Je ne crois pas avoir réussi un véritable portrait de femme », il suffit de se replonger dans le cycle "Ranown" pour se rendre compte à quel point Boetticher se sous-estimait. Que ce soient Gail Russel dans Seven Men from Now, Maureen O’Sullivan dans The Tall T, Karen Steele dans Ride Lonesome et Westbound, Valerie French dans Decision at Sundown ou Nancy Gates dans Comanche Station, le cinéaste leur a au contraire offert à toutes de magnifiques personnages féminins qui ne sont pas uniquement là pour meubler, mais qui au contraire participent grandement au déroulement de l’intrigue tout en étant richement décrits et beaucoup plus complexes que dans nombre d’autres westerns plus célèbres. Mais nous en reparlerons plus longuement dans les critiques des différents films composant le coffret de cinq westerns édité par Sony ; sachez seulement pour l’instant que, pour le plus grand plaisir du spectateur, Boetticher aimait non seulement les personnages féminins à fort caractère mais aussi les belles femmes plantureuses, les deux en une la plupart du temps. De même, nulle part ailleurs que dans ses westerns, la photogénie et la "cinégenie" du cheval n’auront été aussi bien exploitées ; sa passion pour l’animal n’y est pas étrangère et il faut bien se rendre à l’évidence : peu d'acteurs peuvent se prévaloir de chevaucher avec autant d’élégance que Randolph Scott, en quelque sorte le "gentleman des cow-boys". Rarement aussi la géométrie, les reliefs, les aspérités et les singularités des différents paysages (les collines et les crêtes tout particulièrement) n’auront été aussi bien mis en valeur que par Boetticher ; les montagnes et paysages californiens secs et rocheux de Lone Pine (que l’on retrouve dans les quatre westerns écrits par Burt Kennedy), sont les arènes d’affrontements extrêmement stylisés et sont filmés avec une précision d’orfèvre.

Les cinq films du coffret cité plus haut, excepté peut être Buchanan Rides Alone un peu à part, pourraient être rapidement décrits tel que l’a fait Jean A. Gili dans le n°455 de Positif datant de 1999 : « Une rigueur de tragédie… Des épures linéaires avec une sorte de suspense obtenu, non pas tant par les rebondissements de l’action, que par l’attente des réactions des personnages dont la psychologie est plus fouillée qu’il n’y paraît au premier abord. » Car oui, contrairement à ce qu’on a l’habitude de dire à propos de la série B, l’action ne prime pas obligatoirement au point d’évacuer toute réflexion et approfondissement de la psychologie des personnages ; les westerns de Boetticher en sont les exemples les plus flagrants. La tension qui règne dans ses films provient souvent, plus que des confrontations physiques dans l’action, des relations qui lient les protagonistes ; et notamment celles entre Randolph Scott et le chef des hors-la-loi avec qui il doit faire un bout de route tout en sachant, l’un comme l’autre, qu’il devra n’en rester qu’un au final (ce qui ne sera d’ailleurs pas toujours vrai, je vous laisse la surprise). Les "méchants" de Boetticher sont souvent attachants et très loquaces contrairement aux personnages impassibles et rigides qu’interprète Randolph Scott ; le soir au coin du feu, un café à la main, ce dernier, ne pouvant guère faire autre chose, se voit souvent contraint d’écouter stoïquement les déblatérations souvent intéressantes et touchantes du "bad guy" qui l’accompagne. Aux travers de ces conversations, les deux êtres se jaugent constamment jusqu’à se rendre compte qu’ils possèdent énormément de points communs et que, hormis le fait de ne pas avoir choisi la même voie à un moment donné, ils se ressemblent sur bien des points. L’éthique et le sens inflexible de l’honneur de Randolph Scott se retrouvent souvent aussi, même si à un degré moindre, chez ses adversaires ; nombreux étant ceux tombés dans le banditisme suite à un malheureux concours de circonstances, dans le fond plus influençables et intellectuellement limités que réellement détestables.

Une autre constante totalement jouissive dans ce cycle westernien (alors que bon nombre de films ultérieurs, et jusqu’à aujourd’hui, "n’en finissent pas de finir") : leur final qui se révèle toujours aussi inattendu que rapide ; il faut avouer que cela fait énormément de bien de se retrouver devant des films aux durées aussi courtes que richement remplies. Nous n’avons pas le temps de nous ennuyer et la chute a beau être parfois abrupte, elle n’est jamais décevante : « La fin de mes films est toujours très rapide. Jamais de discours. J’estime que les derniers plans sont d’une importance capitale. La plus grande erreur que l’on puisse faire, c’est de faire traîner l’histoire pendant une demi-heure, à la fin, alors que l’intrigue est terminée. Dans neuf films sur dix, tout est terminé deux ou trois bobines avant que l’on vous laisse rentrer chez vous… Quand j’arrive à la fin, je n’ai absolument rien à rajouter. Je veux en finir en vitesse et rentrer chez moi en espérant que vous garderez un bon souvenir du film ; mais je ne vais pas vous casser les pieds avec tout un tas de laïus. » (7) Enfin, il ne faudrait pas non plus oublier ce dernier élément très important qu’on ne remarque pas nécessairement tout de suite : ce constant humour sous-jacent avec dialogues laconiques à la clé (dus, de l’avis même de Burt Kennedy, à Boetticher lui-même), qui éclatera au grand jour dans ce monument d’ironie qu’est Buchanan Rides Alone.

Tout ce que nous venons d’évoquer fait qu’il n’y a aucun doute quant au fait qu’aucun autre western plus que ceux du cycle que Budd Boetticher tournera avec Randolph Scott n’a autant influencé des cinéastes comme Sam Peckinpah ou Sergio Leone. Ce "septet" représente à merveille ce point d’intersection entre le classicisme et le modernisme, un véritable "néo-classicisme" comme l’avait décelé André Bazin voici quasiment 50 ans. Après Sept Hommes à abattre, produit par John Wayne et sa compagnie Batjac, Harry Joe Brown prit le relais avec The Tall T, ne changeant pas grand chose à une équipe qui venait de gagner de la plus belle des manières.

« L’Ouest chez Boetticher n’est pas cet espace mythique sur le sol duquel on peut lire, en lettres de sang, la genèse d’une nation - et c’est sans doute pour cette raison que son œuvre, encore aujourd’hui, reste dans l’ombre. Boetticher est un homme modeste qui ne s’occupe que de morale individuelle. Il abandonne aux autres l’écriture de la grande Histoire » écrivait Pascal Sennequier en 2003 dans le numéro de Positif n°509. Il faut découvrir ce géant du cinéma et le faire sortir de l'anonymat relatif dans lequel il demeure, écrasé par la réputation d’autres cinéastes plus prestigieux (les génies que sont aussi Howard Hawks, John Ford, Raoul Walsh, Anthony Mann ou Delmer Daves), mais pas forcément plus importants dans le genre.

  

(1) Amis américains, Bertrand Tavernier, chez Actes Sud

Par Erick Maurel - le 23 janvier 2009