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Kinuyo Tanaka, cinéaste retrouvee

Lorsqu’en 2019 Carlotta signait les droits pour la France du film La Lune s’est levée, deuxième film de Kinuyo Tanaka, l’éditeur français ne s’attendait certainement pas à ce que seulement deux ans après, la rétrospective intégrale des films de la cinéaste devienne l’évènement cinématographique de l’année en ce qui concerne la reprise de "classiques" en salles. Cette redécouverte débuta par la première mondiale au Festival de Cannes de la version restaurée de La Lune s’est levée, puis au Festival Lumière avec, en première mondiale à nouveau, la rétrospective de ses six films en tant que réalisatrice.

En effet, outre qu'avoir été une véritable star dans son pays, l’une des comédiennes les plus emblématiques du cinéma japonais durant un demi-siècle, et ce dès l’époque du muet - se retrouvant à l’affiche devant la caméra dans plus de 200 films -, ainsi que l’une des actrices fétiches de Mikio Naruse, Yasujiro Ozu, Hiroshi Shimizu et surtout Kenji Mizoguchi, Kinuyo Tanaka fut également l’une des premières femmes à décider de passer à la réalisation, la deuxième au pays du Soleil Levant après Tazuko Sakane dans les années 30. Après avoir trouvé un poste de troisième assistante en 1952 sur un film de Mikio Naruse, l’année suivante, à 44 ans, elle pense déjà pouvoir se lancer et tourne donc son premier film, Lettre d’amour, contre l’avis du réalisateur qui l’avait lancée à l’international, Mizoguchi, avec qui elle se brouillera dès cette époque. « Maintenant qu'il y a également des femmes élues à la Diète [le parlement] du Japon, j'ai pensé que ce serait une bonne chose qu'il y ait aussi au moins une femme réalisatrice » disait-elle.

Si son parcours derrière la caméra fut dès le départ semé d’embûches, elle put néanmoins diriger six longs-métrages pour différents studios, six portraits de femmes. Son statut de vedette omniprésente à l’écran donna de la visibilité à ses films et lui permit de travailler avec les grands studios japonais que sont la Shintoho, la Nikkatsu, la Daiei et la Toho. Elle s’entoura des plus grands, aussi bien devant que derrière la caméra, et son corpus peut aujourd’hui se voir en intégralité grâce à la sortie des six films dans ce beau coffret concocté bien évidemment lui aussi avec grand soin par Carlotta.

Du mélodrame intimiste à la fresque historique, en passant par la comédie sentimentale et le récit d’apprentissage, le panel de Kinuyo Tanaka est assez large. Lettre d’amour est un mélodrame autour d’un amour perdu ; La Lune s’est levée, une comédie dramatique familiale à la Ozu centrée sur les amours de trois sœurs ; Maternité éternelle narre le parcours d’une poétesse atteinte du cancer du sein ; La Princesse errante, une fresque historique tirée de l’histoire vraie d’une fille de bonne famille devenue princesse malgré elle ;  La Nuit des femmes, le récit du retour à la vie d’une jeune prostituée ; enfin, Mademoiselle Ogin, une flamboyante odyssée amoureuse en costume. Voyons maintenant plus en détail ce parcours atypique !

Lettre d'amour - 1953

Après-guerre. Reikichi (Masayuki Mori), un soldat démobilisé, vit chez son frère cadet dans son appartement à Tokyo. Homme brillant, il vit pourtant de petits boulots de traduction que lui apporte son frère. Toujours marqué par le conflit mondial récent, il est également obsédé par Michiko (Yushiko Kuga), une amie d’enfance qu’il a aimée avant la guerre et qui a été obligée de se marier durant son absence. Errant dans les rues de Tokyo à la recherche de son amour perdu, il rencontre un ancien camarade de régiment qui lui offre de l’aider dans son travail d’écrivain public. Ils rédigent des lettres en anglais pour les jeunes femmes abandonnées par les G.I.'s américains à qui elles réclament de l’argent. Un jour, Michiko fait irruption pour qu’on lui écrive une lettre...

Pour son premier film - qui représentera le Japon à Cannes en 1954 - Kinuyo Tanaka prend pour cadre urbain de son histoire le Tokyo de l’après-guerre dont elle brosse un magnifique portrait empreint de néoréalisme, les premiers plans montrant d’emblée que le film a été tourné en extérieurs réels, le plus souvent dans l’effervescent quartier de Shibuya avec ses vendeurs ambulants, ses minuscules échoppes éphémères, ses chaussées non encore goudronnées et ses logements de fortune, lieux que l’on retrouve souvent dans le cinéma de Mikio Naruse. Ce dernier, qui a grandement aidé Kinuyo Tanaka à se lancer dans la carrière de réalisatrice, s’est d’ailleurs rendu sur le tournage pour mettre en boîte quelques plans. Il y a en quelques sorte deux films assez différents dans Lettre d’amour : le premier est une sorte de document sociologique sur le Tokyo de cette période difficile pour les Japonais : celle des femmes ayant dû se débrouiller pour survivre durant le conflit suite à la mort au front de leurs époux et qui continuent de le faire quitte à en arriver jusqu’à escroquer leurs anciens amants de passage, les G.I.'s américains à qui elles soutirent de l’argent ; celle des hommes encore traumatisés par la violence des combats et qui ont du mal à reprendre une vie civile dans ce "chaos sociétal d'après-guerre" comme le décrit Yola le Caïnec au sein des bonus du coffret ; et tout un tas d’autres petits détails très intéressants - comme par exemple, cette spéculation sur les revues occidentales - que nous donnent à voir et à nous faire connaitre Tanaka et son scénariste Keisuke Kinoshita et qui font que, pour ceux qui ne sont pas habitués au cinéma japonais, ce premier film pourra paraître "exotique" malgré la grisaille d’ensemble du tableau.


Après une très longue mais passionnante mise en situation quasi documentaire (une bonne demi-heure), l’autre facette du film se dévoile au spectateur et c’est celle du mélodrame. Cette histoire d’amour contrarié met en scène Reikichi, un homme psychologiquement instable et résigné, ancien marin démobilisé qui, entre deux petits boulots n’a de cesse d’aller essayer en pleine ville de se retrouver face à face avec Michiko, son amie d’enfance avec qui il a eu une grande histoire d’amour avant la guerre et dont il a depuis perdu la trace. Cette dernière a entretemps été obligée d’accepter un mariage arrangé par sa famille, a perdu son époux mort au combat et a ensuite fréquenté un soldat américain avec qui elle a eu un enfant. Reikichi tombe sur elle par hasard alors qu’il faisait une sieste à l’arrière du petit local dans lequel il travaille en tant qu’écrivain public ; sans immédiatement la reconnaître; il l’entend alors dicter à son collègue et ami une lettre dans laquelle, pour pouvoir s’en sortir financièrement, elle demande de l’argent au G.I. avec qui elle a eu une liaison. Les deux amoureux finissent par se retrouver mais, alors que Reikichi rêvait depuis plusieurs années au bonheur qui découlerait de cet instant, après une brève pause extatique c’est une certaine aigreur qui fait surface : il lui reproche de façon très acerbe de ne pas avoir cherché à le revoir après le décès de son mari, d’avoir eu une relation avec un Américain et enfin de ne plus avoir de fierté au point de s’abaisser à réclamer de l’argent à un homme. Son frère et son ami le rabroueront avec vigueur pour avoir été si bête et ne pas avoir saisi la chance de pouvoir renouer avec le grand amour de sa vie, la réalisatrice pointant à cet instant du doigt, avec subtilité, la difficulté des hommes à se remettre en question ou à sortir du carcan des codes patriarcaux ancestraux mais sans aucun jugement ni sur les uns ni ni les autres, se montrant au contraire compréhensive envers chacun.


La séquence des retrouvailles de Michiko et Reikichi dans une rame de métro bondée prouve l’aisance de la réalisatrice dans le maniement de la caméra - son lyrisme étant souvent enfoui sous beaucoup de pudeur - tout comme la scène encore plus mémorable sous la pluie au cours de laquelle Michiko et le frère de Reikichi se rencontrent alors qu’ils se trouvent sur les rives opposées d’un canal "bucolique", ou encore ce long plan fixe voyant Michiko, après une dispute avec Reikichi, s’en aller sans se retourner jusqu’au fond du cadre, s’évanouissant petit à petit dans la brume lointaine du parc. Le jeu tout en sobriété de Masauyki Mori et celui tout aussi remarquable de Yoshiko Kuga (à qui la réalisatrice offre quelques sublimes gros plans) font que le couple fonctionne à merveille ; sauf que malheureusement les deux comédiens seront rarement réunis à l’écran. Leurs partenaires les secondent néanmoins parfaitement bien, que ce soit Juzo Dosan qui tient le rôle du jeune frère volubile de Reikichi (qui apporte un peu de légèreté au sein d’un tableau global assez sombre) ou encore Jukichi Uno qui interprète l'ami l’ayant aidé à trouver un travail stable. Malgré un certain déséquilibre entre les deux aspects du film, le drame romanesque prenant à mi-parcours un peu trop le pas sur la description de la société japonaise de l'immédiate après-guerre, avec notamment une surenchère dramatique dans le finale, Lettre d’amour se révèle être un très beau premier film à la mise en scène fluide et élégante, non dénuée pour autant de moments de pures fulgurances stylistiques et de délicats mouvements de caméra, la réalisatrice portant un regard empathique, mélancolique et naturaliste sur ce Tokyo meurtri, témoins ces deux amoureux qui ne parviennent qu'avec beaucoup de difficultés à recoller les morceaux.

La Lune s'est levée - 1955

Monsieur Asai vit à Nara auprès de ses trois filles : l’aînée Chizuru (Hisako Yamane) qui vient de perdre son mari, la cadette Ayako (Yoko Sugi) en âge de se marier mais a priori peu pressée de quitter le domicile familial, et enfin la benjamine Setsuko (Mie Kitahara) plus moderne et exubérante qui rêve de partir habiter une ville plus vivante comme Tokyo. Setsuko s’entend parfaitement bien avec Shoji (Shoji Yasui), le frère du défunt mari de Chizuru. Ensemble ils vont jouer les entremetteurs pour Ayako, qu’ils voient bien épouser Amamiya (Ko Mishima), un ami de passage qui se souvient avec émotion des rares moments passés aux côtés de la cadette durant sa jeunesse. En opérant leur "mission", les marieurs amateurs vont encore se rapprocher...

Ce n’est pas parce qu’elle se sera tournée vers la réalisation que Kinuyo Tanaka aura mis fin à sa carrière d’actrice. La preuve, entre ses deux films derrière la caméra elle aura joué le rôle principal dans trois autres, dont deux sous la direction de Kenji Mizoguchi avec notamment le grand classique qu’est L’Intendant Sansho. Autant dire qu’elle n’était pas rancunière car souvenons-nous que le grand cinéaste japonais fut l’un des rares à ne pas l’avoir soutenue dans sa démarche de passer à la mise en scène : au contraire, il l’en avait même fortement dissuadée. Quoi qu’il en soit, après un premier essai dans la lignée du cinéma de Mikio Naruse avec Lettre d’amour, La Lune s’est levée ressemble au contraire énormément à celui de Yasujiro Ozu. Et pour cause, le réalisateur de Voyage à Tokyo en est le scénariste ; c’est une histoire qu’il a écrite avec Ryosuke Saito en 1947 et qu’il comptait bien mettre en scène lui-même. Mais pour diverses raisons - dont certaines liées à la guerre que se livraient les grands studios - à nombreuses reprises retardé, c’est Kinuyo Tanaka qui reprendra le projet qui aboutira à cette très jolie comédie de mœurs, dans sa première partie assez proche du badinage, le caractère primesautier de la première heure faisant ensuite place à un ton un peu plus dramatique, le déséquilibre moyennement harmonieux entre les deux étant à nouveau le point faible de ce deuxième film. En exagérant, c'est un peu comme si nous passions d'Ernst Lubitsch à Douglas Sirk en l’espace de quelques séquences.


Le récit met en scène trois sœurs qui vivent toujours sous le toit de leur veuf de père interprété par l’un des acteurs emblématiques d’Ozu, Chishu Ryu, qui ici n’a à vrai dire pas grand-chose à faire. L’ainée vient de perdre son époux et restera tout comme le père assez en retrait de toute l'effervescence amoureuse qui va se jouer durant cette histoire. C’est surtout à Setsuko, la benjamine, que s’identifie la réalisatrice, une jeune fille enjouée, dynamique, parfois un peu capricieuse et surtout très moderne, toujours vêtue de vêtements occidentaux contrairement aux autres membres de sa famille ; une sorte de cousine orientale de nombreux personnages interprétés par Audrey Hepburn. Étant persuadée que sa sœur cadette est amoureuse d’un ami de la famille de passage dans leur petite ville, elle va vouloir se mêler de leurs affaires en s’octroyant le rôle d’entremetteuse. Elle trouve de l’aide auprès de Shoji (le comédien Shoji Yasui que l’on retrouvera plus tard dans le sublime La Harpe de Birmanie de Kon Ichikawa), le frère de l’époux décédé de sa sœur avec qui elle s’entend merveilleusement bien sans encore se douter que plus que de la complicité, c’est de l’amour qui s’éveille entre eux deux. A l'aide d'une mise en œuvre très théâtrale, après avoir pleinement accompli sa mission en réussissant à faire se constituer le couple, Setsuko se rendra alors seulement compte des sentiments qui la lient à Shoji. Le badinage fait alors place à une romance plus grave d’autant que Setsuko et Shoji n’ont pas spécialement les mêmes aspirations, la jeune femme voulant habiter Tokyo alors même que son amoureux - un personnage lui aussi très attachant - vient de refuser un poste dans la capitale par abnégation, afin de donner sa place à un ami dans le besoin.


Si l’on reconnait très bien la patte d’Ozu à travers le scénario, le film de Kinuyo Tanaka, aussi plaisant et subtil soit-il, ne possède cependant pas la précieuse poésie des films du maître japonais, cette petite musique unique, immédiatement reconnaissable, à la fois "guillerette" et triste, mélancolique et apaisante... dépouillée, la magie d’une harmonie entre ses plans fixes et ses éléments musicaux. On sent que la réalisatrice tente à quelques reprises de s'approcher au plus près de ce style si particulier sans néanmoins vouloir à tout prix le copier, sa grammaire cinématographique étant différente, sa caméra bien plus mobile, son montage beaucoup plus découpé. D'ailleurs, ses plans sont extrêmement bien composés, ses cadrages sont rigoureux, les décors de la maison familiale et des temples alentours parfaitement bien utilisés et son film est vraiment très agréable à l’œil. De plus, Tanaka dirige parfaitement bien ses acteurs et se donne même un petit rôle assez cocasse, celui de la servante à qui Setsuko va donner des cours de.... comédie ! Enfin, derrière ces chassés-croisés amoureux proches souvent du marivaudage, avec acuité et élégance Tanaka nous brosse un intéressant portrait sociologique du Japon du milieu des années 50, un pays en pleine mutation, et observe la place et le sort de la femme dans une société entre traditionalisme et modernisme.

Maternité éternelle - 1955

Fumiko (Yumeji Tsukioka) est une femme mariée avec deux enfants en bas âge. Son union bat de l’aile d’autant que son époux a une maitresse. Pour s’évader de son morne quotidien, elle écrit de la poésie et fréquente un club littéraire aux côtés de deux amis d’enfance, Kuniko et son mari Takachi. Fumiko a toujours été secrètement amoureuse de ce dernier, qui l’a constamment soutenue dans son désir de création littéraire. Après avoir surpris son mari la tromper, Fumiko demande le divorce et vient vivre chez sa mère. C’est un autre déchirement de devoir laisser partir son fils chez son ex-mari. Peu de temps après, elle ressent de vives douleurs dans la poitrine, on lui découvre un cancer du sein et elle est hospitalisée à Sapporo...

Le troisième film de Kinuyo Tanaka est l’adaptation du livre Les Seins éternels écrit par un journaliste qui fut amant de la poétesse japonaise Fumiko Nakajo dont il raconte l'histoire. Une femme courageuse et irrévérencieuse qui osa exprimer avec une rare franchise à travers ses poèmes ses sentiments les plus profonds voire même décrire ses épreuves et sa détresse, quitte à indisposer les bien-pensants de cette société japonaise encore bien conservatrice dans les années 50, au sein de laquelle il valait mieux réfréner ses sentiments et subir sa vie conjugale en silence. La note d’intention de la réalisatrice était alors celle-ci : "Lors de la première lecture de ce livre, j’ai eu un choc considérable. L’intuition féminine y est décrite sans fard, avec un dynamisme incroyable et dans une atmosphère très poétique. Je souhaiterais réaliser ce film en y mettant toute ma vie." Étant ce coup-ci seule à l’origine du projet par le choix du sujet, s’affranchissant ici pour la première fois de l’influence des autres cinéastes nippons tels Naruse ou Ozu, Tanaka accouche avec Maternité éternelle d’un film remarquable, toujours d'une belle sensibilité mais cette fois en même temps étonnement insolent et moderne. Pour ce faire, elle rencontre d’abord l’écrivain qui dans son ouvrage narrait les dernières années de la vie de sa maitresse - qui malgré sa maladie continuera à assumer une vie amoureuse et sexuelle et qui mourra à seulement 31 ans - puis choisit une femme pour scénariste, Sumie Tanaka, par la volonté de vouloir absolument "décrire une femme du point de vue d’une femme". Et l’on ne peut que constater, au vu du résultat final, que les deux Tanaka ont pleinement rempli leur mission tellement il est difficile d’imaginer qu’un homme ait pu aller aussi loin à cette époque dans la description du quotidien dramatique de cette femme, que ce soit au sein de son couple ou dans l'épreuve de la maladie.


Le film est d’ailleurs, comme les précédents, en quelque sorte découpé en deux parties, la première abordant la vie familiale de Fumiko, la seconde débutant à partir de son hospitalisation, la jeune femme n’allant ensuite quasiment plus sortir des établissements de soins. La première moitié se déroule dans les paysages campagnards des plaines d’Hokkaido que l’on a eu assez peu l’occasion de voir dans le cinéma japonais de l’époque, ce qui rend déjà rien que pour ces éléments "décoratifs" le film très précieux. L’on découvre une femme qui adore ses enfants, sa principale raison de vivre, mais qui ne s’entend plus avec un mari qui semble la mépriser, qui lui ment et qui la trompe. Elle trouve cependant une échappatoire à ce lugubre quotidien en fréquentant un club littéraire pour lequel elle compose des Tankas, des courts poèmes sans rimes, ancêtres des Haïkus. Des poésies franches et sans concessions qui ne sont pas sans désarçonner certains de ses lecteurs encore attachés aux traditions et coutumes ancestrales ; elle se défend en disant qu'elle "cherche à écrire la réalité du chaos". Elle se rend à ces réunions avec deux amis d’enfance formant désormais un couple, le mari et elle étant néanmoins secrètement amoureux l’un de l’autre depuis de nombreuses années sans que jamais rien ne se soit passé entre eux. L’on devine toutes les pistes dramatiques lancées dès le début par la réalisatrice et, en effet, le film est composé de nombreuses et courtes séquences filmées dans de multiples décors qui donnent au film un rythme assez soutenu d’autant que les recherches formelles sont bien plus mises en avant que lors de ses deux films précédents. Le spectateur ne compte plus les idées, plans, cadrages ou scènes audacieuses ou (et) mémorables, le tout grandement aidé par une prestation totalement habitée par l’actrice Yumeji Tsukioka qui porte vraiment tout le film sur ses épaules malgré le talent de ses partenaires. Une héroïne volontariste dont le parcours n’est pas un peu sans rappeler celui de la réalisatrice pour parvenir à se faire accepter au sein d’un monde artistique dominé par les hommes.


Puis l’homme pour qui elle concevait une passion cachée meurt et elle apprend avoir un cancer du sein après avoir supporté des douleurs à la poitrine depuis longtemps sans rien dire. A partir du moment où celles-ci ne deviennent plus supportables, elle est hospitalisée. Dès lors, on ne quittera quasiment plus des lieux bien plus confinés à quelques exceptions près dont la scène sublime de sa "fugue", la poétesse allant écrire au sein d’admirables paysages bucoliques, ou encore cette autre séquence fameuse du fait d’avoir sans nul doute choqué beaucoup de spectateurs, celle où elle va prendre un bain chez son amie veuve depuis peu à qui elle avoue alors en riant qu’elle était amoureuse de son mari et éprouver un bien fou d'être dans la baignoire où se prélassait tout récemment son défunt époux. Le personnage de Fumiko ne faiblira presque pas, ne perdra jamais cette espièglerie, ce culot, cette insolence, cette soif de liberté et son désir amoureux. Ne souhaitant aucune compassion ni pitié, après avoir refusé qu’un journaliste vienne écrire sur elle dont on vient de publier à Tokyo les premiers poèmes alors même qu’on la sait gravement malade, elle en tombe amoureuse ; leur liaison représentera pour elle les jours les plus heureux de sa vie. Les séquences qui les rassemblent dans la dernière partie du film sont d’une étonnante sensualité, presque inconcevables pour l’époque. Kinuyo Tanaka et sa scénariste font donc preuve d'une grande maturité pour aborder frontalement des sujets tabous et n’hésitent pas à montrer sans aucun voyeurisme une poitrine dénudée, à nous faire assister à une ablation du sein et à filmer des prothèses mammaires : des images probablement dérangeantes l’année de la sortie du film. Un véritable regard féminin pour un film remarquable d’une grande liberté de ton, d’une évidente beauté formelle et qui ne manque pas d'audace à l’image de sa musique tour à tour guillerette (avec utilisation du xylophone ou de l'accordéon) et quasiment avant-gardiste. Une œuvre qui n’est jamais aussi puissante que lorsqu’elle filme le désir. Vous avouerez que pour un film sur la maladie, c’est très fort ! Et cela n'empêche pas la cinéaste, une fois encore, d’en dire beaucoup et avec énormément de sincérité sur la condition féminine au Japon en ce milieu de 20ème siècle.

La Princesse errante - 1960

Tokyo, 1937. Ryuko (Machiko Kyo) est une jeune fille de l’aristocratie japonaise qui se rêve en artiste peintre. Elle vit avec insouciance auprès de ses parents et de sa grand-mère dans une luxueuse demeure familiale. Lorsque le général Asabuki se fait l'ambassadeur de l'Armée pour proposer un mariage entre Ryuko et Futetsu, le frère cadet de l'empereur de la Mandchourie, la famille est dans un premier temps réticente. Mais la raison politique, le prestige et une première rencontre au cours de laquelle Futetsu fait bonne impression finissent de convaincre. Le mariage est célébré le 3 avril 1937 et Ryuko quitte le Japon avec son époux. Ils vivent heureux et ont un enfant, mais leur bonheur est interrompu lors de l’invasion soviétique de la Mandchourie en 1945...


En 1958, alors qu’elle venait de triompher devant la caméra de Keisuke Kinoshita dans La Ballade de Narayama, Tanaka déclare à un journal japonais à propos de son travail de cinéaste : “Je traverse en ce moment une période d’hésitation et je n’arrive pas à me décider. Je me dis que je vais y arriver mais je reste sans rien faire quand même. Je pense que je vais vraiment arrêter le métier de réalisatrice. Avant d’arriver derrière la caméra, j’éprouve la même fatigue que si je venais de jouer un rôle.” Mais très peu de temps après la publication de La Tragédie de la cour de Mandchourie, les mémoires de Hiro Saga, épouse du frère de Puyi, dernier empereur de Chine, devenu empereur du Mandchoukouo en 1934 (celui-là même dont la biographie a été narrée par Bernardo Bertolucci dans Le Dernier Empereur), un projet d’adaptation cinématographique est pressenti. Il aboutit entre les mains de Kinuyo Tanaka qui, après cinq ans d’absence derrière la caméra, va multiplier à cette occasion les premières fois puisqu’elle tourne alors pour un grand studio (la Daei) avec un très gros budget à la clé, en couleurs et en format scope. Cette coûteuse production avec pour vedette la star maison, Machiko Kyo, bénéficiera d’une direction artistique somptueuse, le film étant un véritable régal pour les yeux, que ce soit au niveau des décors, des costumes et de la photographie qui nous offre pas mal de plans inoubliables.


La Princesse errante est une fresque historique qui s’articule autour d’un personnage féminin et qui rend ainsi l’entreprise assez singulière pour l’époque même si ce ne fut pas la première. Les noces entre Ryuko et Pujie avaient pour principal enjeu de renforcer la position du Japon en Chine alors qu’il occupait la Mandchourie. Une union qui aurait pu se dérouler très sereinement et durant de longues années d’autant que les deux époux s’entendirent à merveille malgré le mariage arrangé. Sauf que l’Armée Rouge soviétique venue libérer cette province chinoise de l’emprise japonaise mit fin à cette belle idylle, la femme devant prendre la fuite en compagnie de sa fille et de l’impératrice. Un périple dangereux et fastidieux qui se terminera néanmoins par son retour au Japon après des années d’exil. On comprend aisément ce qui a pu attirer Kinuyo Tanaka dans cette destinée tragique et tumultueuse d’une femme hors du commun. Elle sera aidée dans sa tâche par une autre femme, la scénariste Natto Wada, épouse de Kon Ichikawa qui écrira pour lui ses plus beaux films dont le magnifique La Harpe de Birmanie.


Admiré par beaucoup, il n’est pourtant pas interdit de penser que La Princesse errante marque les limites de la réalisatrice. En même temps, combien de cinéastes hollywoodiens parmi les plus prestigieux se sont eux aussi cassés les dents sur de telles superproductions, incapables de donner du souffle épique à leur fresque historique, figés notamment par l’utilisation du Cinémascope. C’est malheureusement ce qui arrive aussi à Kinuyo Tanaka qui, à mon humble avis, nous offre un film à la direction artistique certes irréprochable, raffinée et délicate, mais qui n'arrive jamais vraiment à décoller et ressemble bien plus à un beau livre d’images sans vie ni âme et aux personnages désincarnés qu'à une ample fresque passionnée. Il aurait aussi peut-être fallu un minimum de didactisme (au sens noble du terme) afin de pouvoir appréhender et comprendre tous les enjeux historiques de ce récit assez peu clair de ce point de vue, tout du moins pour un spectateur occidental. Cependant on ne relève rien de honteux non plus et il est fort probable que beaucoup parviendront à se laisser happer par cette soigneuse épopée tragique d’une belle dignité mettant une fois encore en avant la difficulté de la condition féminine au Japon, le tout porté par une musique lyrique de Chuji Kinoshita.


la nuit des femmes - 1961

La prostitution étant désormais interdite au japon, ceux qui en faisaient leur métier ont pour beaucoup atterri dans des centres de réhabilitation. La bienveillante directrice de l’un d’entre eux fait tout pour trouver du travail à ses pensionnaires. C’est ainsi que la jeune Kuniko (Chisako Hara) est placée tour à tour dans une épicerie, dans une manufacture puis chez un pépiniériste ; mais à chaque fois que son ancienne condition remonte à la surface, elle se voit obligée de quitter son poste à cause de la concupiscence de ses collègues masculins ou de la jalousie de la gent féminine. Et même lorsqu’elle tombe amoureuse, son passé la rattrape encore : si son amant est prêt à tirer un trait sur sa vie antérieure, ses parents voient cette relation d’un mauvais œil...


Le cinquième film réalisé par Kinuyo Tanaka aborde le sujet du sort des anciennes prostituées après la fermeture des maisons closes suite à la loi de 1958 interdisant la prostitution ; loi d’ailleurs adoptée suite aux polémiques suscitées par le dernier film de Kenji Mizoguchi, La Rue de la honte. Le récit prend place dans une des innombrables maisons de réhabilitation ouvertes à cette époque par le ministère de la Justice et dont le but était au mieux de réinsérer ces femmes dans la vie active. Tanaka et sa scénariste, qui avaient déjà travaillé ensemble sur Maternité éternelle, vont fréquenter ces lieux durant plusieurs semaines pour se documenter. En 1961, la réalisatrice disait à un journaliste ce qu'elle avait voulu montrer à travers son film : “On a tendance à parler de réhabilitation facilement mais je suis allée rencontrer des femmes de ce métier et j’ai été très surprise. Ce n’est pas le genre d’activité pour laquelle on peut dire dans un film qu’il faudrait faire ceci ou cela. On ne peut pas non plus résoudre ce problème comme ça et leur faire la morale. Cela ne veut naturellement pas dire qu’il faille nier que cela existe, n’est-ce pas ? Au bout du compte, j’espère avoir montré l’humanité de ces filles et le fait qu’elles ont quelque chose de pur...” Mission pleinement accomplie par le duo Tanaka (aucun lien de parenté cependant) puisque La Nuit des femmes s’avère à nouveau après leur premier travail en commun une formidable réussite, aidée en cela par la prestigieuse Toho (le studio de Kurosawa entre autres) qui accorda à la réalisatrice un budget conséquent et lui attribua ses plus grands artistes, avec par exemple Asakazu Nakai à la photographie (somptueuse) ou Hikaru Hayashi dont tout le monde se souvient pour sa musique entêtante pour L'Île nue de Kaneto Shindô.


Alors que le centre de réinsertion décrit dans le film est constitué d’une conséquente galerie de femmes hautes en couleurs, dont une étonnante vieille lesbienne roublarde, le récit va surtout suivre le parcours chaotique de la jeune Kuniko, très encline à retrouver sa place au sein de la société en espérant dans le même temps échapper à son ancien proxénète. Malgré sa motivation, son courage et ses nombreux talents, son passé une fois connu de ses différents employeurs va être un frein brutal à la poursuite de ses divers emplois. Elle devient victime de concupiscence, de harcèlement et même de jalousie de la part de ses collègues féminines qui iront jusqu’à la torturer lors d’une séquence assez hallucinante de violence mais néanmoins sans complaisance. Avant cela, elle aura dû abandonner son poste dans une petite épicerie après avoir humilié sa patronne et s’être vengée du mépris qu’elle lui vouait en la cocufiant, cette fois au sein d’une séquence absolument pas dramatique mais assez cocasse, proche de la comédie. Un mélange des genres qui aurait facilement pu être casse-gueule mais qui participe au contraire de la formidable vitalité et de la réjouissante inventivité du film. Un patchwork de tons étonnement harmonieux, la comédie, le drame, l'aspect social et la romance se succédant sans que jamais le ressenti d'ensemble ne paraisse déséquilibré ou saccadé, des séquences d’une extrême sensibilité pouvant suivre d'autres d'une grande trivialité sans que jamais cela ne choque, l’essentiel étant pour les auteurs de nous livrer le plus efficacement possible un sincère plaidoyer pour la réinsertion des prostituées et leur acceptation dans la société.


La Nuit des femmes est sur le fond comme sur la forme un film annonciateur de la nouvelle vague japonaise tournant beaucoup autour de la jeunesse turbulente des années 60 avec à sa tête Nagisa Ôshima. Comme c’était le cas pour Maternité éternelle, le film est composé de nombreuses et courtes séquences filmées dans de multiples décors qui donnent à l’œuvre un rythme assez soutenu. La beauté formelle de l’ensemble, la qualité de la photographie en scope noir et blanc ainsi que de la musique, la modernité et l’audace du scénario, le tout aidé par une interprétation mémorable de la jeune Chisako Hara font de ce cinquième long métrage une superbe réussite, au cours de laquelle Kinuyo Tanaka se venge en quelque sorte de tous les personnages semblables qu’elle a interprétés tout au long de sa carrière et qui finissaient la plupart du temps très mal, en sauvant cette fois son héroïne et en terminant sur une note plutôt optimiste quoique nimbée d’amertume. Car même si elle n’est pas retombée dans la fange (comme dans le roman adapté), le sort de l’énergique Kuniko est-il si enviable que cela alors qu’un mari aimant avait pu se présenter à elle (leur union ayant été condamnée par les parents de l’homme qui n’ont pas accepté d’avoir pour bru une ancienne prostituée) ? Puisque je ne vous dévoilerai pas l'épilogue, à chacun de se faire une idée, mais entretemps, tout au long de leur film assez sombre - mais pourtant dynamique et porteur d’espoir -, les auteures nous aurons fait réfléchir avec intelligence sur la prostitution (notamment lors d’une séquence étonnante au cours de laquelle Kuniko s’interroge sur le bien-fondé ou non de cette profession) et sur le sort de ces femmes qui ne parviennent que difficilement à échapper à l’hostilité et à la suspicion, décrivant sans fard et sans œillères l’hypocrisie de la société japonaise bien-pensante de ce milieu des années 50. Un film superbement écrit, réalisé et interprété, qui sonne toujours juste et qui tape là où ça fait mal.


mademoiselle Ogin - 1962

À la fin du 16ème siècle, alors que le christianisme est proscrit au Japon, Mademoiselle Gin (Ineko Arima), la fille d'un maître de la cérémonie du thé, tombe amoureuse du samouraï Ukon (Tatsuya Nakadai) qui est chrétien. Le guerrier refuse ses avances, préférant se consacrer à sa foi ; Gin est alors forcée de prendre pour époux un riche commerçant qu’elle n’aime pas et à qui elle refuse sa couche. Pour se venger, ce dernier propose sa femme comme concubine au général Hideyoshi, qui avait autrefois remarqué la beauté de la jeune fille et qui règne avec une main de fer sur le pays. Quelques années plus tard, Ukon revient et avoue son amour à Ogin, qui ne souhaite plus qu’une chose : divorcer pour reprendre sa liberté...


Et c’est avec ce film historique en costumes traditionnels (genre nommé au Japon le jidaï-geki) se déroulant au 16ème siècle, à l’instar des plus célèbres œuvres de Mizoguchi, que s’achève la carrière de Kinuyo Tanaka derrière la caméra. Sur le plan stylistique et notamment rythmique, il est très différent de l’autre film historique de Tanaka, La Princesse errante, pour lequel la réalisatrice avait voulu imposer un tempo analogue à ses films précédents basé sur une succession assez rapide de séquences toutes assez brèves ; sauf que si cette approche collait parfaitement bien à ses films plus intimes, elle ne s’harmonisait pas vraiment à sa fresque, le film ne parvenant jamais par ce choix à trouver l’ampleur voulu par un tel sujet. Il n’en est pas de même pour Mademoisse Ogin qui, pour la première fois, adopte une cadence presque contemplative, Tanaka parvenant à trouver la juste durée pour chacune de ses scènes, jamais trop courtes ni jamais trop longues, le spectateur parvenant à rester captivé tout du long par la sorte de fascination qu’exerce la gestion formelle du film. Kiunyo Tanaka dira avoir lu le roman de Toko Kon plus de 30 fois tant elle était obsédée par l’idée de le porter à l’écran : "J’aimerais apporter mon expérience de quinze ans de jidai-geki avec Kenji Mizoguchi ; si le maître était encore vivant, j’aurais certainement fait ce film en tant qu’actrice." Et au final, la cinéaste n’aura pas trop à rougir de la comparaison tant son film se révèle être une nouvelle réussite, son regard féminin faisant que son héroïne ne sera jamais assujettie avec servilité comme chez Mizoguchi mais maintiendra constamment la tête haute.


L’histoire que raconte le film prend pour principaux protagonistes des personnages ayant réellement existé, et sa trame principale tourne autour d’un amour contrarié entre une jeune femme - fille du maître de thé - qui veut être libre de ses choix et un samouraï marié qui préfère sa religion à l’amour. La période en toile de fond est celle des persécutions envers les Japonais de l’époque convertis au christianisme. La religion du samouraï étant justement celle-ci, le Japon l’ayant banni et ayant décidé que ses adeptes seraient persécutés et exécutés, on imagine tous les ressorts dramatiques que pouvait receler un tel récit. A travers cette fresque historique, Tanaka a pu une dernière fois nous offrir un superbe portrait de femme, celui d’une jeune fille forte et moderne qui décide de vivre selon "ce que lui dicte son cœur", se moquant des convenances et des traditions, voulant surtout s’affranchir de l’assujettissement des hommes et pouvoir choisir elle-même son compagnon. Pour sauver celui sur lequel elle a jeté son dévolu, elle acceptera de se marier à un riche commerçant mais elle refusera toujours d’accomplir son devoir conjugal. Ce dernier se vengera en offrant son épouse comme concubine au farouche et omnipotent seigneur gouvernant le pays. Ce n’est pas pour autant qu’elle cèdera aux avances de ce dernier, digne et droite jusqu’à la fin.


Mademoiselle Ogin, c'est une lenteur contemplative sans tomber dans l’excès, une sobriété et une fluidité narrative, la somptuosité de sa direction artistique que ce soit dans la photographie, le choix des paysages, les décors et les costumes, la douceur d’une mise en scène subtile, ample et lyrique sans exagération grandiloquente et enfin une direction d’acteurs absolument impeccable. Pour ce genre de films habituellement dévolus aux cinéastes les plus chevronnés, c’est une sorte d’accomplissement et de reconnaissance pour la réalisatrice qui a su parfaitement gérer son matériau d’origine ainsi que le budget conséquent qu’elle a eu à sa disposition. Sa maîtrise de la composition et des cadrages fait que de nombreux plans font penser à des tableaux. Si Tanaka a pu se lancer dans ce défi un peu fou, c’est grâce au fait que le film ait été produit par une société de production indépendante, le Ninjin Club, fondée par les actrices Keiko Kishi, Yoshiko Kuga et Ineko Arima, qui visait à garantir la liberté de travail des acteurs face aux contraintes des grands studios. Et du coup, un casting prestigieux dominé par la merveilleuse interprétation d'Ineko Arima vient entériner la réussite de cette attachante tragédie romantique en costumes.


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Au début des années 60, les studios japonais commencent à décliner : les films de Kinuyo Tanaka représentent avant tout pour les jeunes réalisateurs de la Nouvelle Vague japonaise un cinéma un peu désuet. Elle arrête donc sa carrière derrière la caméra et en tant qu’actrice ne fera principalement plus que de brèves apparitions de prestige, se tournant ensuite surtout vers la télévision. En seulement six films, son œuvre aura rendu directement ou indirectement hommage à trois des plus grands cinéastes de l’âge d’or, Mikio Naruse, Yasujiro Ozu ainsi que son mentor Kenji Mizoguchi. Mais c’est paradoxalement en s’affranchissant de ces écrasantes références qu’elle parviendra à réaliser à mon humble avis ses plus beaux films, ceux aux travers desquels son regard féminin fait toute la différence, les deux pour lesquels elle se sera associée avec la scénariste Sumie Tanaka, Maternité éternelle ainsi que La Nuit des femmes. Après avoir interprété d’innombrables femmes victimes de l’asservissement des hommes, Kinuyo Tanaka aura offert en tant que réalisatrice six portraits de femmes dont la principale préoccupation aura été de s’en affranchir au contraire, six femmes audacieuses et progressistes qui garderont la tête haute contre vents et marées. Merci à Carlotta de nous avoir permis de découvrir cette cinéaste à la courte mais passionnante filmographie !

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Par Erick Maurel - le 7 novembre 2022