
1. 2001 : L’Odyssée de l’Espace (Stanley Kubrick, 1968)
2. Persona (Ingmar Bergman, 1966)
3. Psychose (Alfred Hitchcock, 1960)
4. La Dolce Vita (Federico Fellini, 1960)
5. 8 ½ (Federico Fellini, 1963)
6. Il était une fois dans l’Ouest (Sergio Leone, 1968)
7. L’Homme qui tua Liberty Valance (John Ford, 1962)
8. Barberousse (Akira Kurosawa, 1965)
9. Andreï Roublev (Andreï Tarkovski, 1966)
10. L’Année Dernière à Marienbad (Alain Resnais, 1961)
11. Les Oiseaux (Alfred Hitchcock, 1963)
12. La Fièvre dans le Sang (Elia Kazan, 1961)
13. Satyricon (Federico Fellini, 1969)
14. L’Incompris (Luigi Comencini, 1966)
15. Léon Morin, Prêtre (Jean-Pierre Melville, 1961)
16. L’Avventura (Michelangelo Antonioni, 1960)
17. Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968)
18. Le Voyeur (Michael Powell, 1960)
19. Viridiana (Luis Buñuel, 1961)
20. Les Yeux sans Visage (Georges Franju, 1960)
Et voici mes tops 10 annuels. Comme pour les décennies suivantes, j'ai bricolé des commentaires avec une contrainte (ne jamais dépasser 500 caractères par notule) et ajouté quelques suppléants chaque année, à raison de cinq maximum et à condition de leur accorder la note minimum de 5/6.
1960
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1. Psychose – Alfred Hitchcock
Lorsqu’à la fin Hitchcock fait entendre la voix intérieure de son Norman Bates, qui fixe le public droit dans les yeux, la profession de foi est sans équivoque. Nous voyons. Nous voyons et nous savons : au sommet de son art, il vient de signer un hallucinant manifeste, un piège construit en cercles concentriques de plus en plus étroits et profonds, établissant une progression implacable dans l’asphyxie, l’enlisement, sans emphase spectaculaire et sans élision. Un cauchemar d’une pureté absolue.
2. La Dolce Vita – Federico Fellini
Fellini braque sa caméra sur la faune insolite de la Via Veneto, et c’est l’univers entier qui semble au bord du précipice. Sa peinture en scope noir et blanc dévoile le triste pourrissement d’un monde mourant d’un excès de civilisation, fait entendre le cri de la désillusion pour toutes les figures factices et insignifiantes de l’enfer social. Soit, derrière l’opulence baroque et la richesse fantasmagorique des images, une quête effrénée du bonheur qui masque le plus amer des désirs de salut.
3. L’Avventura – Michelangelo Antonioni
On le sait, ce film a eu besoin de bons avocats. Construit autour du vide et de la nudité figurative, le récit emprunte aux poncifs du drame mondain puis de l’intrigue policière pour s’en détacher très vite, partir à la recherche de la sensation pure, dérober tous les dons du latent à l’apparence, suivre un couple moderne dans des environnements subissant des processus de désertification allégorique. En un mot, enregistrer ce fameux réalisme intérieur qui ne cessera de préoccuper Antonioni.
4. Le Voyeur – Michael Powell
Ce Peeping Tom scoptophile est comme un Jack l’Éventreur moderne qui aurait trop vu Un Chien Andalou et Fenêtre sur Cour. Impossible en tout cas de relever toutes les paraboles d’une œuvre qui dans son entier en est une, et où les fantasmes et les codes de représentation sont centrés, explicités, posés au milieu de la table avec la plus grande naïveté ou la plus totale perversité, c’est selon. Un cinéma du je et du jeu, qui confond le Moi et l’œil de la caméra : un cinéma au stade du miroir.
5. Les Yeux sans Visage – Georges Franju
Horreur clinique, atmosphère envoûtante, poésie de l’étrange faisant intervenir la beauté au sein même du cauchemar, avec une grâce surnaturelle. Le joyau de Franju ne relève pas seulement du cinéma d’épouvante, il retrouve surtout un certain type de stupeur et de sidération propre au cinéma muet, à son grain, à son clignotement médiumnique, à sa lumière d’outre-monde. C’est pourquoi, au-delà des années, sa parfaite alchimie conserve le mystère, la fascination, la profondeur d’un gouffre noir.
6. La Garçonnière – Billy Wilder
C.C. est un perdant, jamais le premier ni l’éternel second, le troisième en tout comme le signalent d’ailleurs ses initiales. Subordonné aux mécanismes déshumanisants du conformisme et de l’efficacité, il reste pourtant un homme bon, notre frère parmi les intrigues, pièges et tentations du monde des bureaux, où celui qui ne se soumet pas au jeu du pouvoir perd tout espoir de réussite. Un des sommets les plus éblouissants de Wilder, dont le moralisme satirique révèle ici un romantisme inavoué.
7. Le Trou – Jacques Becker
Entre les murs où ils concentrent leur volonté à s’évader, cinq prisonniers coupent, scient, percent le bois, le fer, le sable, le ciment, entaillent un temps méticuleusement compté. Chaque plan a sa densité, chaque geste son poids dramatique, et l’érosion qui a cours est seulement humaine. Tout en précision et en rectitude, ce film sans digression ni ellipse déboule vers le but avec le minimum de feintes, chante le combat de l’homme sur la matière, et y trouve plus que sa morale : sa grandeur.
8. Le Fleuve Sauvage – Elia Kazan
L’histoire d’une double lutte : contre les ravages de l’eau et un attachement à la terre qui refuse la "civilisation". Comme beaucoup de films de Kazan, celui-ci est une réflexion sur les rapports de l’être au temps, dans son étendue historique : enracinement du passé, dynamisme optimiste du présent, conquêtes d’un avenir meilleur mais impliquant maintes pertes compensatoire. Et si tout le monde a ses raisons, c’est la nature qui dicte au récit sa calme transparence et son lyrisme à la Thoreau.
9. Liaisons Secrètes – Richard Quine
Elle et lui, ou l’éternelle histoire d’une passion contrariée. Larry est le type même de l’Américain qui a réussi au prix de renoncement à ses plus hautes aspirations, Maggie celui de la bourgeoise installée dans la quiétude matérielle. Et le film un diamant magnifiquement poli, tout de douceur inexprimable, d’attention aux palpitations du sentiment, du désarroi et du désir, où Kirk laisse sourdre le choc de ses contradictions internes et où la sensuelle Kim prouve que l’érotisme est un regard.
10. Celui par qui le Scandale Arrive – Vincente Minnelli
Chez Minnelli on avance, on danse, on parle comme on est. Ce credo va plus loin que le constat des différences sociales ou culturelles et consiste à montrer à quel point les personnages se nourrissent de leur milieu. Ainsi de cette œuvre flamboyante et tourmentée où le tragique naît moins des affrontements que des tentatives de transplantation : le poète et le chasseur peuvent vivre ensemble, à condition de ne pas vouloir se substituer l’un à l’autre. On ne change impunément sa façon de marcher.
Sur le banc : La Ciociara (Vittorio De Sica), Elmer Gantry, le Charlatan (Richard Brooks), La Lettre Inachevée (Mikhaïl Kalatozov), Samedi Soir et Dimanche Matin (Karel Reisz), Spartacus (Stanley Kubrick)…
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1. L’Année Dernière à Marienbad – Alain Resnais
Un labyrinthe de couloirs qui semblent se ramifier jusqu’au vertige, des enfilades de salles somptueuses, un jardin baroque d’une sévère géométrie, des phrases-leitmotiv parlant de corridors mais aussi d’amour, de regrets, de mémoire. Le temps se montre capricieux, les distances sont abrogées, les éléments formels évoluent comme sur un damier pour composer la plus envoûtante des incantations mentales. Film-rêve au carrefour de toutes les possibilités, susceptible d’être réinventé à l’infini.
2. La Fièvre dans le Sang – Elia Kazan
La splendeur de l’herbe, un des plus beaux verts que pellicule ait porté, c’est celle de la pelouse du parc hospitalier que dévale Natalie Wood. Et la splendeur du cinéma, c’est une église sous la pluie, l’éclat ambré de boiseries ambersoniennes, une forêt nocturne de puits de pétrole, l’ombre bleutée d’un parc à voitures. C’est surtout la stridence déchirante du bonheur passé, l’usure des choses, leur sourde transformation qui voit les rêves s’effriter et les êtres chers s’éloigner ou mourir.
3. Léon Morin, Prêtre – Jean-Pierre Melville
L’adaptation de romans célèbres permet à Melville d’approcher au plus près le noyau palpitant de son expression. Rendant extrêmement sensible le pas de deux entre cœur et foi, instinct et raison, pulsion et conscience, sa mise en scène intuitive soumet le temps et l’espace à un traitement sans réplique qui refuse tout typisme bouclé, pour le grand bénéfice des personnages. Voilà comment l’amour interdit qui brûle Emmanuelle Riva d’une intensité passionnée finit par embraser le film tout entier.
4. Viridiana – Luis Buñuel
Humaniste antichrétien dont l’hypocrisie est la seule ennemie, Buñuel n’a plus besoin de la colère pour imposer la saine évidence de sa pensée. Il est devenu comme un volcan tranquille, acceptant l’idée du mal, jetant sur la religion le regard décomplexé du sexe triomphant, démythifiant la charité qui n’est que feinte du dévouement dans l’inaction, et multipliant les illuminations impies, telle cette noire cohorte des mendiants de Goya venue conférer à son imaginaire le halo de l’immortalité.
5. Les Désaxés – John Huston
Dans le grand mirage des salants étincelants du Nevada, un papillon suicidaire crie son dégoût des races qui s’affrontent et se détruisent alors qu’elles sont solidaires, un archange au nez cassé baisse la garde et tombe le masque, et un cow-boy revenu de tout attend sereinement la mort. Plus le temps passe et plus Huston affirme sa manière : moins d’amidon, davantage de laisser-aller. Comme si, n’écoutant désormais que lui, il osait introduire toujours plus de sa tendresse et de ses angoisses.
6. Chronique d’un Été – Jean Rouch & Edgar Morin
Rouch et Morin entreprennent d’interroger quelques parisiens sur leur vie quotidienne et leur conception du bonheur. Leur travail, leurs problèmes de budget, leurs rapports professionnels, leurs enfants, leurs conjoints, leurs rêves, leurs aspirations… L’étude sociologique devient alors une enquête existentielle dont l’intérêt, les perspectives, la signification se déplacent au fil d’interventions mi-jouées mi prises sur le vif, et dont la puissance d’émotion atteste d’une portée universelle.
7. Un, Deux, Trois – Billy Wilder
Si tant est qu’elle existe (ce qui reste à démontrer), la vulgarité de Wilder consiste simplement à réduire à l’argent et à la sexualité presque tous les mobiles humains. Entre la conquête des parts de marché et celle d’une aguichante secrétaire : voilà où porte la force de frappe sarcastique de cette farce corrosive sur les frictions idéologiques et les relations Est-Ouest, tourné aux premières loges de la guerre froide. Ou comment dresser le portrait d’une humanité coupable, mais vivante.
8. Lola – Jacques Demy
En pleine explosion de la Nouvelle Vague, Demy signe son acte de naissance et réhabilite un certain réalisme poétique, une merveilleuse version mélo aux antipodes du cinéma tranche de vie. La cohérence du film, accordé à l’insouciance rêveuse d’Anouk Aimée, est celle de l’imaginaire, de l’enchantement – du romanesque pur. On est pris par la main, emporté dans le mouvement de ce carrousel réglé par les entrées et les sorties, les hasards et les arabesques, qui nous prouve que le bonheur existe.
9. La Rumeur – William Wyler
Le temps des effusions hollywoodiennes est révolu, le drame se joue désormais en chambre, par petites touches et allusions discrètes, par le jeu des regards et des non-dits. Un tel dispositif, fondé sur la découverte graduée d’un "sale petit secret", nécessite un doigté parfait et des acteurs au diapason. Cette poignante tragédie intime, qui voit une femme surnuméraire et confusément amoureuse d’une autre se faire broyer par le poids du jugement moral, transforme le défi en exploit. Superbement.
10. La Pyramide Humaine – Jean Rouch
Des Européens blancs, des Ivoiriens noirs, une expérience collective fondée des arguments, des réponses, des échanges. Les vieux complexes se liquident lentement, la longue improvisation des élèves témoigne d’un monde à venir. Des vers d’Eluard, de Baudelaire et de Rimbaud voltigent comme les fleurs d’un paradis retrouvé sur des voix réconciliées. Pleurs, sourires, couleurs, gestes tous ordonnés pour édifier comme un poème un film aussi passionnant à regarder qu’il fut exaltant à concevoir.
Sur le banc : À Travers le Miroir (Ingmar Bergman), Les Bas-fonds New-yorkais (Samuel Fuller), Diamants sur Canapé (Blake Edwards), La Fille à la Valise (Valerio Zurlini), Les Innocents (Jack Clayton)...
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1. L’Homme qui tua Liberty Valance – John Ford
Le plus souvent, un plan de Ford est le lieu d’une fusion quasi indécidable du symbolique et du concret. Jamais cette approche ne fut aussi poussée que dans ce western de chambre qui montre comment la civilisation est née d’une violence primitive et rend fabuleusement perceptibles des données aussi abstraites que le passage de la barbarie à la loi, la fin de l'Ouest, le rapport entre l'individu et l'Histoire. Il demeure l’un des points d’orgue d’une œuvre qui, littéralement, a pensé son siècle.
2. Lawrence d’Arabie – David Lean
Il se voyait géant et se retrouva nain lorsque son idéal fut réduit par les conciliabules politiques à des tractations de boutiquiers. Son obsession défia le désert, attirant en tons romantiques de jaune, orange et rouge puis pâlissant avec la désillusion croissante jusqu’à n’être qu’un blanc calcaire. En quête de lui-même, il ne rapporta de ses expéditions torturantes que son innocence perdue. De la guerre et de la paix, des nations et des hommes, de l’Histoire et de la légende… Du grand art.
3. Jules et Jim – François Truffaut
Sans illusion sur la victoire de l’amour en dehors du couple, le cinéaste en décrit la chimère parce qu’elle signifie la liberté, la rébellion, la défaite de toutes les hypocrisies. Il ne sanctifie ni ne condamne cette troublante trinité mais la restitue dans son innocence, sa légèreté, sa précarité, au présent perpétuel. Catherine est l’éternel féminin, une énigme doublée d’une promesse. Elle passe, un rêve s’enfuit, Truffaut demeure, qui signe un hymne solaire aux vies brèves mais éclatantes.
4. Miracle en Alabama – Arthur Penn
Il faut bien peser le sens du titre, très approprié mais exempt de toute portée religieuse : le miracle ici, c’est la victoire de l’opiniâtreté humaine sur la réclusion, du mot sur la cécité, de l’amour thérapeutique sur la détresse. Entre sauvagerie et civilisation, spontanéité et contrôle, le travail de retour à la vie qui nous est donné à voir raconte autant le processus d’une guérison qu’il exprime une foi absolue dans les vertus de l’échange et les ressources de l’âme. C’est bouleversant.
5. Tempête à Washington – Otto Preminger
Preminger place sa caméra procédurière au cœur de l’arène politique. Éclairés de l’intérieur, les arcanes du système se déploient en complots souterrains, alliances occultes, mensonges et manigances, sans que l’acuité de l’analyse ne cède le pas à la satire. Car c’est en humaniste libéral que le cinéaste tisse ce réseau prodigieusement dense d’enjeux et de trajectoires, haletant comme un suspense de première classe, et qu’il cherche à stimuler chez le spectateur l’exercice de son libre-arbitre.
6. Le Goût du Saké – Yasujirō Ozu
Le dernier ouvrage du maître japonais joue sur l’accumulation des fonds et des amorces au sein d’un espace légèrement comprimé. Découpage et focales tendent à construire un univers clos, intérieur, unifié, à l’ambition peut-être utopique et inconsciente, mais sans doute concrètement élaboré dans ses fondations. La plénitude est telle que le récit peut se dépouiller peu à peu de toute considération sociale pour aboutir à la vérité d’une seule émotion. On appelle cela un achèvement artistique.
7. L’Enfance d’Ivan – Andreï Tarkovski
Cette enfance n’est pas que celle d’un garçon sacrifié sur l’autel des conflits adultes, il inaugure une seconde jeunesse pour le cinéma russe qui voit sa rhétorique et son imagerie usées revêtir un autre sens. Prenant, dès ce superbe premier long métrage, la pleine mesure d’un art qu’il consacrera à la traduction des courants intérieurs et à la tangibilité de la sensation, l’artiste exalte une ivresse de vie, un onirisme cotonneux qui finissent par se fracasser sur les contingences du réel.
8. L’Ange Exterminateur – Luis Buñuel
Ce joyau d’une subversion tranquille lit en nous ce que l’auteur contemple avec une placidité de terroriste non-violent : la possibilité flagrante d’un retournement de l’éternité, l’inconnu qui nous attend au tournant d’une boucle sans fin. Dissection implacable des névroses réprimées d’une bourgeoisie en effritement, sans valeurs nouvelles à l’horizon, L’Ange est de ces films analysables à perte de vue, et dont le niveau poétique se range parmi les créations les plus cryptiques de l’esprit.
9. Le Couteau dans l’Eau – Roman Polanski
Déployant son récit simplissime dans un décor précisément délimité, ajoutant à ses jeux de pouvoir une bonne dose de tension sexuelle, le film invite à suivre l’évolution d’un couple manifestement en crise, auquel chacun peut s’identifier, et dont l’équilibre précaire se voit perturbé par l’intrusion d’un étranger. Tout en ambiguïté sournoise, tension latente, non-dits vénéneux, c’est un premier coup de maître que l’on peut lire comme une déclinaison retorse de L’Avventura, en plus pervers.
10. Cléo de 5 à 7 – Agnès Varda
Le temps d’une ballade faisant sentir en un courant d’air les cafés d’Eustache, la capitale campagnarde de Rivette et l’évidence de Paris si chère à Rohmer, la coquette Cléo se découvre peu à peu, nue face au tragique de l’existence. Mais quand la vérité se dévoile elle n’a plus à s’inquiéter : juste à se soucier d’elle-même. Varda démontre qu’il n’est rien de plus remarquable qu’une intelligence irriguée de sensibilité, et rien de plus rare qu’un esprit épris de gravité autant que de fantaisie.
Sur le banc : Du Silence et des Ombres (Robert Mulligan), Hara-Kiri (Masaki Kobayashi), Lolita (Stanley Kubrick), Mamma Roma (Pier Paolo Pasolini), Le Procès (Orson Welles)…
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1. 8 ½ - Federico Fellini
Œuvre sans titre, simple numéro d’ordre dans une filmographie dont il constitue la plongée sans filet, l’expérience linguistique la plus audacieuse : l’onirisme et le vécu autobiographique, le désir et son objet fuyant, la réminiscence et l’invention pour un auteur rêvant de rivages inconnus. Fellini déchaîne ses associations sensitives et intellectuelles dans un enchevêtrement intime, chaotique, un grand huit vertigineux où il faut se perdre, descendre, toucher le fond pour enfin renaître.
2. Les Oiseaux – Alfred Hitchcock
La fin du monde approche, et une jeune femme va devoir concilier les qualités de mère, de sœur et d’amante pour survivre à l’imprévisible. Hitchcock fait évoluer des techniques sophistiquées en art abstrait (cf. le travail électronique sur le son), pulvérise les barrières du film-catastrophe, fond l’inconscient dans le surnaturel et offre l’aperçu visionnaire d’un fléau sans logique. Un suspense magistral, transcendé par la richesse des métaphores et la virtuosité sidérante de la mise en scène.
3. Le Guépard – Luchino Visconti
Visconti est le peintre du déclin en accords majeurs. Cette apothéose d’une splendeur et d’une vastitude épiques, tissée de rapports de classes, de conversations analytiques, de méditations intimes, n’est pas qu’un requiem pour le passé. C’est aussi la célébration d’un train de vie sensuel et de rituels dépersonnalisés vécus par un artiste politique contemporain, qui fixe l’immobilité voluptueuse des paysages et des portraits de famille comme si ses personnages étaient vivants une dernière fois.
4. Le Feu Follet – Louis Malle
Confidence vénéneuse et fascinante, presque illicite, à la fois impitoyable, car elle filme la vie qui circule dans toutes ses promesses, et respectueuse, car elle le fait par touches, comme pour s’excuser. Il y plane un parfum de fin de règne inexpliqué qui s’accroche au cercle vicieux, infernal, du romantisme et de la réalité. Est-ce la volonté de vivre qui détermine l’idéal ou son refus ? À force d’avoir trop attendu, trop espéré de l’existence, il ne reste qu’un dégoût. L’impuissance à être.
5. Le Mépris – Jean-Luc Godard
À partir de ce qu’il qualifiait de roman de gare, Godard orchestre le déploiement de tous les sens cinématographiques. On ne peut rien extraire ni déplacer d’une telle œuvre, sinon tout s’écroule. Coloré comme du Matisse par larges à-plats de couleurs pures, avec des blancs, des bleus et des rouges qui écrasent les hommes sous l’éclat éblouissant des statues peintes, il fait pénétrer la rigueur du destin dans une histoire sordide et transfigure la question de savoir comment continuer de filmer.
6. Le Cardinal – Otto Preminger
Le passage du film criminel aux "grands sujets" n’a rien altéré du don de Preminger à débusquer, dans les contractures et les convulsions de l’Histoire, les différents visages du mal et la lutte de ceux qui se sont engagés à le combattre. C’est tout l’enjeu de ce portrait admirablement subtil et nuancé, hautement pensé et exprimé, qui traverse les soubresauts idéologiques d’un siècle en crise pour mieux les éprouver à la conscience individuelle d’un serviteur de Dieu. Une fresque passionnante.
7. La Grande Cité – Satyajit Ray
Ténacité à restituer la richesse et la noblesse des existences réputées banales, ouverture au prochain, sens aigu du détail… À ces qualités, Ray ajoute un volontarisme optimiste, un courage de la vie, une modestie de "primitif" qui l’accorde pleinement à ses personnages. Sa caméra bouge, détaille, court, avec un réalisme qui ne l’empêche pas de satisfaire à un souci d’intervention dans les structures sociales de son pays. Car chez lui la poésie du quotidien se redouble de la vérité de la poésie.
8. Le Joli Mai – Chris Marker & Pierre Lhomme
Deux ans après Chronique d’un Été, l’autre jalon capital du cinéma-vérité : un exercice de sciences et de matière humaines aux antipodes des idées reçues, fruit conjoint d’une morale, d’une enquête et d’une méthode. Par l’image (plans d’ensemble somptueux, détails insolites, coupes ironiques ponctuant les interviews) autant que par le commentaire, poétique, charmeur, impertinent, il invite à entrer au contact de la vie même, à atteindre à une pleine conscience sociale et historique du monde.
9. Les Camarades – Mario Monicelli
L’auteur du Pigeon ne fut pas que le portraitiste tendre et grinçant des laissés-pour-compte du miracle économique. Fort d’une reconstitution toute de brumes et de grisaille qui se hausse jusqu’au vérisme puissamment romantique d’un Verga, il analyse ici les motivations élémentaires des combats du passé pour éclairer ceux d’aujourd’hui, et dépeint la condition des travailleurs, les injustices du quotidien avec une vigueur épique et humaniste proches de certaines grandes réussites soviétiques.
10. Le Prix d’un Homme – Lindsay Anderson
Anderson a dit avoir voulu réaliser un film sur nos aspirations, notre égoïsme et notre tristesse. C’est dire si son passage derrière la caméra nous concerne tous, et si l’histoire de cet homme en crise, incapable de surmonter ses inhibitions relationnelles, est susceptible de parler à chacun. Dépouillée sur le plan stylistique, dominée par des flashbacks qui expliquent les raisons d’un échec, l’œuvre inscrit les vertus du mélodrame au sein d’une problématique sociale très subtilement négociée.
Sur le banc : Charade (Stanley Donen), Entre le Ciel et l'Enfer (Akira Kurosawa), Le Petit Soldat (Jean-Luc Godard), Shock Corridor (Samuel Fuller), Une Certaine Rencontre (Robert Mulligan)...
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1. Charulata – Satyajit Ray
À travers des livres lus ou écrits, des amitiés trahies et des amours contrariés, des ambitions littéraires et des rêves politiques, dans les secrets privilégiés aux aveux, dans le roulis d'une balançoire et les demi-ombres d'un verger, dans l'obscurité d'une imprimerie ou le murmure des vagues, dans la violence de la crise puis le calme retrouvé, Ray signe sans doute son plus beau film, où résonnent tous les grondements de l'histoire, toutes les pulsations des cœurs et tous les cris de la vie.
2. Point Limite – Sidney Lumet
Le monde au bord du gouffre, première proposition. Lumet fait siffler une tension insoutenable aux oreilles en orchestrant une succession d’images blanches, découpées dans l’angoisse pétrifiée d’une hécatombe sans guerre. Face au spectre nucléaire il ne reste qu’une action désespérée, mais la stratégie veut qu’on contourne l’erreur humaine en se fiant à la technologie plutôt qu’aux ordres, et bute sur l’absurdité des positions politiques. Une allégorie stupéfiante de la destruction programmée.
3. Docteur Folamour – Stanley Kubrick
Imminence de l’holocauste, seconde proposition. Kubrick dégaine l’épée de Damoclès avec un fol amour du risque, une ampleur délirante, biffe tout prophétisme et coupe court, par l’ironie et le grotesque, aux effets émotionnels comme aux dérives esthétisantes. Contre le champignon atomique s’élevant dans un ciel de splendeur, contre la bombe que les pouvoirs veulent faire aimer, levez-vous, marchez vers la lumière chantée par la tendre chanson finale. Car bientôt ce ne sera plus une plaisanterie.
4. Soy Cuba – Mikhail Kalatozov
L’Histoire n’est ici plus seulement un discours mais aussi un mythe, le récit des origines d’une révolution, d’une île, d’un peuple. Et Cuba le théâtre de l’éternelle guerre entre exploiteurs et exploités, entre l’eau – élément des Américains et de leurs stipendiés – et la terre, qui se remplit de larmes jusqu’à devenir un immense cloaque à ciel ouvert. Film proprement incandescent, brûlé d’un feu intérieur, solaire dans sa promptitude à séparer le pur et le souillé, la lumière et les ténèbres.
5. La Femme des Sables – Hiroshi Teshigahara
Devant l’égarement symbolique de cet entomologiste au fond des dunes, on peut sortir toute la panoplie analytique d’usage : film kafkaïen, beckettien, camusien, illustration du destin absurde de l’homme, parabole politique sur l’exploitation ou méditation sur l’illusion de la liberté. Mais c’est son polymorphisme formel qui compte en premier lieu, sa malléabilité à la fois sablonneuse et liquidienne, son érotisme trouble créant un sentiment de divagation, de claustration, d’étrangeté envoûtant.
6. Pas de Printemps pour Marnie – Alfred Hitchcock
Dans Vertigo Hitchcock racontait l’histoire d’un homme chérissant une femme morte qu’il ne pourrait, de ce fait, jamais posséder. Le sujet est ici modulé en faisant glisser l’objet du désir vers une dimension plus pathologique – la passion éprouvée par le protagoniste est aussi intense que fétichiste. Subtil et troublant, le rapport de forces touille donc à nouveau des eaux délicieusement ambigües, et se double d’un discours sur la mise en scène et la signifiance "transcendante" de celle-ci.
7. Une Femme dans la Tourmente – Mikio Naruse
Koji, le fils cadet, est le seul à estimer la femme qui a préservé le commerce familial. Reiko, cernée par la concurrence, confrontée à des belles-sœurs cherchant à se débarrasser d’elle, est tiraillée entre les convenances et les souvenirs et ne sait pas quoi faire de son amour. Deux personnages superbes, profondément émouvants, dont l’affectivité malmenée s’accorde aux palpitations pudiques d’un artiste qui a rarement donné à ressentir avec une telle tristesse les affres d’un humanisme blessé.
8. Séduite et Abandonnée – Pietro Germi
Germi va loin, il a mauvais goût, aucun sens de la mesure, et c’est pourquoi sa charge implacable contre la tartufferie obscène et grotesque de la petite-bourgeoisie méridionale atteint une telle force de frappe. Procédant à une déformation quasi goyaesque de la réalité, il fait rire en cultivant un sentiment glaçant de peur, exploite les possibilités purgatives du baroque, et exerce avec une verve tonitruante son œil de satiriste engagé contre un certain Occident et une certaine Chrétienté.
9. Onibaba, les Tueuses – Kaneto Shindō
Les joncs de la plaine de Kyoto, jungle de roseaux et de hautes herbes brassées par le vent, en une époque où règnent guerre, famine et abjection. Là se joue un saisissant concert de ruts, de poursuites, de meurtres et d’apparitions, au point de rencontre de l’érotisme et de l’épouvante. Loin des délicatesses convenues de l’art oriental, un paroxysme échevelé y traduit l’instinct de survie et les désirs sexuels de deux femmes poussées par les circonstances aux extrémités de la condition humaine.
10. Il Giovedi – Dino Risi
Il faut du talent pour accorder la précision d’un style aux suggestions du moment, faire exister des personnages à partir du détail le plus mince, tirer des indications ténues d’un scénario minimaliste toute une gamme des sentiments. Ainsi va la trame de cette journée singulière, qui cerne les travers du quotidien, souligne les médiocrités d’une vie ordinaire, mais prend la mesure de l’affection s’instaurant entre un adulte et un enfant : que du futile a priori, que de l’essentiel en réalité.
Sur le banc : Les Félins (René Clément), L'Homme de Rio (Philippe de Broca), La Ragazza (Luigi Comencini), Six Femmes pour l'Assassin (Mario Bava).
La suite juste en-dessous...