Tempête à Washington (Otto Preminger - 1962)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Thaddeus
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Tempête à Washington (Otto Preminger - 1962)

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Le président des Etats-Unis vient de choisir son nouveau secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères: Robert Leffingwell. Avant d'être entériné par le Sénat, ce choix doit être examiné en commission d'enquête. Les ennemis de Leffingwell en profitent pour le discréditer. Un témoin inconnu vient révéler que le futur secrétaire d'Etat a autrefois appartenu à une cellule communiste.

Pike Bishop a écrit : 19 juin 03, 15:15"Tempête à Washington" est effectivement un modèle du genre. Comment le bien politique et collectif doit parfois ne pas être trop regardant sur les moyens qui justifient sa fin. Magistral et bouleversant. Une superbe étude d'un milieu, sans démagogie ni complaisance. C'est rare dans les films "politiques" américains ...
phylute a écrit : 10 mai 04, 09:24Une passionnante plongée dans les arcanes de la politique américaine. Intrigues multiples, domination, chantage... Otto Preminger s'attache à montrer que la démocratie peut surmonter les instincts de pouvoir inhérents à tout homme politique. Le réalisateur s'attache entre autre à questionner les rapports de ses protagonistes à leurs passé et à leurs convictions. Servi par des acteurs admirables (Charles Laughton en tête) le réalisateur scrute les visages et les mouvements, met à nu les doutes et les fêlures. Superbe.
Jeremy Fox a écrit : 10 mai 04, 09:24Et une nouvelle fois d'accord avec toi : d'autant plus passionnant que le sujet de départ aurait pu donner lieu à un pensum très ennuyeux. Mon Preminger préféré tout simplement :)
Eusebio Cafarelli a écrit : 11 juil. 04, 22:10Le film est excellent, grands acteurs (Charles Laughton en particulier, mais il faudrait citer W. Pidgeon, H. Fonda, D. Murray, B. Meredith et les appartitions radieuses de Gene Tierney :oops: :oops: ), grande mise en scène qui fait d' un sujet purement politique (la nomination d'un secrétaire d'État) d'intrigues de couloirs et de coups bas, un suspens et un drame passionnants, ainsi qu'une remarquable leçon d'éducation civique, tout en maniant une soixantaine de personnages sans qu'on s'y perde jamais.

10/10
Nestor Almendros a écrit : 25 mai 05, 00:13Après un premier quart d'heure bavard et brumeux (beaucoup de noms propres entre autres...) arrive la première séance de la commission (ceux qui ont vu comprendront) et là tout s'éclaire: la base de l'intrigue est posée. Elle est claire, et le film se suit ensuite sans aucun temps mort. Passionnante aventure au coeur de la politique, avec ses coups bas, ses trahisons, ses passions.
Je ne l'avais pas revu depuis le cinéma de minuit en 95-96 mais j'en gardais un bon souvenir. Ca se confirme! Après la déception de PREMIERE VICTOIRE il y a quelques semaines je suis soulagé, Otto est grand. On remarquera au passage les nombreux mouvements de caméra dans le Sénat, notamment le dernier plan séquence (je parle de celui-ci car je n'ai pas noté tous les autres :wink: )
Bruce Randylan a écrit : 25 mai 05, 00:21 Admirer la rigueur et l’efficacité de la mise en scène d’un Preminger est pour moi toujours un plaisir.
Autant qu’avec celui là, j’étais comblé. Cinémascope, Noir et blanc, caméra perpétuellement en mouvement, ballet incessant entre les joutes verbales des acteurs ( une soixantaine de rôle !! ) tous en grande forme ( Mais comment Laughton fait-il pour être toujours aussi terrifiant ? ). Ca a beau parlé pendant 140 minutes ( politique en plus ), passionnant du début à la fin même si il fait un certain temps pour rentrer dans les rouages de la machine américaine.
Dommage en revanche qu’on s’égare pendant un quart du film sur le passé sexuelle de l’« incorruptible » d’autant qu’on frise parfois le ridicule ( la lecture de la fameuse lettre est vraiment drôle ) d’autant qu’on voit ça venir avec 12 longueurs d’avances ( soit à peu prés 80 longueurs pour ceux qui seraient rester en ancien nouveau francs).
Dom666 a écrit : 18 avr. 07, 14:18Advise and Consent est un film ovni dans l'histoire du cinéma américain, dans le sens où peu ont, comme lui, réussi à décrire des milieux fermés comme celui de la maison blanche et de ses intrigues, à hauteur d'homme, sans se cacher derrière des principes de raison d'état, sans propagande ou anti-propagande, avec une grande finesse dans la description des personnages, dont on notera qu'aucun n'est unilatéral, contrairement à... hum, pas de politique.
Bref, un film superbe, servi par des acteurs tous plus extraordinaires les uns que les autres, Charles Laughton et le magnifique Henri Fonda en tête, dans une intrigue passionnante, qui n'a d'égale que la façon dont sont traitées les sous-intrigues qui lui sont concomitantes (j'en suis à la lettre C dans le dico). Ainsi, Henri Fonda parait au coeur de l'intrigue et, après avoir fait son numéro, s'en trouve déconnecté, pour se voir préférer une autre sous-intrigue, toute aussi passionnante.
Il en résulte quelque chose d'extrêmement excitant pour les neurones, de formateur (qui n'a pas appris des choses sur le fonctionnement des instances américaines ?), de très subtil, et en même temps d'une forte puissance dramatique, parfois violente, sans pourtant qu'à aucun moment Preminger ne force cette réputation de scandale qui lui colle. Aujourd'hui, la plupart des réalisateurs qui se seraient attaqués à une telle tâche auraient probablement été soit des soldats bien appliqués à la solde de la pensée dominante, soit des trublions qu'on regarde amusé sans les prendre au sérieux, des champions du film choc-marketing pour faire parler d'eux, ou des faiseurs qui gommeraient tout l'intérêt pour ne froisser personne...
Preminger ne faisait partie d'aucune de ces catégories, et c'est pourquoi sa réincarnation serait bienvenue aujourd'hui.
Alligator a écrit : 31 oct. 07, 19:14Quelques plans formidablement cadrés par Preminger, de belles trouvailles photographiques et puis ici et là quelques morceaux de bravoure du côté des comédiens, je pense immanquablement à ce fieffé coquin de Laughton (son dernier rôle, rip).

Voilà à peu près tout. Le film peut se révéler un chouette outil pédagogique pour les étudiants ambitionnant sciences-po, pour connaître les arcanes du pouvoir politique américain après guerre.
Le portrait moral ou social est beaucoup plus emmerdant.
Malheureusement je ne partage pas votre enthousiasme. Difficile de rentrer vraiment dans ce film pour qui ne s'intéresse pas à ces questions politiques intérieures.
Tikay a écrit : 21 févr. 09, 17:12 Tempête à Washington (Advise and consent), 1962, Otto preminger
Le président des USA a désigné un secrétaire d'état (Henry Fonda) dont la candidature est soumise au Sénat, on assiste à la lutte entre ceux qui soutiennent ce candidat et ses opposants.
Preminger nous dévoile les soubassements de la politique (américaine), les secrets de la réussite et de la déchéance. Les manipulations et les logiques de pression ont abattus les idées et on attaque les hommes en jouant sur la peur du scandale, la peur liée à certains mots comme "communisme" et "homosexualité". La trace du Macchartysme est clairement présente.
Il y a une pléiade d'acteurs formidablement "castés" (Charles Laughton, Walter Pidgeon, Don Murray, Franchot Tone...).
Le monde politique est mal en point, Preminger se porte bien.
16.5/20
Kurtz a écrit : 21 févr. 09, 17:12Un bon film politique, même si dépassé depuis par de nombreux autres films du même genre, bien plus efficaces (JFK...). Le modèle reste néanmoins très intéressant. l'histoire est celle d'une enquête sur le passé gauchiste d'un futur secrétaire d'état. Preminger montre bien les tares de la démocratie américaines: la peur d'un ennemi de l'intérieur, le puritanisme...Le propos du film reste très actuel. L'intrigue est assez intéressante et épouse successivement assez de points du vue (il n'y a pas vraiment de personnage principal) pour que l'on accroche pendant deux heures vingt malgré quelques longueurs. Les acteurs, Henry Fonda et surtout Charles Laughton en tête sont excellents et il y a quelques beaux plans-séquences, notamment au Congrès. Décidément, j'aime bien Preminger.
4,5/6
Sybille a écrit : 15 oct. 09, 23:47Dans le milieu de la politique américaine, les intrigues de coulisses qui se trament inévitablement au cours de l'élection du prochain secrétaire d'Etat résument les personnalités, les ambitions personnelles, les attentes et les résignations de tout un groupe d'hommes comptant parmi les plus importants et les plus influents du pays.
Otto Preminger, avec un souci affiché de réalisme et de sérieux, s'attache ainsi à dépeindre cette société corrompue par le pouvoir et la mesquinerie, tout en nous montrant avec une ironie certaine la face lisse, bien-pensante, d'un classicisme moral en apparence parfait, de ces mêmes hommes et femmes toujours vêtus avec raffinement et qui sirotent des cocktails dans les jardins et les salons des plus élégantes demeures de la côte Est américaine. Bénéficiant d'une très belle photographie en noir et blanc, le réalisateur peut également compter sur le professionnalisme de ses nombreux acteurs, aux rôles tous plutôt courts, mais disposant chacun d'une importance spécifique. L'intrigue qui se noue peu à peu autour de la vie de l'homme chargé de la commission d'enquête n'est pas des plus palpitantes (c'est pourtant autour d'elle que tourne la majorité du récit), en plus d'être moralement douteuse quant au fait qu'elle puisse être d'un impact négatif quelconque sur la carrière de l'homme en question, et a fortiori sur celle du personnage incarné par Henry Fonda (tout en comprenant le "scandale" possible, je ne trouve cette explication ni très pertinente ni même très efficace). Cela n'a néanmoins pas grande importance quant au fait d'apprécier ce film intelligent, pas ennuyeux pour un sou malgré l'austérité de son sujet et de sa mise en scène. Indéniablement très réussi. 8/10
Gustave a écrit : 2 sept. 14, 07:45Chaque position cache un monde d'ambiguïtés. En montrant les malversations autant que la grandeur, Preminger humanise la politique. Grand film !
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Autopsie d'une démocratie


On ne pouvait rêver, pour démonter les rouages de ce microcosme en ébullition qu’est l’appareil politique américain, cinéaste plus approprié qu’Otto Preminger. Rarement l’Institution, à laquelle on l’associe souvent, aura dévoilé à ce point la vertu structurante qui convient à la précision et à l’impartialité quasi procédurières de sa méthode. Soit l’hémicycle comme berceau de la démocratie éternellement renaissante ; mieux encore, le dôme du Capitole, stylisé par Saul Bass, comme ventre maternel qui, au terme du générique, s’ouvre et se referme pour laisser apparaître le nom du réalisateur. Tempête à Washington débute sur le plan d’un vendeur de journaux annonçant la nomination, par le Président des États-Unis, d’un nouveau secrétaire d’État, Robert Leffingwell, pour laquelle est requise l’investiture du Sénat. Ce fait inaugural met en branle d’immenses flux d’énergies, déchaîne les passions, les ardeurs et les calculs, toute une somme d’intérêts humains, des plus nobles aux plus mesquins. Dans cette cascade d’attaques franches ou sournoises, de règlements de compte, de chantages et de manigances tactiques, la rancune, l’opportunisme, la peur, l’égoïsme inspirent autant que la raison d’État. En se développant, l’affaire joue le rôle d’un révélateur : elle éclaire d’une lumière crue tous ceux qui s’y trouvent mêlés, les traque et les contraint à dévoiler leur nature profonde. Des torrents de boue sont soulevés. Et quand l’épilogue arrive, chacun se retrouve à visage découvert. Le mouvement, qui s’épuise de lui-même avec la disparition de celui qui l’a provoqué, sans que rien n’ait été résolu puisque l’élection du candidat au poste est finalement avortée, ordonne un combat de titans, mobilise une sorte d’Olympe dont le Zeus affaibli se doit de lutter jusqu’à la mort pour imposer ses décisions. Et cet Olympe est pourtant un monde quotidien où s’agite une faune de dieux se comportant comme des animaux implacables, tapis dans leur tanière, rôdant les uns autour des autres, apparaissant et disparaissant au gré d’évènements dont ils se croient les maîtres mais dont ils ne sont que les victimes.


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Tout le film n’est donc qu’intrigues de couloir, joutes verbales, stratégies souterraines, jeux d’influence. La première force qui l’anime est la volonté intransigeante, crispée et fixe comme une étreinte de cadavre, du Président. Elle éveille des échos, suscite un enchaînement sans riposte possible de réactions, provoque des remous tels que Leffingwell, soupçonné d’accointances communistes, est vite englouti. Une série d’ébranlements s’opère à partir du choc initial, le prolonge et le dilate, lui conférant sa véritable fonction : être l’élan originel qui ne dure plus que dans ses résonances vibratoires. C’est une constante de la démarche premingerienne que de créer une suite accélérée de répercussions qui se répondent et se nouent pour se dénouer ensuite avec plus de violence. Il en est ainsi de Brig Anderson. Il se croit d’abord assez fort et pur pour oublier les différends qui l’opposèrent à Leffingwell. En acceptant de présider la commission d’enquête, il met un doigt dans l’engrenage et y passe tout entier. Il pense pouvoir se permettre des scrupules de conscience : telle sera sa chute. Indifférent au début, il a ensuite l’illusion de l’action et de la maîtrise, et il subit les effets du cyclone qui devient pour lui ce qu’il devient pour tous : un drame personnel où la meilleure partie d’eux-mêmes est engagée. Il se suicide, passant alors d’un rôle passif à un rôle actif. Sa mort agit comme un ferment et en fait un agent d’anéantissement qui précipite la ruine des autres. De même pour Van Ackerman, virulent fanatique de la paix : il met dans la bataille ses ambitions personnelles, il la vit, il détruit, il est détruit. De même encore pour Harley, le vice-président qui, toujours à l’écart du conflit, s’y intéresse un soir et, parce qu’il a lui aussi sa faiblesse, parce qu’il craint la mort prochaine du Président et l’exercice du pouvoir, se voit à son tour balayé par la tempête.

La politique étant l’art de savoir manier les hommes, malheur à celui qui ne sait ni en jouer ni s’en jouer. Deux modes d’action s’opposent en particulier. Leffingwell représente l’honnêteté, la droiture, le règne des idées claires et des accords loyaux : c’est la machette de l’explorateur qui coupe les lianes, le bulldozer qui déblaie les forêts vierges. Seabright Cooley incarne au contraire l’insinuation, les menaces à demi-mot, la puissance qui ne s’avoue jamais comme telle. Il marche à la manière d’un félin fatigué, ondule, guette les proies qui lui viennent, agit par émissaires interposés. Il discourt peu, ne s’enflamme pas, il est amène. Son sourire est celui du tigre. S’il est évident que sa sympathie va au premier, le cinéaste ne fait rien pour dissimuler que dans la perspective d'une "éthique" politicienne, cet homme est en partie responsable de son échec. Et c'est avec une sérénité égale qu'il décrit les autres protagonistes entraînés dans le tourbillon, accumulant avec une patience d'entomologiste les menus faits pouvant renseigner sur leur caractère, et laissant en définitive le spectateur parfaitement libre de juger leurs actes. Parce qu’il maintient tout manichéisme élémentaire à distance, le bien et le mal, la vérité et le mensonge sont ici des notions à peu près indiscernables. Cette équité de traitement se reflète dans le format Panavision, assez large pour que logent dans le plan, répartis latéralement, étagés dans la profondeur de champ, une bonne dizaines d’individus. La distribution équilibrée des sénateurs à l’écran est aussi l’indice d’une place singulière accordée au corps. Van Ackerman, jeune chien fou, ne se déplace jamais sans sa bande de gorilles qui l’escortent et dessinent autour de lui comme un cordon de sécurité. La meute des journalistes dresse une haie de têtes assez épaisse pour permettre entre lui et Leffingwell un échange oblique et d’autant plus fielleux. L’acteur est un géant mais aussi un meuble, un bout de décor, un accessoire multifonction. D’une séquence à l’autre, la fluidité de la mise en scène assurant la discrétion des métamorphoses, on prend les mêmes et on ne recommence pas. Chacun change de place et de peau ; untel, star tout à l’heure, devient figurant ou silhouette, oreille après avoir été voix. Quand un parlementaire prend la parole, ses collègues la ferment et patientent, prennent la pose ou font tapisserie.


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Par une sorte de ronde occulte, le cycle qui lie les sermons officiels à ce qui secrètement les prépare ou les prolonge (messes basses, négociations dans les coins) organise la circulation entre scène et coulisses. Ainsi l’intimité des amants ne se sépare pas d’un timing, d’un trajet et d’un protocole qui, la party finie, oblige Munson à emprunter la porte de service afin d’étreindre la maîtresse de maison et se reposer de la mondanité. Ruse superbe parce que toutes ces visites backstage œuvrent finalement en faveur de la fascination pour le stage. Si, ainsi éventré, le grand théâtre renonce à l’opacité trop directe d’un spectacle de pure surface, c’est pour découvrir, non une usine avec ses trucs, ses combines, ses minables petits secrets de fabrication, mais mille micro-théâtres aussi puissants que lui. C’est qu’un nombre incalculable de lois minuscules commandent la vie du Sénat, la conduite des débats, les manœuvres qui s’y jouent et les alliances qui s’y scellent. Plus d’un sénateur, à la tribune, en appelle aux grands principes de la démocratie. Ces adresses, malgré les magouilles de quelques-uns, n’appellent à aucune ironie. Tous les discours ne seraient en effet que poussière s’ils ne visaient pas le peuple, la réalité multiple et concrète de la nation. Sans doute est-ce là ce qui, dans la politique, a retenu le cinéaste : elle est toute désignée à ceux pour qui la mise en scène n’est pas seulement disposition et modulation de distances internes, tracé mouvant d’une grille, mais aussi et surtout ouverture de cette grille vers un dehors ne cessant pas de voir à travers elle. Aux yeux de Preminger, qui ne veut être dupe de rien ni de personne, chaque chose doit faire l’objet d’une critique lucide et fouillée, d’une analyse approfondie. Mais cet examen sceptique du réel engendre aussi nécessairement le passage au crible des différentes formes d’idéalisme. Problème de pure morale dont les termes aboutissent à l’étude des rapports difficiles et incertains entre ce qui est et ce qui devrait être.

Tempête à Washington, production lourde et dispendieuse, dure cent quarante minutes, compte soixante et un rôles parlants (comme aiment à le noter les dictionnaires de cinéma), se déroule en un lieu (le Sénat) que deux plans au moins montrent comme un musée. Nulle femme, sinon la déjà ridée Gene Tierney, n’y tient un rôle d’importance. D’Henry Fonda à Walter Pidgeon, de Charles Laughton à Franchot Tone, chaque comédien exécute brillamment sa partition, mais la plupart sont vieux, usés, proches de la fin. Une ombre noire plane sur l’œuvre, contre quoi lutte l’espoir que dure cette pièce au fonctionnement autonome, où ce sont les mêmes qui montent les tréteaux, se donnent en représentation et applaudissent. Certes la politique est un jeu cruel, mais la cruauté compte moins que l’étroite solidarité qui lie les sénateurs. Seuls un méticuleux partage des tâches, une courtoisie générale et une grande attention mutuelle garantissent jour après jour la prolongation du show. Un tel cinéma ne tient donc que par le fil fragile d’un sévère esprit de troupe. À travers la masse de Cooley montant les marches de la Maison Blanche, le projecteur qui encercle un instant Anderson pour nier ce qu’il est et le réduire à ce qu’il fut, l’entrevue funèbre, au crépuscule, sur un yacht fantôme, le train miniature qui conduit les élus vers l’assemblée, la grandeur solennelle du quorum call, mais aussi à travers les quelques mots chuchotés par Munson et son complice à Von Ackerman afin de lui signifier son exclusion non pas physique mais bien réelle, Preminger donne à voir et à comprendre la condition de tout homme qui évolue dans l’arène politique. Aucun éclat inutile, aucun morceau de bravoure ne vient altérer la sobriété d'un récit constamment dominé. La dramaturgie, foisonnante et complexe, est conduite avec une rigueur et une clarté qui forcent l'admiration. Et à l'intérieur du moule, chaque scène est traitée dans le ton qui convient. Autant de qualités éclatantes concourant à élever ce film captivant, tendu, haletant, plein comme un œuf, à la hauteur de son grand sujet.


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