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Critique de film
Le film

Osterman Weekend

(The Osterman Weekend)

L'histoire

John Tanner est journaliste à la télévision. Animateur d’une émission d’interviews, il s’attaque régulièrement aux mensonges institutionnels. Il est un jour contacté par un agent de la CIA qui lui prouve, images à l’appui, que trois de ses proches amis sont en réalité des agents à la solde du KGB ; il lui est demandé d’aider à retourner ces espions. Il accepte en échange de la promesse d’une interview exclusive du directeur de la CIA. Mais il découvre vite que les apparences peuvent être trompeuses, même pour un homme d’images.

Analyse et critique

Sam Peckinpah est mort peu de temps après la fin du tournage du Convoi. Ou presque. C’est à peu près l’opinion des producteurs hollywoodiens en cette fin des années 70, tant le réalisateur traîne une réputation d’épave. Sitôt son dernier film en boîte, Peckinpah rejoint le Mexique et retombe dans les excès d’alcools et de cocaïne, passant la majeure partie de son temps dans les bordels où il lui arrive de refuser de rémunérer les prostituées. Lors des rares moments où son esprit est à peu près clair, il s’aventure à ébaucher des projets de films - The Door in the Jungle, une sorte de remake du Trésor de la Sierra Madre à ce qu’on dit -, et même à envisager la création d’une maison de production indépendante. Mais les financiers n’ont pas confiance et hésitent à s’engager. Peckinpah reprend alors le chemin des Etats-Unis, et s’installe dans une cabane construite sur un terrain acheté à Warren Oates. Les choses continuent ainsi, jusqu’au 15 mai 1979. Peckinpah est alors frappé par une crise cardiaque. Après la pose d’un stimulateur et quelques semaines de repos, il est contraint à la désintoxication. Soutenu par quelques amis, le cinéaste est encore très faible. Il se voit même contraint de refuser le poste de réalisateur de deuxième équipe que son admirateur Michael Cimino lui offrait sur le tournage de La Porte du paradis. C’est pourtant l’une des rares fois où Hollywood pensera à faire appel à ses services durant cette période, marquée par le décès de nombreux proches du cinéaste : Jerry Fielding, Warren Oates, Steve McQueen... ainsi que par l’instabilité sentimentale - il se sépare de Marcy Blueher un mois seulement après leur mariage.

Les projets qu’on lui soumet ne sont en effet pas légion. En 1980, Albert Ruddy lui fait lire un vieux scénario de John Milius intitulé The Texans, l’histoire d’un fils de PDG texan conduisant un troupeau afin de prouver sa valeur à son père. Peckinpah doit réécrire le script, en échange de la promesse de réaliser le film. Il envisage d’engager William Holden. Mais ses prises de cocaïne effrénées l’empêchent de travailler correctement, et il rend son second jet avec six mois de retard. Le contrat est rompu. En 1981, il a l’occasion de travailler pour United Artists sur l’adaptation d’un roman d’Elmore Leonard, City Primeval. Dans cette optique, il parvient à réduire sa consommation d’alcool et de drogue. Mais ce projet sera annulé lors du rachat de la United Artists par la MGM. Sa seule activité concrète sera de diriger la seconde équipe de Jinxed, réalisé par son vieux complice Don Siegel, pour lequel il tourne la quasi-totalité des séquences d’action. La carrière de Sam Peckinpah est alors dans une totale impasse.

'"Je suis une pute. Je fais ce qu’on me dit de faire. Mais je suis une excellente pute." (1)

Peter Davis et William Panzer possèdent les droits d’un roman de Robert Ludlum, Le Week-end Osterman. A la recherche d’un metteur en scène capable de le porter à l’écran, ils se laissent convaincre par Martin Baum d’engager Sam Peckinpah, celui-ci se portant garant de l’efficacité retrouvée du cinéaste. Mais les conditions sont draconiennes : outre qu’il ne peut toucher au scénario, il n’a aucun pouvoir sur le casting, Dennis Hopper, John Hurt, Rutger Hauer et Burt Lancaster ayant déjà été engagés. La production impose également son monteur, David Rollins. Peckinpah ne peut donc s’adjoindre les services de Lou Lombardo mais obtient le droit de retravailler avec John Coquillon, déjà responsable de la photographie de Pat Garrett et Billy the Kid, Les Chiens de Paille et Croix de fer. Les prises de vues commencent très rapidement à l’automne 1982, dans une villa louée au chanteur Robert Taylor. Le mauvais temps entraîne bien quelques retards lors des séquences en extérieur, occasionnant des tensions avec la production - fait dont Peckinpah est depuis toujours coutumier - mais le tournage se termine sans trop de problèmes. C’est en revanche lors du montage que les difficultés vont se révéler : la volonté du réalisateur de montrer un univers chaotique va à l’encontre du souhait de la production, qui souhaite obtenir un simple thriller bien ficelé. Bouleversé par le décès de sa mère, Peckinpah se remet à boire. Il achève le montage mais celui-ci est ensuite confié à David Rawlins, qui coupe plusieurs minutes et remonte certaines séquences. Mais le matériel filmé par Peckinpah est difficilement charcutable - et l’époque n’est pas encore aux scènes retournées. La production ne peut guère que modifier la séquence d’ouverture et raccourcir la scène de masturbation de l’épouse de Fassett. Contrairement aux rumeurs, le film a semble-t-il été bien moins charcuté que Major Dundee ou Pat Garrett et Billy le Kid.

Osterman Week-end est mal accueilli à peu près partout par la critique et le public, sauf en Europe. Le film est jugé confus et décevant au regard de l’œuvre de Peckinpah. Ce dernier s’en remet difficilement ; pour reprendre les termes de son avocat Joe Swindlehurst : "Il buvait au point de mettre sa santé en danger. J’avais l’impression qu’il n’en avait plus pour longtemps. Il vieillissait, il manquait d’argent. Le film qu’il venait de réaliser n’allait pas rencontrer de succès et il le savait probablement.’" (2) Il ne tournera dès lors pratiquement plus, même après avoir réussi à freiner à nouveau sa consommation d’alcool. Il met en scène deux clips de Julian Lennon, mais le projet de documentaire est vite annulé. Pourtant, un nouveau projet fera une apparition miraculeuse. Amateur de longue date du cinéaste, Stephen King lui fait parvenir un scénario original traitant de fantômes venus hanter les vivants intitulé The Shotgunners. Un thème cher à Peckinpah. Leur rencontre se passe bien, et le réalisateur se met au travail sur le script. Le 27 Décembre 1984, il est victime d’une embolie pulmonaire et décède le lendemain. Il n’avait pas 60 ans. Ses cendres seront dispersées dans l’océan Pacifique.

Aujourd’hui encore, Osterman Week-end a mauvaise presse. Même au sein des amateurs de Peckinpah, il fait figure de vilain petit canard, de ratage de fin de carrière, de film impersonnel et bâclé. Il comporte néanmoins de nombreuses qualités, et s’intègre bien mieux qu’on pourrait le penser dans sa filmographie. La technologie moderne ne faisait auparavant que des apparitions ponctuelles dans ses films : c’était par exemple l’automobile croisée dans La Horde sauvage, qui annonçait la fin d’une époque et de ses protagonistes - et de façon encore plus radicale dans The Ballad of Cable Hogue puisqu’elle causait la mort du personnage principal. Dans Osterman Week-end, la technologie est omniprésente sous sa forme la plus commune, la télévision - « une drogue », comme le dit Fassett. Les premiers plans du film représentent d’ailleurs le meurtre de la femme de Fassett filmé par un circuit de télésurveillance. Du moins en apparence, car on se rend très vite compte que ces images sont montées comme une séquence de cinéma découpée, au lieu du plan-séquence à cadrage fixe que l’on serait en droit d’attendre - un procédé déjà utilisé entre autres par Brian De Palma dans Phantom of the Paradise. Le message est clair : Peckinpah va insidieusement injecter l’art cinématographique dans un produit contaminé par l’esthétique télévisuelle, désignée comme l’ennemi, ainsi qu’en témoigne le dernier plan montrant le studio de télévision vide.

Cette technologie omniprésente a néanmoins ses limites, et Peckinpah n’omet jamais de lui opposer une résistance bien traditionnelle, empreinte de l’esprit du Vieil Ouest. Ainsi, face aux fusils à visée infrarouge des assaillants, on oppose arcs et arbalètes traditionnels. De même, le combat à mains nues n’est pas oublié - Osterman mettant à mal son professeur de karaté dans une salle plongée dans l’obscurité. Là est sans doute la clef d’Osterman Week-end : tenter de retourner un matériau déjà existant sur lequel on n’a aucune prise, et coûte que coûte s’efforcer de lui apposer sa marque de fabrique. Et force est de constater que le style de Peckinpah est bien présent, même s’il peine à s’imposer sur la longueur du film. Et si l’intrigue évoque souvent The Killer Elite, on pourrait dire que le film dont Osterman Week-end se rapproche le plus est sans doute Les Chiens de paille : même habitation isolée, même retour de la violence primale sous le vernis de la civilisation, jusqu’à la découverte du chien qui rappelle le chat pendu dans l’armoire... à ceci près que cette fois il s’agit d’une supercherie. On est là encore dans un univers d’apparences.

Si Osterman Week-end ne saurait être considéré comme l’égal de La Horde sauvage ou de Croix de fer, il serait tout aussi absurde de n’y voir qu’un simple ratage de fin de carrière. Il est au contraire passionnant de voir un réalisateur revenir sur les plateaux après une longue absence et se confronter à un univers qui n’est pas le sien. Ainsi, aucun des jeunes acteurs ne fait partie de ses interprètes habituels, et pourtant leur talent apporte beaucoup au film, notamment John Hurt qui campe là un personnage particulièrement retord et ambigu. Et si l’intrigue peut sembler confuse, n’est-elle pas en fait représentative d’une époque cinématographique dans laquelle Sam Peckinpah ne se reconnaissait plus, à l’instar de Pike Bishop et les siens, perdus dans un monde où les valeurs et les règles étaient autres ? Il faut donc prendre Osterman Week-end comme un chant du cygne désabusé et jouissif à la fois, dernier feu d’un des plus grands cinéastes de son temps.


(1) Sam Peckinpah, dans une interview donnée au magazine Playboy, 1972.
(2) Bloody Sam, page 357.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Franck Suzanne - le 7 avril 2007