Menu
Critique de film
Le film

Lady Hamilton

(That Hamilton Woman)

L'histoire

L'histoire véridique de la jeune Lady Emma Hamilton, muse à la beauté légendaire et égérie des cours de Sicile et de Naples. Sa grâce et ses charmes ensorcelèrent le célèbre Amiral Nelson, qui lui dévoua son amour et en retour puisa en elle la force de faire chuter Trafalgar et l'Empereur Napoléon. Des amants exaltés, une passion charnelle et interdite que l'adultère achève dans la tragédie.

Analyse et critique

Lady Hamilton est une des premières productions anglaises d’envergure illustrant la politique de cinéma de propagande qui aura cours dans le pays tout au long de la Seconde Guerre mondiale. L’objectif de ces films est d’apporter une illustration de l’identité anglaise, de solliciter les bons sentiments du peuple et son unité à travers la fiction. Plusieurs tendances se dégageront assez vite dans les films produits dans ce contexte. D’un côté nous aurons des films plus austères, aux tendances documentaires, montrant de façon réaliste une frange de l’armée ou de la population anglaises répondant avec courage à l’adversité et aux privations du conflit. Parmi ceux-là on peut citer le fameux Ceux qui servent la mer de David Lean (1942) qui nous plonge dans le quotidien d’un destroyer, le poignant Millions Like Us (Sidney Gilliat, Frank Launder - 1943) dépeignant le sort de femmes mobilisées qui contribuent à l’effort de guerre dans les usines d’armement. Dans une tendance inversée, on a de purs divertissements qui s’éloignent de cette réalité avec les mélodrames flamboyants et rocambolesques de Gainsborough comme The Man in Grey (Leslie Arliss - 1943), The Wicked Lady ou Love Story (Leslie Arliss - 1944). Enfin on trouvera de purs ovnis et les vrais chefs-d’œuvre de cette vague dans les films sachant se jouer de la commande, notamment Powell et Pressburger qui célèbrent la culture anglaise tout en en dénonçant la fermeture et l’archaïsme dans A Canterbury Tale (1944), Colonel Blimp célébrant plus la maladresse d’un officier que ses exploits au front, le guerrier Went the Day Well (Alberto Cavalcanti - 1942) où une invasion allemande est causée par l’inattention des locaux. De manière générale, sous la contrainte de départ, les cinéastes avaient une liberté étonnante et le contexte permit de lancer de jeunes talents ainsi que d’oser des traitements audacieux.

Tout comme il avait annoncé cette période avec Les Quatre plumes blanches, produit juste avant le début de la Seconde Guerre mondiale, Alexander Korda montre donc la voie à suivre dans Lady Hamilton qui réunit toutes les facettes attendues : portrait d’une figure historique anglaise héroïque avec Lord Nelson, acteur majeur des guerres napoléoniennes sur mer qui serviront ici à établir une analogie entre l’envahisseur Napoléon et Hitler pour éveiller la conscience des Etats-Unis et les faire entrer dans le conflit. La propagande simpliste est évitée en choisissant l’angle romanesque des amours interdites entre Lord Nelson et Emma Hamilton, qui est finalement la vraie héroïne du film. Le scénario de Walter Reisch et R. C. Sherriff est parfaitement équilibré sur ce point, mêlant épopée romantique et message politique. Walter Reisch, plutôt à l’œuvre à Hollywood, aura déjà donné dans ce mélange des genres avec le script de Ninotchka, auquel il contribua, et maîtrise à merveille la romance piquante comme le montre le llusions perdues de Lubitsch dont il signe le script cette même année. Le dramaturge  R. C. Sherriff aura précédemment adapté Les Quatre plumes blanches pour Korda et contribue ici à distiller la facette politique sous-jacente, Hollywood le sollicitera plus tard pour une autre romance plus contemporaine sur fond de guerre, Ames rebelles d’Anatole Litvak (1942).


Tout en étant très fidèle à la réalité historique, Lady Hamilton se place constamment du côté de l’intime à travers son couple qu’il confronte à la pression sociale et surtout aux évènements géopolitiques cruciaux qui se jouent et qui vont les séparer sans cesse. Le film s’ouvre ainsi sur une Emma Hamilton errant à Calais, alcoolique, la beauté plus qu’un souvenir lointain et surtout le cœur brisé. C’est par cette introduction pathétique que s’instaure un flashback où nous saurons comment tout a été perdu. Vivien Leigh star internationale depuis le triomphe d’Autant en emporte le vent retrouve tout l’espièglerie de sa Scarlett lors des premières séquences à Naples. Les bonnes manières et le port aristocratique sont plutôt gauches dans un premier temps, face à son futur époux l’ambassadeur Sir William Hamilton ; et le ton gouailleur plus naturel lors des échanges avec sa mère illustre bien les origines populaires d’Emma et sa nature de coureuse de dot frivole. Devenue l’épouse de l’ambassadeur à la cour de Naples, Emma a gagné en esprit, raffinement et élégance, mais demeure cette coquille superficielle dans laquelle souhaite la maintenir Sir William, un mari bien plus âgé qu'elle et la voyant moins en égal que comme un trophée de plus parmi les objets d’art qu’il collectionne.

Emma va s’éveiller au monde qui l’entoure et au vrai amour avec la rencontre du ténébreux et taciturne commandant Nelson (Laurence Olivier). Ce dernier, en la découvrant sous son jour le plus frivole, se refuse tout d’abord à parler des affaires du monde en sa présence, mais va vite découvrir qu’elle est la vraie ambassadrice lorsqu’elle lui obtiendra par d’habiles manœuvres l’audience et les troupes qu’il réclamait au roi de Naples. La reconnaissance et l’admiration cèdent au dédain de départ et, au fil des rencontres et services rendus durant ces années, l’amitié et la romance vont naître entre eux. Les deux personnages évoluent de ce qu’ils représentent à ce qu’ils sont, soudainement humanisés par cette passion qui les anime. Vivien Leigh, sautillante et enjouée, s’imprègne progressivement d'une passion et d’une gravité allant crescendo jusqu’à cette expression d’une intensité incroyable en fin de film lorsqu’on viendra lui annoncer la mort de Lord Nelson. Laurence Olivier, raide et emprunté, se dévoile également lorsque ses pensées uniques dérivent de la mère patrie à cette Emma qu’il ne veut plus quitter, l’acteur jouant beaucoup de sa gestuelle et de son regard peu à peu plus animés et naturels, moins robotiques (le moment où on le découvre mutilé après quelques années de séparation est des plus marquants, notamment par la compassion d’Emma qui le revoit ainsi). Cette transition est évoquée dans la très belle scène de la taverne où Emma imite les expressions renfrognées de Lord Nelson et que celui-ci amusé lui en dévoile une nouvelle, celle de l’homme amoureux.

Vivien Leigh et Laurence Olivier s’étaient rencontrés durant le tournage de L’Invincible Armada (1937) et entretenaient depuis une liaison controversée en Angleterre. Ayant enfin obtenu le consentement au divorce de leur époux respectifs, ils se marient le 7 juin 1940 et Lady Hamilton, troisième et dernier film où ils partagent la vedette (ce sera bien plus souvent le cas au théâtre), constitue donc une forme d'officialisation de leur couple. Cela se ressent dans l’intensité et la fougue des scènes sentimentales poignantes, la situation illégitime d’Emma et Horatio Nelson répondant à celle qu’ils ont connue dans un étonnant mimétisme. Si Vivien Leigh et Laurence Olivier surent dépasser la vindicte morale et vivre au grand jour leur amour, il n’en sera pas de même pour leur double à l’écran rattrapé par leur statut.


La grande Histoire s’invite donc enfin dans la dernière partie du film avec une évocation épique de la bataille de Trafalgar. Le résultat s’avère d’autant plus impressionnant quand on sait qu’Alexander Korda, contraint par un budget modeste au vu de l’ambition affichée, tourna le film en cinq semaines. Vincent Korda aux décors réalise une nouvelle fois des prodiges avec notamment l’ambassade anglaise de Naples et son entrée tout en arche et piliers blanc marbrés, la chambre d’Emma et l’incrustation à la fenêtre offrant une vue somptueuse du Vésuve en éruption, ou encore la maison de campagne où le couple vit ses derniers instants heureux ornée d’une imposante baie vitrée. Chacun de ces espaces est filmé avec brio par un Alexander Korda toujours aussi habile pour mettre en valeur sa reconstitution, notamment les costumes de Vivien Leigh qui arbore un port de reine au faîte de la splendeur d’Emma. Ce savoir-faire éclate d’autant plus lors de la bataille finale avec ses vaisseaux de guerre à perte de vue, les dégâts dévastateurs infligés par les coups de canon dont nous aurons vu les tirs depuis l’intérieur de la cuirasse des navires grâce à de remarquables effets visuels.


C’est dans cette bataille que Lord Nelson perd la vie et que symboliquement celle de son aimée s’arrête pour nous ramener à sa déchéance finale à Calais qui fut une réalité. Le mélodrame et le patriotisme s’entremêlent dans un éclat significatif s’il en est, avec ce couple mythique qui a sacrifié son bonheur pour préserver la patrie. Si eux se sont oubliés pour une telle perte, l’Angleterre saura faire face aux nouveaux sacrifices qui s’imposent pour stopper l’invasion d’un nouveau tyran, Adolf Hitler. Le pari fut réussi sur tous les points, Churchill faisant de Lady Hamilton son film favori. La sortie américaine fit grand bruit aussi, l’association isolationniste AFC (America First Committee) fustigeant Lady Hamilton et son appel trop explicite. Accusé d’espionnage et de propagande sur le territoire américain, Alexander Korda échappa miraculeusement aux charges puisque cinq jours avant sa comparution devant le Senate Foreign Relations Committee eut lieu la fameuse attaque de Pearl Harbor, engageant définitivement les Etats-Unis dans la Deuxième Guerre mondiale.

Au-delà des manœuvres diplomatiques ayant conduit à sa production, la force et l’émotion suscitées par Lady Hamilton demeurent intacte, car son message aura su se fondre dans une histoire d’amour incandescente et parlant à tous.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 17 janvier 2013