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Critique de film
Le film

Colonel Blimp

(The Life and Death of Colonel Blimp)

Analyse et critique

Colonel Blimp ou comment un film réalisé durant la Deuxième Guerre mondiale, et inspiré d’une figure caricaturale connue seulement des britanniques, parvient à confiner au sublime et à l’universel sur la condition humaine… En effet, initialement, Colonel Blimp, créé par le satiriste David Low pour le quotidien London Evening Standard, était un personnage de bande dessinée se caractérisant par sa mentalité réactionnaire et ses attitudes pompeuses. Les autorités britanniques, et notamment le ministère de l’Information, tentèrent de perturber la production d’un film qui leur semblait ainsi railler les valeurs nationales et ne pas participer à l’effort de guerre réclamé de tous. Le film fut toutefois un grand succès, le public ne se trompant pas sur la grandeur de ses intentions, et le temps n’a depuis fait qu’amplifier encore l’éclat d’un film majestueux tant pour son amplitude que pour sa densité thématique.

Colonel Blimp, prenant la forme d’un long flashback qui englobe près de quatre décennies d’histoire, repose ainsi sur la rencontre et sur l’amitié de deux officiers, l’un britannique (Candy) et l’autre allemand (Theo), devenant inséparables après s’être battus en duel. A travers leur relation, Colonel Blimp participait, plus qu’à un effort de propagande ponctuel, à une véritable réflexion sur le temps qui passe, et sur la manière dont celui-ci renverse inévitablement les conceptions, les valeurs, les principes. D’une certaine manière, tout en affirmant avec vigueur son anti-militarisme, Colonel Blimp invitait à ne pas se laisser aveugler par le contexte de la guerre et à prendre conscience de la complexité, de la globalité et de la multiplicité des enjeux.

Symboliquement, quoiqu’omniprésente, la guerre sous toutes ses formes demeure ainsi constamment hors-champ dans Colonel Blimp, manière habile de rappeler que ce sont surtout ses conséquences qui comptent, la façon dont elles affectent les vies des personnages et, à travers elles, toute l’Humanité. Par ailleurs, peut-être la plus belle séquence du film - et celle la plus exécrée par Winston Churchill - voit la beauté des campagnes anglaises et la grandeur des valeurs britanniques exaltées par un officier allemand, le film invitant ainsi à récuser toute forme de manichéisme, et notamment l’amalgame allemand/nazi. Evidemment, ces aspects doivent être resitués dans leur contexte pour en saisir toute l’irrévérencieuse valeur, et le spectateur d’aujourd’hui aura peut-être du mal à se contenter de cette richesse historique.

Fort heureusement, Colonel Blimp est bien plus, et sa force thématique n’en est que sublimée par sa splendeur visuelle : première production des légendaires Archers, le film marque également la première collaboration avec le décorateur Alfred Junge, en même temps que l’apparition de Jack Cardiff au générique d’un film de Michael Powell, en temps que technicien en charge du Technicolor. Que ce soit par l’infinie beauté picturale de certains plans, la sophistication de certains mouvements de caméra (notamment celui ouvrant le flashback) ou la majesté des décors, ce constant éclat formel participe à l’harmonie d’un film caractérisé par ce que Jacques Lourcelles appelle joliment un « baroque sobre et délicat ».

Car, d’une certaine manière, le plus marquant autant que le plus insaisissable aspect de ce spectacle tour à tour violent et nostalgique, drôle et cruel, intime et grandiose, réside dans son parfum de rêverie propre au cinéma de Michael Powell, une forme de poésie à la lisière du fantastique, ici notamment restituée par la présence de Deborah Kerr. Dans Colonel Blimp, la comédienne incarne en effet successivement trois personnages, trois figures de femmes distinctes mais complémentaires, dont la fraîcheur et la jeunesse constantes contrastent avec les vieillissements - très réussis d’ailleurs - de Candy et de Theo. Comme une impossible forme de résistance au temps, et comme un formidable résumé à ce film immense d’humanité, elle véhicule à elle seule l’espoir et la beauté du monde "malgré tout".

Dans les salles

Film réédité par Carlotta

Date de sortie : 4 avril 2012

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La fiche IMDb du film

Par Antoine Royer - le 4 avril 2012