Menu
Test dvd
Image de la jaquette

Je vous salue, Marie

DVD - Région 2
Gaumont
Parution : 8 février 2023

Image

Si certains plans peuvent manquer de piqué (aux contours de certains corps, dans un film de peaux souvent nues) ou souffrir de fourmillements, la copie rend bien le chaud-froid constant des images du film, cette lumière assez unique des Godard tournés au bord du Léman et de ses ciel jamais monochromes.

Son

Aborder les Godard de la quatrième période (post-60's, Groupe Dziga Vertov et séjour à Grenoble), c'est à un moment ou à un autre aborder le travail sur le son qu'y a effectué François Musy. Sons off de la nature (du vent dans les champs au croassement de mouettes) viennent s'ajouter ici à la musique de Bach et de Dvorák, cela sur les voix des personnages, dans un mixage fait de quelques  nappes, et surtout de coupes sèches entre celles-ci, d'un morcellement constant. Difficile d'éviter une saturation occasionnelle (notamment dans quelques aigus) mais le retour sur ces rééditions par Gaumont sera surtout l'occasion de rappeler cette réussite particulièrement retentissante des JLG de la période.

Suppléments

Le Livre de Marie (1985, 27 min)

Présenté en salles à la sortie du film de son compagnon Godard avant celui-ci (et ses modestes 76 minutes), Le Livre de Marie, signé Anne-Marie Miéville, est un pendant terrestre à ce film céleste, aussi ordinaire et psychologique (ce n'est pas un gros mot) que l'autre se veut mythologique et métaphorique. C'est un chef-d'oeuvre à part entière. Non pas que Miéville procède par une simple continuité dialoguée (sa mise en scène est profondément influencée par celle de Godard, avec qui elle avait dû reste collaboré), mais elle adresse directement la crise, et les questionnements, qui motivaient le film plus imposant que ce court-métrage gracieux introduisait. La Mère, c'est Aurore Clément, le Père, Bruno Crémer, et si la ressemblance physique avec son modèle n'est pas évidente pour le second, ils sont des doubles assumés, par le style, la manière de vivre, leur ancrage dans une petite ville au bord du Léman, du couple JLG/Miéville. Elle demande une séparation, ce qui affecte Marie (Rebecca Hampton), leur fille de onze ans. Pour l'essentiel à hauteur d'enfant, le film montre des épisodes de son quotidien, la manière dont son agitation trahit une angoisse, son sentiment de déchirement devant le départ de son père pour un appartement à Genève qu'elle visite le week-end. Le récit n'est pas strictement autobiographique : Godard n'était pas le père de la fille de Miéville et celle-ci a, au contraire, voulu prendre ses distances avec un homme qui s'était de son côté beaucoup attaché à elle ; malgré ses difficultés, le couple n'a pas rompu. Il n'en reste pas moins qu'il informe beaucoup (et de manière autrement plus directe que les Godard de la période) sur la vie que menait ce couple de grands-bourgeois romands - et plus individuellement sur les rapports de Miéville à sa fille d'une union précédente. Anne-Marie est, en bonne et due forme, la Mère, Jean-Luc, lui, n'est pas réellement le Père. La paternité lui aura échappé, soubassement de son obsession pour la maternité, soit ce qui ne peut pour un homme arriver qu'à l'autre au sein de la relation. Très complémentaire de Je vous salue, Marie (il adresse avec une simplicité non pas biblique mais à la première personne ce que Godard sublime dans un néo-classicisme confinant à l'abstraction), ce Livre de... en diffère autant qu'il y ressemble par certains aspects. Il peut être d'autant plus émouvant de le voir après plutôt qu'avant le long-métrage : il aurait d'une certaine façon suffi de montrer cela mais Godard, contrairement à Miéville, et à notre plus grand profit, en était lui incapable.

Scénario de Je vous salue, Marie (1985, 20 min)

Cet essai vidéo n'est pas qu'un simple travail préparatoire (ce à quoi il sert également de manière visible) : il s'agit de demander des fonds pour un film qui se voudrait à 60 % suisse quant à ses financements. La demande de fonds est intrinsèquement associée par Godard à l'ancrage en Helvétie, dans un pays neutre, c'est-à-dire pour lui au point le plus chaud entre le négatif et le positif, lieu de ses sommets hautains et brûlants sous la glaciation des manières (la Suisse est une nation de faux calmes). Il y a donc, en un seul objet, une demande, une réflexion déployée par le cinéaste lui-même sur ce qu'il s'apprête à filmer et les essais filmés - déjà une célébration de Myriem Roussel dans toute sa beauté juvénile. Je vous salue, Marie s'est donc toujours, et ce dès le départ, voulu une déclaration d'amour à elle... quand bien même Thierry Rode préparant le rôle de Joseph s'y entretient avec le cinéaste en préparation filmée prenant des allures d'auto-analyse. Godard converse séparément aussi avec l'élue, caméra on, lui demande de prendre d'un coup une allure de Pietà (elle s'exécute avec une limpidité même pas virtuose, abandonnant en un clin d'oeil son ton enjoué et un air taquin), de s'intéresser à ses heures perdues à Giuletta Masina pour son côté clownesque. Il s'agit donc de combiner la splendeur (innée de la jeune femme) à une approche ordinaire (sa démarche de canard, comme Godard feint de se moquer pour la mettre à l'aise), triviale même... quand un cinéaste débordant de fascination pour elle, lui demande de repasser du linge à l'image tandis qu'il échange avec (l'étourdit et la déstabilise par des propos partant en tous sens, plutôt). Tout cela, cette volonté de faire du filmage un rapport amoureux entre lui et elle, doublée d'une disparité de pouvoir et d'expérience, ne pouvait que mal finir et présage, par l'infatuation même, de la violence du tournage à venir : Roussel sera éjectée de ce cocon amoureux par les réalités d'un tournage tandis que Godard rencontrera l'opposition bien compréhensible d'une personne réelle à son idolâtrie. De ce contre-transfert brutal naîtra le heurt dont le film avait besoin pour venir au monde. Assister au transfert n'en procure qu'un plus grand pincement au cœur. Le scénario, sinon ? On comprend que sur ce plan le film sera, même selon des critères godardiens, particulièrement difficile à élaborer en cours.

Par Jean Gavril Sluka - le 22 mars 2023