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Test blu-ray
Image de la jaquette

Solo

BLU-RAY - Région B
ESC Editions
Parution : 4 mai 2022

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Solo avait été édité en DVD en 2004 par Pathé, édition qui - comme la très grande majorité des films de Jean-Pierre Mocky - figurait ensuite à l'intérieur du colossal coffret Mocky sème la zizanie. Depuis, le film a fait l'objet d'une restauration 4K, supervisée par Mocky Delicious Products et réalisée par le laboratoire Éclair Classics, avec le soutien du CNC, en 2021, qui a mené à cette première édition haute-définition mondiale. Dans les suppléments, Eric Le Roy évoque ce difficile travail de restauration (voir plus bas), mais on peut d'emblée se livrer à un comparatif sur captures.

DVD Pathé (2004) vs. Blu-ray ESC (2022)1 2 3 4 5 6 7 

L'exercice comparatif est plutôt édifiant, et tend évidemment à valoriser l'édition haute-définition : on peut commencer par remarquer une restauration du format original (le DVD proposait une image zoomée) particulièrement manifeste sur les bords et un gain de définition évident à tous niveaux (finesse du piqué, rendu des détails, lisibilité des différents plans...). Le grain offre un rendu plutôt naturel, et on n'aura pas perçu d'usage abusif des outils de retouche numérique, comme cela a parfois pu être le cas sur certaines sorties de l'éditeur.

On s'étonnera simplement de la différence de rendu dans l'étalonnage et la colorimétrie : on le sait, les sorties du début des années 2000 avaient souvent tendance à pousser à l'excès les curseurs pour exacerber les performances du numérique et faire de la "belle image", attractive à l'oeil mais pas forcément respectueuse du matériel d'origine. Pour le coup, malgré ses défauts évidents, le DVD Pathé ne tombait pas spécialement dans ces travers : son rendu très terne conférait une atmosphère grisâtre qui seyait plutôt au ton blafard du film. Le Blu-ray joue une carte différente, avec des teintes bien plus fortes : si c'est ponctuellement percutant sur les rouges (le sang, l'imperméable d'Anne Deleuze...), cela contribue à modifier les carnations ou les décors en poussant les jaunes (voir capture 3, le visage d'Anne Deleuze, ou son pull qui passe du bleu-gris au presque vert), donc à accentuer la "solarité" de l'ensemble du film, au départ très sombre. On ne questionne pas tant la pertinence de ces ajustements chromatiques que leur mesure, qui semble ici presque abusive.

Son

Le film étant post-synchronisé, on appréciera les avantages (clarté des dialogues, lisibilité du mixage) comme les inconvénients (manque de naturel, pauvreté de certaines ambiances) sur la bande-son. Le rendu d'ensemble est agréable et suffisamment dynamique, aucun défaut signifiant n'est donc à signaler.

Suppléments

Quand Solo sonne mai 68 (12 min - HD) est un entretien avec Jean-Pierre Mocky, réalisé par Linda Tahir en 2018, durant lequel le cinéaste, bien que déjà manifestement fatigué (il est décédé en 2019), relate avec sa faconde habituelle (et les exagérations qui vont avec) la genèse du film, depuis cette conversation de bar à l'origine du projet jusqu'à sa réception ou sa postérité, en passant par les conditions de tournage (dans une expérience de "cinéma participatif"). Entre autres anecdotes, on y apprend que la ritournelle composée par Georges Moustaki s'inspire d'un célèbre "chant des partisans grecs" ; que Delon et Belmondo avaient refusé le rôle de Vincent (que Trintignant avec accepté mais en fait pas à cause de la similitude supposée du film avec Z de Costa-Gavras) ; ou que Patrick Dewaere, alors quasi inconnu, avait auditionné pour le rôle de Virgile, mais qu'il avait été "très mauvais dans l'essai".

Dans un entretien avec Anne Deleuze (16 min - HD), la comédienne relate sa rencontre en deux temps avec Jean-Pierre Mocky, alors qu'elle est étudiante au cours Balachova, sur la foi de sa ressemblance supposée "avec Sophia Loren jeune". Elle évoque le tournage dans la région rémoise, les aventures vécues en expliquant qu'elle croyait, puisqu'il s'agissait de son premier film, que tous les tournages se passaient ainsi (ses expériences à venir lui confirmeront que ce n'est pas forcément le cas) : aucune répétition avant de tourner une scène, l'absence de costumier ou de coiffeur sur le plateau, l'usage d'un faux scénario pour obtenir les services de la gendarmerie, les normes de sécurité très relatives, les gueulantes de Mocky... Elle établit d'ailleurs une analogie amusée entre le personnage de Vincent et Mocky lui-même ("à la fois un artiste et un voleur", un "bel homme charmeur qui s'en fout un peu"), avant d'évoquer le "sens artistique" du cinéaste, dans le travail des couleurs, l'utilisation de la musique... Elle insiste plusieurs fois sur la singularité du film, dont on lui parle encore régulièrement, qui aura traité "à chaud" des conséquences de Mai-68, un sujet selon elle "très peu traité" par le cinéma. Dans la dernière partie, elle parle avec émotion de Jean-Pierre Mocky, un "menteur" d'une grande douceur, un peu "fou", très "libre" et extrêmement "protecteur".

Dernier supplément, un entretien avec Eric Le Roy (15 min - HD), qui intervient en tant que membre de la direction du patrimoine cinématographique du CNC mais également en tant qu'ancien assistant de Mocky. Il décrit d'emblée le film comme "une rupture" dans la carrière du cinéaste, à la fois pour son retour en tant que comédien (au jeu "bressionien", un peu "récité", avec un "grain de voix particulier") mais aussi pour le sujet "noir et rouge" du film, l'après-68 et "l'échec de cette révolution". Il évoque la manière dont le film, de manière "jamais vue au cinéma", analyse la question des "réseaux terroristes en Europe", à la fois du point de vue des jeunes mais aussi de la police, faisant du film "l'un des plus importants de son auteur mais aussi du cinéma français".

Selon Eric Le Roy, Solo amorce une "trilogie plus un" dans la carrière de Mocky, avec L'Albatros et Le Piège à cons ("trilogie sur l'état de la société française"), en rajoutant donc La Machine à découdre, film plus tardif qui "suit le même schéma" mais dans lequel Mocky incarne cette fois "un malade", "tout en blanc", "en plein soleil". A son tour, il évoque George Moustaki, venu au projet grâce à Véronique Nordey, dont la musique "est indispensable au film". Il évoque enfin la restauration, réalisée à partir du négatif d'origine, et rendue délicate par la fragilité du support, usé par la multiplication des tirages de copies, mais qui permet désormais de redécouvrir le film dans une "version adéquate, je dirais même parfaite".

Par Antoine Royer - le 27 février 2023