Test blu-ray
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Le Comédien

BLU-RAY - Région B
Rimini Editions
Parution : 5 décembre 2023

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La restauration 4K du film a été menée en 2022-2023 par TF1 Studio, à partir du négatif image nitrate, d'un marron nitrate et d'un négatif son français nitrate, les travaux numériques et photochimiques étant réalisés par le laboratoire Hiventy. Le Comédien y a trouvé une vraie cure de jouvence, tant il est vrai que le DVD LCJ Editions de 2006 offrait un rendu médiocre (voir comparatif ci-dessous).

Blu-ray Rimini (2023) vs. DVD LCJ Editions (2006) :
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La diversité des sources utilisées pour la restauration, mais même avant cela des prises de vue (le film intègre un plan de Ceux de chez nous, datant de 1915), induit inévitablement une certaine hétérogénéité, et on peut avoir au sein d'une même séquence des variations assez importantes de définition ou de rendu. Ceci étant posé, la qualité du travail accompli est particulièrement perceptible dans certaines séquences superbes, qui donnent à voir Sacha Guitry ou les détails de ses décors intérieurs comme on ne les avait presque jamais vus. Pas de soucis notables dans la gestion du grain, au rendu naturel ; des contrastes (avec des noirs profonds mais jamais bouchés) ; ou de l'éventuel usage d'outils de retouches numériques (certains contours un tout petit peu appuyés parfois, mais rien de gênant). Du bon travail.

Son

Les dialogues se détachent de façon parfaitement audible, et même si le rendu porte parfois son âge, on apprécie là aussi le travail accompli. 

Suppléments

Un DVD entier est consacré aux suppléments, avec notamment trois entretiens inédits :

Le Comédien par Noël Herpe (30'25'' - enregistré en juin 2023) est un module de contextualisation historique et d'analyse assez complet, clair, pertinent (peut-être un peu long) et assez largement illustré d'extraits. Commençant par un trait d'esprit de l'auteur ("J'ai fait Lucien Guitry car Lucien Guitry m'a fait"), Noël Herpe explique comment Le Comédien est né d'un souci de revanche, vis à vis du père (une "ombre portée" sur toute la jeunesse de Sacha, contre laquelle il finira par "gagner la bataille de la postérité", comme il est dit plus tard) comme de la manière dont il avait été traité à la Libération. Le retour en arrière historique débute bien avant les débuts de Sacha cinéaste, avec la création de la pièce au début des années 20, très largement inspirée d'éléments biographiques ou d'anecdotes de la vie de son père. La structure "en retable" du film est détaillée, la partie centrale héritée de la pièce, centrée sur la question de la "transmission", étant encadrée d'un "prologue documentaire assez désinvolte" (célébration "un peu solennelle" du père) et d'un épilogue "fétichiste", "délire oedipien et pirandellien", utilisant les ressorts de l'art cinématographique pour "mettre en abyme le jeu de son père" (à tel point que Noël Herpe se mélange un peu les pinceaux, à l'occasion, entre les prénoms du fils et du père)...  Noël Herpe interroge ensuite le rapport complexe au temps de Sacha Guitry, pour contester la perception d'un auteur "réactionnaire et passéiste" mais qui, dans son cinéma, parvient à "faire vibrer la mort", puis incidemment son rapport au cinéma, qu'il n'a jamais vraiment théorisé, mais que Noël Herpe résume dans la "trilogie du geste, du mot et du masque". 

Dans Guitry, les actrices, les épouses (21'48'' - entretien dont il est précisé au début qu'il a été enregistré en juillet 2027 (!!!) et à la fin en juin 2023), Raphaëlle Moine part de sa découverte "sans a priori" du cinéma de Guitry ("je n'avais d'ailleurs pas été très emballée" par Le Roman d'un tricheur) pour évoquer assez vite la sempiternelle question du "théâtre filmé" (sans y répondre de façon très convaincante d'ailleurs... hormis Pasteur - et on pourrait en discuter - quels seraient les titres qui relèveraient effectivement du registre ?). Distinguant les périodes d'avant et d'après-guerre dans la filmographie du cinéaste selon plusieurs critères (les événements de la Libération ; le "vieillissement" de l'auteur induisant "un changement de tonalité" de "la légèreté vers l'amertume" ; et enfin le changement des compagnes et actrices), elle en arrive à la présence des femmes dans son cinéma, et notamment, dans un premier temps, de ses trois dernières épouses : Jacqueline Delubac, Geneviève de Séréville et Lana Marconi. L'historienne insiste sur le fait que celles-ci ont "exclusivement joué du Guitry", "vassalisées à son univers", ayant toutes disparu des écrans après leur séparation d'avec l'auteur. Dans ses films, elles sont "de fait quasiment interchangeables" dans le rôle "de belles icnes muettes", là où "la parole est l'apanage du masculin" (avec l'exception notable de Bonne chance). Elle accorde une attention particulière à la "rayonnante" Jacqueline Delubac, qui apportait "de la modernité" à un "univers très fin de 19ème siècle", là où les apparitions de Lana Marconi étaient plutôt marquées par "sa stature hautaine et figée". Dans la dernière partie, elle mentionne également d'autres comédiennes, récurrentes ou occasionnelles, mais on aurait trouvé légitime que la présence décisive de Pauline Carton dans sa filmographie ne soit pas limitée à une mention, par là même trop furtive.

L'interview de Nicolas Pariser (31'30'' - enregistrée en août 2023) offre le regard d'un cinéaste contemporain (Alice et le Maire ou Le Parfum vert notamment) sur la carrière d'un pair (d'un père ? on ne le saura pas vraiment ici, si ce n'est pour la furtive mention d'un "vertige de la parole")... En effet, celui-ci oeuvre en l'occurrence largement dans le registre de l'historien, partant de l'état du cinéma français du début du siècle pour justifier les rapports initiaux "négatifs" de Sacha Guitry au septième art, jusqu'à la réalisation de Ceux de chez nous au début de la Première Guerre Mondiale, tentative de "pallier les limites du cinéma muet". On saute ensuite quelques années pour arriver au moment où, par réflexe "chauviniste" au moment où il apprend la mise en chantier d'un film américain de William Dieterle sur la vie de Pasteur, il se lance véritablement dans le cinéma, avec les tournages presque simultanés de Pasteur et de Bonne Chance. Analysant de façon pertinente la façon dont le travail cinématographique de Sacha Guitry était perçu (ou plutôt, non perçu) dans les années 30, il invite à s'intéresser à la manière "tout à fait éblouissante" dont Guitry "filme, découpe ou dirige alors ses comédiens" - sur le dernier point, il avoue même considérer Guitry comme "le meilleur directeur d'acteur de son époque". Il rappelle ensuite l'influence de François Truffaut dans la réhabilitation du cinéaste, notamment à partir d'Assassins et voleurs, qui le verra passer de cinéaste honni à "cinéaste pour cinéphiles". Il termine sur l'héritage hypothétique du cinéaste, d'Alain Resnais à Emmanuel Mouret, en insistant sur le fait que le cinéma n'est pas qu'un art de l'image, et que contrairement au dogme hollywoodien du "show don't tell", "on peut beaucoup parler au cinéma".

Autre document majeur figurant sur le disque, le fameux Ceux de chez nous (20'30'' - 1915), qu'il est possible de voir précédé ou non d'une introduction d'environ 7 minutes de Noël Herpe. Ce moyen-métrage documentaire composé de prises de vue montrant les « plus grandes personnalités de leur temps » au travail traduit le prime rapport de Sacha Guitry au cinéma, en ce qu'il s'agit d’établir pour la postérité une sorte d’encyclopédie animée, montrant dans leur travail Claude Monet, Auguste Rodin, l'avocat Henri-Robert, Camille Saint-Saëns, Anatole France, Auguste Renoir, Octave Mirbeau, Edmond Rostand, Sarah Bernhardt et tant d'autres. A noter qu'il a existé, au gré des remontages, plusieurs versions du film, et que dans celle-ci, on ne voit pas Lucien Guitry...

Derrière le titre Les essais des comédiens, des images assez rares de tournage montrent des répétitions, principalement de scènes confrontant Sacha Guitry à aux comédiennes Lana Marconi et Pauline Carton. On aurait évidemment adoré voir un peu plus de l'après "Coupez !", mais en l'état, ce sont essentiellement des rushs.

Plus anecdotique, un générique alternatif, découvert lors de la restauration du film, qui propose comme titre Place au théâtre !

Par Antoine Royer - le 28 décembre 2023