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Test blu-ray
Image de la jaquette

La Grande illusion

BLU-RAY - Région B
Studio Canal
Parution : 21 février 2012

Image

Comme il est expliqué en détail dans les suppléments de cette édition, La Grande illusion a bénéficié d'une restauration 4 K très poussée et, on peut le dire, miraculeuse. Ainsi, les avis dithyrambiques ne seront pas de trop concernant le rendu technique de ce disque. Pour commencer, on insistera sur l'extraordinaire propreté du master ; sur ce point, tous les défauts caractéristiques des films de cette période ont été supprimés sans jamais que l'image ne se départisse heureusement de la patine propre à son époque, on a ainsi l'impression que La Grande illusion nous est présentée comme l'avaient découvert les spectateurs en 1937. La définition est impressionnante (les passages flous que l'on rencontre de temps à autres sont plutôt dus aux conditions de tournage) avec une belle richesse des détails et on relève une utilisation légère et intelligente du réducteur de bruit. Le grain cinéma est parfaitement respecté. D'autre part, on reste coi devant la magnifique palette de gris de l'image et les contrastes sont admirablement gérés avec des noirs d'une grande intensité - pour pinailler, ou pourra trouver que ces mêmes noirs ne sont pas toujours assez profonds mais cela reste un détail surtout quand on prend en compte le travail accompli sur ce plan. Enfin, la compression numérique est quasi idéale, on ne relève aucuns tremblements d'aucune sorte et le bruit vidéo est quasi absent. En conclusion, même en projection, l'image de ce Blu-ray Studio Canal fait merveille, on n'avait jamais eu l'occasion de voir ce film de Jean Renoir dans des conditions aussi optimales.

Son

Au niveau sonore, la restauration paraîtra bien moins impressionnante. Pourtant celle-ci existe bel et bien, avec un excellent travail d'analyse sur les sons d'origine. Ainsi la bande-son française est globalement claire et la musique de Kosma se révèle le grand bénéficiaire de cette restauration. Le souffle caractéristique des pistes sonores des années 30 a été considérablement diminué. De leur côté, les ambiances sont très correctement rendues pour un film de cette époque. Pour ce qui concerne les voix des comédiens, toutes ne sont pas logées à la même enseigne : certaines sont plus saturées et stridentes que d'autres, mais sans jamais que cela ne gâche la compréhension des dialogues. Enfin, on remarque que la qualité sonore d'ensemble a tendance à diminuer vers la fin du film. Pour nos amis germanophones, le Blu-ray propose une version allemande qui se caractérise par un rendu général moins satisfaisant, surtout au niveau des ambiances, et par un manque de profondeur (les timbres sont plus agressifs à l'oreille et se détachent trop du reste de l'information sonore).

Suppléments

La Petite marchande d'allumettes (1928 - Court métrage - 29 min)
Cette édition Studio Canal a la bonne idée de présenter un des courts métrages de Jean Renoir réalisés au temps du muet. Adapté d'un célèbre conte de Hans Christian Andersen, ce film met en scène la première femme de Renoir, Catherine Hessling, dans le rôle d'une jeune fille pauvre vivant dans une cabane et qui ne peut espérer subsister qu'en vendant des allumettes en pleine rue. Mais en cette période de Noël, sous la neige et dans le froid, personne ne lui en achète et, un soir, elle s'endort grelottante et se met à rêver. Dans ses songes, la petite marchande se retrouve dans un magasin de jouets où ces derniers (poupées, danseuses, soldats de plombs), de même taille qu'elle, s'animent. Jusqu'à ce qu'un personnage figurant la mort apparaisse pour emporter la pauvre marchande. La fantaisie laisse alors la place au drame, suite à un combat désespéré pour échapper à un destin funeste. Revoir ce court métrage aujourd'hui ne révolutionnera pas l'idée selon laquelle Jean Renoir n'était pas un maître du cinéma muet. En effet, La Petite marchande d'allumettes, filmé les deux tiers du temps sans génie, met du temps à démarrer et à trouver son tempo. Cela dit, il se révèle plaisant dans l'ensemble et finit par montrer de grandes qualités formelles lors d'une course poursuite à cheval dans les nuages, magnifiquement exécutée et rythmée. S'ensuit alors des plans de toute beauté avec un traitement stylisé des cadres et un travail sur les reliefs des corps (le moment où la jeune fille vit ses derniers instants, dans le rêve comme dans la réalité). Avec ce court métrage, Renoir s'amuse comme un enfant avec bon nombre d'effets spéciaux et il faut reconnaître que la magie opère encore parfois aujourd'hui. Mais n'est pas Méliès qui veut, et sa féérie manque souvent de folie et d'audace pour rivaliser avec le pionnier prestidigitateur de la Star Film. Enfin, il faut souligner que la qualité technique de ce film est assez surprenante : l'image est stable, lumineuse, avec de beaux contrastes. Bien sûr, la pellicule est constellée de points noirs et de points blancs et elle est constamment striée par des rayures verticales, mais ces défauts ne gênent en rien la vision. En revanche, la musique qui l'accompagne est plutôt insupportable.

Film annonce 1937 (4 min 09)
La bande-annonce d'époque bénéficie d'une voix off qui explicite les enjeux thématiques du film et qui en fait justement un film de guerre particulier dans le sens où le peu d'action se réduit à l'évasion des deux prisonniers afin de surtout mettre en valeur les sentiments de fraternité entre militaires malgré les nombreuses frontières qui les séparent. Sur le plan qualitatif, ce film annonce n'a pas trop souffert des outrages du temps.

Film annonce 1958 (min)
Cette bande-annonce de ressortie est présentée par Jean Renoir lui-même. Assis à son bureau, le cinéaste raconte le cheminement de son film et les péripéties par lesquelles celui-ci est passé depuis sa sortie en salles en 1937 (les critiques, les coupes, les interdictions). Renoir - qui a combattu en 14-18 - met en avant son implication dans l'histoire qu'il relate afin d'insister sur l'authenticité de son travail. Il nous présente d'ailleurs des photos des avions de son escadrille (on l'aperçoit sur l'une d'elles). Renoir parle brièvement de l'esprit qui l'a animé et des partis pris humanistes que revendique La Grande illusion avant l'avènement des Nazis. Après avoir mentionné l'apport de Spaak, d'autres photos nous sont montrées : celle des comédiens. Ainsi ce sont les seules images que nous voyons de son œuvre, cette bande-annonce ayant la particularité de ne proposer aucun extrait. Enfin, Renoir termine son laius sur la nécessité qu'il a ressentie de ressortir La Grande illusion en 1958 - on imagine qu'il fait allusion au contexte troublé de l'époque (les premiers temps de la décolonisation, la guerre d'Algérie, la campagne de Suez, la Guerre Froide...).

Françoise Giroud se souvient du tournage (11 min 02)
Ce court documentaire datant de 1986, et réalisé par Alain Nahum et Anne Andreu, est tiré de la collection Cinéma Cinémas, la célèbre émission de télévision des années 70 et 80 consacrée au 7ème Art. Ici, nous suivons la grande journaliste François Giroud alors qu'elle parcourt - en voiture puis à pieds - quelques décors du tournage de La Grande illusion et qu'elle se remémore des souvenirs de cette période où, toute jeune, elle avait travaillé comme scripte pour Jean Renoir. Des anecdotes refont surface au fil de ses pérégrinations alors qu'elle nous fait part avec le recul de ses sensations sur le tournage et sur l'œuvre. Des extraits du film et surtout la musique de Kosma et les voix des comédiens établissent comme un dialogue émouvant avec les décors qui nous sont montrés (surtout celui de la forteresse Wintersborn). Entre autres choses, on apprend que c'est Françoise Giroud qui a écrit la fameuse scène d'altercation entre Gabin et Dalio alors que les deux évadés errent épuisés dans la campagne allemande.

Présentation de La Grande illusion par Ginette Vincendeau (12 min 15)
Bien que française, la professeur et critique de films Ginette Vincendeau s'exprime en anglais (sous-titré). Chose guère étonnante en fin de compte, puisqu'elle enseigne le cinéma au King's College à Londres et collabore régulièrement au magazine Sign & Sound. Assise dans une salle de cinéma, elle synthétise en quelques minutes les enjeux majeurs du film de Jean Renoir (le pacifisme, les rapports de classe, le patriotisme, les frontières qui unissent ou divisent les personnes et leur dépassement, les solidarités, l'amitié, la thème de la communication avec le rôle des langues, la relation étroite à la Guerre de 14-18 et celle distante avec la Guerre de 39-45). Vincendeau rappelle aussi l'accueil enthousiaste fait à La Grande illusion en France, sa réception plus difficile dans d'autres pays et son évolution à travers les années. Le montage de cette séquence est assez haché, sans fil directeur évident et avec quelques répétitions, mais l'ensemble constitue néanmoins une présentation plus que correcte au chef-d'œuvre de Jean Renoir.

Le négatif original de La Grande illusion - Une histoire exceptionnelle (11 min 30)
Ce module est présenté par Nathalie Laurent, déléguée générale de la Cinémathèque de Toulouse, et se concentre essentiellement sur l'incroyable aventure vécue par le négatif du film, de 1937 à nos jours. Après avoir succinctement évoqué les raisons de l'importance d'une telle œuvre dans le patrimoine cinématographique, Nathalie Laurent fait le point sur les différentes restaurations qu'a connues La Grande illusion de 1958 à 2011. Le résultat superbe dont nous sommes aujourd'hui les témoins provient du travail effectué numériquement sur le négatif original... qui a transité de la France à l'Allemagne nazie jusqu'en URSS pour enfin aboutir à la Cinémathèque de Toulouse. Il était normal de rendre hommage au fondateur de cette dernière, Raymond Borde, qui a eu le coup de génie en 1965 d'adhérer à la Fédération Internationale des Archives du Film puis de bâtir des relations solides avec le Gosfilmofond... sans imaginer se retrouver un jour avec ce trésor entre les mains.

Succès, controverses - Entretien avec Olivier Cuchod (22 min 24)
Historien du cinéma et spécialiste de Jean Renoir, Olivier Cuchod apporte sa pierre à l'édifice de cette formidable édition Blu-ray. Il commence par les passages obligés : le contexte entourant la réalisation du film, l'importance de cette œuvre en particulier pour Renoir et pour sa carrière, les diverses réceptions de La Grande illusion dans différents pays et au cours de l'histoire, et les diverses interprétations sur les volontés du cinéaste. Mais Cuchod va ensuite essentiellement baser son analyse sur la polémique principale qui entoure le film : son antisémitisme supposé (le débat avait été relancé dans les années 70 par l'historien Marc Ferro). Et c'est là que son intervention se révèle précieuse. En analysant avec pertinence la mise en scène de Renoir et surtout la stratégie narrative globale bâtie autour du personnage de Rosenthal (interprété par Marcel Dalio), Cuchod - qui ne tait pas les fautes et les errements commis par le réalisateur en 1940 - démontre selon lui l'inanité de telles accusations et souligne les intentions de Renoir qui entendait en renversant les clichés racistes de l'époque affirmer l'appartenance des juifs à la nation française, à égalité avec les autres citoyens. La démonstration est réussie, même si l'on peut estimer que certaines zones d'ombre subsistent encore aujourd'hui compte tenu du fort antisémitisme qui imprégnait la France des années 30.

John Truby parle de La Grande illusion (4 min 18)
Script-doctor américain, consultant en scénarios, formateur de scénaristes, John Truby a été invité à donner son sentiment sur le chef-d'œuvre de Jean Renoir. Il nous renseigne également sur l'influence qu'a eue le film sur le cinéma mondial et américain en particulier. On pouvait attendre un peu plus de profondeur dans le regard et l'analyse de la part de cette personnalité, car force est de constater que son intervention ne sert à rien. Entre les banalités assénées et les extraits du film qui viennent remplir le reste de ces 4 minutes inutiles, il est en effet permis de passer son chemin.

La restauration de La Grande illusion (3 min 24)
Ce court module se propose de nous donner un aperçu de la formidable entreprise de restauration du film de Jean Renoir. Grâce à l'écran partagé en deux et à un curseur balayant l'image, nous pouvons visionner un comparatif entre la copie du film qui circulait jusqu'alors et le tout nouveau master qui a pu bénéficier du traitement numérique le plus pointu à l'heure actuelle grâce au laboratoire L’Immagine Ritrovata à Bologne. L'effet est impressionnant !

Enfin, ce chapitre consacré aux suppléments se clôt par l'évocation du livret de 20 pages - collé dans le joli Blu-ray de l'éditeur en forme de livre - écrit par le journaliste de cinéma et réalisateur Dominique Maillet. Illustré de quelques photos, il traite du film en adoptant l'angle de "l'illusion" et ce que celle-ci signifie pour Renoir. Maillet revient également sur la théâtralité à l'œuvre chez Jean Renoir dans son approche représentative de la société. En conclusion, cette édition Studio Canal s'avère ABSOLUMENT indispensable, à moins d'avoir une dent contre La Grande illusion !

Par Ronny Chester - le 26 mars 2012