
La Femme au portrait
BLU-RAY - Région B
Rimini Editions
Parution : 26 février 2025
Image
Bon, alors... c'est compliqué.
C'est tellement compliqué que, le mois dernier, des échanges assez vifs ont eu lieu sur le forum de DVDClassik, avec un professionnel du laboratoire TCS venu répondre à des membres s'étant plaint, à partir de captures, du lissage numérique et du dégrainage manifestes de cette édition Rimini (pour rappel, il y a quelques années, nous avions fait partie de ceux qui avaient pointé du doigt des sorties de l'éditeur ayant abusé d'outils type DNR, et il faut admettre que, ces derniers temps, il y avait quand même eu du mieux à ce niveau-là).
Si on doit, à tête reposée, essayer d'établir un bilan de ces échanges et des informations dont nous disposons, voilà ce qu'on peut dire.
Premièrement, en France, la seule édition de La Femme au portrait dont nous disposions datait de 2009, avec le coffret Jeux de Lang édité dans la collection Classics confidential de Wild Side, qu'on peut comparer sur captures avec l'édition blu-ray de Rimini.
L'édition SD de 2009 pâtissait d'une définition qu'on peut aujourd'hui juger assez médiocre, et le gain est à cet égard évidemment considérable : à titre d'exemple, on peut désormais lire ce qui est écrit sur le panneau sur la droite de l'exemple n°6. On peut aussi remarquer une modification du cadre (avec davantage d'information sur les bords, voir par exemple à gauche de l'exemple n°7), ce qui induit une légère anamorphose de l'image (voir par exemple sur l'exemple n°1 le visage moins étiré d'Edward G. Robinson). En mouvement, d'importants défauts de stabilité ont été corrigés, et l'intervenant de TCS avait posté sur notre forum un assez édifiant avant/après (depuis supprimé). Enfin, en termes de propreté, s'il demeure quelques défauts ponctuels (voir la ligne blanche verticale sur la capture n°13 dans la galerie ci-contre à droite), le nettoyage a été positivement actif.
Deuxièmement, il y a quand même, en tout état de cause, dans ce comparatif ou dans la galerie de droite, des rendus "cireux" qui choquent notre oeil, sinon expert en tout cas habitué à la texture particulière du cinéma américain des années 40. On le sait, les encodeurs ont délaissé ces dernières années les "réducteurs de bruit" et leurs flous gaussiens au profit d'outils d'intelligences artificielles, entraînées à reconstruire des textures en supprimant le bruit vidéo (mais normalement pas le grain argentique original). Un outil technologique n'est qu'un outil, et aussi performant soit-il, l'important demeure comment on s'en sert et les résultats qu'il produit. Notons donc que cette édition Bluray de La Femme au portrait fait partie d'une salve de sorties consacrées à Fritz Lang, et nous avons il y a quelques semaines évoqué Casier Judiciaire, qui bien que traité par le même laboratoire et sorti par le même éditeur, ne présente pas le même souci de "dégrainage". Une sortie bluray, de la source au pressage, obéit à une chaîne de responsabilités, et ce qu'on a compris ici, c'est qu'il y a eu, ici, probablement au niveau de l'encodage sur le disque, une étape ayant conduit à ce rendu guère conforme à nos attentes. On peut éventuellement l'entendre.
Toutefois, et pour terminer sur un troisième point, La Femme au portrait est sorti, ces dernières années, en haute-définition chez les Américains de Kino Lorber puis chez les Britanniques d'Eureka (en 2018 dans les deux cas), en se basant sur une remasterisation de la MGM. Ces deux éditions n'étaient pas parfaites, loin de là - et bon nombre de leurs défauts ont été corrigés par le travail complémentaire effectué par TCS - mais elles conservaient un grain argentique (peut-être mêlé au bruit vidéo de la source, mais présent) qui nous fait ici singulièrement défaut. La question peut paraître naïve, mais n'était-il pas possible de stabiliser l'image et de la nettoyer sans toucher à ce point au grain ?
On en arrive donc une conclusion qui va tenir de l'évidence ou de la banalité, mais celles-ci méritent parfois d'être rappelées : il y a autant de regards que de spectateurs, et de fait que de "commentateurs techniques". Les membres de la rédaction de DVDClassik ne se posent pas en experts ou en garants de ce que doit ou ne doit pas être une image, mais nous connaissons assez bien le cinéma que nous défendons, et peut-être mieux qu'une IA - aussi bien entraînée soit-elle - nous avons développé une perception sensible qui nous fait, à l'occasion, lever le sourcil face à un rendu qui semble à ce point manquer de naturel. Techniquement, c'est certainement du très bon boulot, mais ce n'est pas ce que nous attendons.
Son
Moins de réserves sur la partie sonore, en tout cas sur la version originale DTS-HD 2.0. La piste a été bien nettoyée, et s'il demeure un peu de souffle, les dialogues sont restitués avec une belle clarté, et le mixage est plutôt équilibré et dynamique.
On ne recommandera pas forcément la VF (aux doublages datés), au rendu un peu plus étouffé, et avec quelques saturations.
Suppléments
Le seul supplément est un long Entretien avec Nicolas Pollet (55' - HD). Si la forme est anecdotique (un plan fixe, entrecoupé d'extraits), saluons une nouvelle fois la clarté et la complétude de l'intervenant, qui entremêle une approche historique précise et des éléments d'analyse variés et stimulants. Nicolas Pollet commence par raconter les premières années de la carrière américaine de Fritz Lang, la différence de statut importante qu'il éprouve alors vis-à-vis de sa notoriété allemande, son adaptation délicate au mode de fonctionnement des studios ou des techniciens hollywoodiens et ses premiers revers commerciaux. Il décrit comment La Femme au portrait apparaît alors pour lui une "opportunité de changer la donne", motivée par le scénariste Nunnally Johnson, avec qui il avait déjà travaillé. La production (avec la création d'International Pictures) et le casting (notamment Joan Bennett) sont ensuite détaillés.
Au bout de 15' environ, Nicolas Pollet entreprend de décrire l'histoire "intime, presque organique" de Fritz Lang avec le genre du Film Noir, dont il aura été l'un des inventeurs, à la fois avec ses premiers films américains mais aussi, dès sa période allemande, avec des "proto-films noirs" comme M le Maudit, qui posent "le cadre urbain, la notion de culpabilité, la radioscopie d'une société traversée par des pulsions mauvaises" propres au genre.
Vers 22', Nicolas Pollet entreprend de relier La Femme au portrait "au mythe d'Oedipe", alias la "toute première intrigue policière de l'histoire", qui met également en scène un protagoniste chargé de mener une enquête sur un crime qu'il a lui-même commis, inscrivant le récit dans la "machine infernale" de la tragédie.
L'analyse se porte ensuite sur l'utilisation "des objets" dans le film, qui contribuent à "poser un point de vue sur le personnage de bourgeois incarné par Edward G. Robinson" mais qui "se retournent contre lui au fur et à mesure du film". Cette "révolte des objets" est illustrée par de nombreux et convaincants exemples, en particulier les horloges évoquant "la mécanique inéluctable de la tragédie". Les liens du film avec la psychanalyse, alors en vogue aux Etats-Unis, sont évoqués, en insistant sur la "notion de culpabilité", centrale chez Lang (Nicolas Pollet rappelle en cela l'importance de la mort de son épouse Elisabeth Rosenthal dans le parcours du cinéaste).
Vers 44', Nicolas Pollet aborde inévitablement la fin du film (un panneau a alerté, en début de module, sur les révélations qui y seront faites), ce "twist interdit tellement il est facile", mais en détaille les origines et les spécificités, tout à fait intéressantes. On regrette juste que la "gémellité" avec La Rue rouge soit un peu trop évacuée, en trois phrases dans les dernières minutes, tant l'effet miroir entre les deux films aurait mérité d'être plus longuement évoqué pour compléter cette analyse au demeurant d'une grande qualité.
En savoir plus
Taille du Disque : 35 369 121 792 bytes
Taille du Film : 23 019 534 336 bytes
Durée : 1:39:32
Total Bitrate: 30,84 Mbps
Video: MPEG-4 AVC Video / 1080p / 23,976 fps / 16:9 / High Profile 4.1
Audio: Anglais DTS-HD Master Audio / 2.0 / 48 kHz / 24-bit / 1509 kbps, FrançaisDTS-HD Master Audio / 2.0 / 48 kHz / 24-bit / 1509 kbps
Sous-titres : Français