Caïn et Abel

Avant Bona, que l'éditeur se prépare à sortir dans quelques mois en salles puis en vidéo, Carlotta poursuit son exploration du cinéma de Lino Brocka en se penchant sur Caïn et Abel à partir des travaux sortis début 2022 en Blu-ray aux Etats-Unis (chez Kani), et effectués en 2016 lors du vaste projet de restauration mené par ABS-CBN Film Archives. Le film a été scanné en 4K puis restauré en 2K à partir du seul élément conservé aux archives philippines, une copie 35mm à l'état problématique. En effet, les conditions de conservation sans doute limitées ont provoqué une déformation importante de la pellicule, désormais soumise à de très nettes distorsions, étirements ou tremblements impossibles à corriger physiquement. Le film conserve donc dans l'ensemble des images instables, légèrement glissantes et gondolées. Pour essayer de traiter ce cas complexe, le laboratoire Central Digital Lab à Manille a toutefois choisi de reconstruire numériquement une partie des plans du film en utilisant un système de caches conçus à partir d'images fixes des décors en avant ou arrière-plan, de manière à les isoler des personnages en mouvement. Un résultat de longue haleine qui permet régulièrement, mais partiellement, de réduire les effets de gondolement à une plus petite portion de l'image, et de manière plutôt efficace car cela reste au final assez discret. On ne se rendrait compte de (presque) rien si ces caches n'avaient parfois un aspect très figé, au grain immobile tranchant avec les textures en mouvement. Mais ce bricolage, même bien fait, ne peut compenser entièrement ces sensations de déséquilibre et de torsions, assez spectaculaires durant les premières minutes, lorsqu'on découvre l'ampleur du problème.

La texture générale reste globalement un peu épaisse malgré une qualité de définition plus correcte au fur et à mesure qu'on avance dans le film. La précision du trait reste toutefois modeste, avec plusieurs problèmes de mise au point. On remarquera également quelques fréquentes fluctuations de définition sans doute causées par une mauvaise numérisation de certains photogrammes trop gondolés. L'élément de tirage 35mm, à quelques générations d'écart du négatif original, couplé aux nombreux soucis déjà cités, sans oublier le profond nettoyage qui a dû être nécessaire pour ôter points blancs, taches et rayures (désormais totalement absentes) n'ont pas permis de conserver une texture argentique intacte et un niveau de détail suffisamment efficace tout au long du film, même s'il reste assez perceptible dans les gros plans. Ajoutons des choix d'étalonnage qui restent un peu particuliers, avec un aspect légèrement boosté qui fait parfois davantage penser aux standards de la vidéo qu'à une source photochimique : blancs éclatants, contrastes très poussés, noirs "collés" et sans détails, colorimétrie assez saturée... mais dans une palette qui conserve un semblant de naturel, sans dérives magenta suspectes. On a miraculeusement évité d'autres défauts de conservation comme des taches colorées ou du type "syndrome du vinaigre".

Au final, cette copie HD apparaît quand même très honorable vu la quantité de travail nécessaire à rendre la source un peu plus exploitable. Pas de quoi gâcher la découverte de cet excellent film, en tout cas. Notez que l'élément 35mm utilisé ici est une version incomplète : il manque une scène de viol coupée du négatif par la censure de l'époque.

La piste son restaurée offre un mixage mono très propre, qui bénéficie d'une bonne dynamique, avec des basses palpables. Les voix post-synchronisées sont très claires, avec seulement de très légères sifflantes. L'ensemble est assez bien équilibré avec la musique et des arrière-plans d'ambiance très discrets. Il y a peu de souffle, lui aussi très contenu.

Carlotta reprend les suppléments de l'édition américaine Kani. On appréciera, entre autres, l'abondance d'illustrations et d'extraits de films.

Caïn et Abel : Une appréciation (12 mn - HD - VOSTF)
Analyse vidéo de José B. Capino, sommité sur le cinéma de Lino Brocka auquel il a consacré un ouvrage, Martial Law Melodrama : Lino Brocka’s Cinema Politics en 2020. Il dépeint l’une des spécificités du cinéma de Lino Brocka consistant à mélanger les codes du cinéma hollywoodien classique avec ceux du mélodrame philippin, et va développer la manière dont cela s’articule dans Caïn et Abel avec une volonté de film d’action qui n'oublie pas les personnages féminins. Il vante la narration purement visuelle du réalisateur, entre naturalisme pastoral et pure orientation de genre dans la colorimétrie tandis que la gestion de l’espace marie cette volonté de drame et de suspense. Il exprime comment ces choix formels, la composition visuelle, guident les interactions entre les personnages, l’interprétation des acteurs. Il revient aussi sur la manière subtile dont le récit évoque en creux le régime du président Marcos. Un bonus très éclairé sur le style Lino Brocka,

Entretien avec Christopher de Leon (16 mn - HD - VOSTF)
Rencontre avec l'acteur interprétant le frère cadet Ellis dans Caïn et Abel, que l'on retrouvera notamment chez Mike De Leon. Il revient sur ses débuts au sein du cinéma philippin où il fut lancé par Lino Brocka, l’importance de ce dernier dans son parcours et ses méthodes de travail dans la direction d’acteurs (la discipline, savoir utiliser ses yeux). Il fait ainsi la différence avec d’autres grands réalisateurs philippins avec lesquels il a travaillé, comme Eddie Romero dont nous pouvons voir quelques intrigantes images de films. Il s’attarde ensuite plus spécifiquement sur Caïn et Abel et la manière dont le film, désormais passé au rang de classique, montre les Philippins de l'époque et a fait évoluer son image de jeune premier en jouant dans un drame d’action.

Entretien avec Carmi Martin (13 mn - HD - VOSTF)
Grande actrice philippine qui tenait son premier rôle majeur dans Caïn et Abel, Carmi Martin raconte ses débuts à la télévision dans des émissions de divertissement, puis ses liens avec Lino Brocka qui lui confia des rôles de plus en plus importants jusqu’à la révélation de Caïn et Abel. L’expérience plus particulière de ce film, sa tonalité dramatique, constitua un challenge intimidant pour cette débutante qui devait perfectionner son jeu et voulait "rendre justice" à son personnage. Le fait de jouer des scènes sensuelles et une femme forte dans le contexte philippin des années 80 était une de ses satisfactions dans le défi que proposait le rôle. Elle revient sur le caractère ombrageux mais aussi protecteur et paternel, de Lino Brocka qui sut bien la diriger malgré son inexpérience et qu'elle compare à d’autres réalisateurs philippins de cette période. Il est également question des problèmes avec la censure, à travers ce film mais surtout Bayan Ko à venir.

Les deux entretiens sont issus d’un échange sur Zoom avec la texture d’image qui va avec et jure avec le reste, mais cela reste tout à fait regardable.

Bande-annonce de la version restaurée (1 min - HD - VOSTF)

Taille du Disque : 39 919 525 236 bytes
Taille du Film : 32 314 568 064 bytes
Durée : 1:50:58.026
Total Bitrate: 38,83 Mbps
Bitrate Vidéo Moyen : 34,82 Mbps
Video: MPEG-4 AVC Video / 34828 kbps / 1080p / 23,976 fps / 16:9 / High Profile 4.1
Audio: Tagalog / DTS-HD Master Audio / 2.0 / 48 kHz / 2068 kbps / 24-bit (DTS Core: 2.0 / 48 kHz / 1509 kbps / 24-bit)
Subtitle: French / 25,439 kbps