
Buffalo Bill et les Indiens
BLU-RAY - Région B
Studiocanal
Parution : 23 octobre 2024
Image
Avant d'avoir l'honneur d'un numéro hors-série de la collection Make my day (avec l'attention éditoriale que cela implique, voir les suppléments plus bas), Buffalo Bill et les Indiens avait été édité en DVD en 2006 par Studio Canal. L'occasion du petit comparatif de tradition.
comparatif DVD Studio Canal (2006) vs. Blu-ray Studiocanal (2024) :
1 2 3 4 5 6
Passées les constatations d'usage sous forme de lapalissades ("la HD, c'est quand même mieux défini que la SD, dites donc"), ce qui frappe le plus nettement est la différence d'étalonnage et de rendu chromatique. D'un côté, une photo quasi-naturaliste ; de l'autre, un rendu sépia, presque monochrome par moments, avec des dominantes ocres, jaunes et magenta très appuyées. Et puisqu'on adore les comparatifs, allons voir de quel côté inclinait la première édition HD du film, sortie en 2014 chez les Américains de Kino Lorber...
comparatif Bluray Kino Lorber (2014) vs. Blu-ray Studiocanal (2024) :
1 2
On pourrait poursuivre l'exercice comparatif en allant voir ce que proposaient les Anglais de Powerhouse Indicator, éditeurs d'une édition HD en décembre 2020, mais on constaterait alors que leur rendu est parfaitement similaire à celui de ce Hors-Série Make My Day n°5. Et que ceux-ci ont bien raison.
De fait, ces deux dernières éditions (Powerhouse Indicator 2020, Studiocanal 2024) donnent à revoir Buffalo Bill et les Indiens tel qu'on ne l'avait plus vu depuis un moment... et tel que le souhaitait Robert Altman (*). Les standards de l'édition numérique du début des années 2000 avaient eu raison des singularités formelles du film, et avaient "normalisé" son esthétique, et on peut désormais apprécier le caractère tout à fait particulier de la photographie de Paul Lohmann, dans sa profondeur chromatique comme dans sa granulosité.
Pour autant, il ne faut pas s'attendre à un "bluray de démo", et ce pour plusieurs raisons : la première tient au caractère tout à fait particulier de la mise en scène de Robert Altman, qui multiplie les actions simultanées au sein d'un cadre souvent mouvent, qui utilise des effets optiques (par exemple des zooms) et chez qui, pour ces raisons et quelques autres, le point n'est pas toujours parfait. D'autre part, si la HD remplit son rôle dans les plans fixes serrés (avec une belle finesse de détail), on a pu constater dans des plans plus larges quelques défauts, probablement dus à la compression (à bitrate équivalent, le film occupe quelques gigabytes de moins ici que sur le bluray Powerhouse Indicator), avec quelques effets de pixellisation dans les noirs les plus denses (voir captures 11 ou 31).
(*) "Je ne voulais pas de bleu dans le film. Il y avait du rouge, du jaune et du noir, les couleurs du cirque, avec des rouges vraiment saturés. Je ne sais pas exactement ce que je recherchais, juste un aspect "antique" qui corresponde à l'époque, mais je savais que je ne voulais pas que le film ressemble à un autre film. Nous avons utilisé beaucoup de téléobjectifs, et souvent, nous étions à plus d'un kilomètre de l'action avec notre caméra, en train de filmer ce qui serait le plan d'ensemble. Parfois, nous étions si loin que nous devions communiquer par téléphone. Mais avec l'objectif compressé, l'image était vraiment aplatie, ce qui donne au film son aspect étrange, bizarre." Robert Altman, dans Altman on Altman (éd. Faber and Faber)
Son
Les films de Robert Altman (qui avait mis au point, pour ses films, un système à 8 pistes !!!) doivent probablement constituer la pire hantise des mixeurs sons, avec leurs dialogues qui se chevauchent, les intrigues qui se croisent, les ambiances sonores multiples et l'omniprésence de la musique... Les deux pistes sont proposées avec un master DTS-HD 24-bit qui fait son travail : il y a bien sûr de la confusion, du brouhaha et des fanfares qui jouent faux, mais l'atmosphère du film est préservée. Evidemment, pour un rendu naturel, on privilégiera la piste originale.
Suppléments
Sur le blu-ray du film, un seul supplément, mais on aurait bien du mal à faire sans : la préface de Jean-Baptiste Thoret(13' - HD), le maître d'œuvre de cette collection Make my day qui voit ici un cinquième film bénéficier d'un "traitement premium". D'emblée, il inscrit le film au sein de "l'âge d'or du cinéma de Robert Altman", qui va de M*A*S*H (1970) à Popeye (1980), et durant lequel Altman était le "super-auteur du cinéma américain", vénéré par des critiques comme Pauline Kael. Le "système Altman", comme le décrit Jean-Baptiste Thoret, peut se décrire comme étant à la fois "profondément américain", et "profondément critique à l'égard des mythologies américaines", qu'il n'eut de cesse de "déconstruire" d'un genre à l'autre - au passage, quel plaisir d'entendre Jean-Baptiste Thoret glisser au détour d'une phrase que, selon lui, le chef d'œuvre d'Altman est Nashville (1975), parce qu'on est bien d'accord.
Parmi les obsessions fondamentales du cinéaste, Jean-Baptiste Thoret identifie "la question de la mise en scène de l'Amérique par elle-même" et comment ce pays en vient à confondre "son Histoire et la mise en scène de celle-ci", ce qui constitue le sujet central de Buffalo Bill et les Indiens. En cela, la figure historique de William Cody, dont Thoret rappelle les grandes lignes (et les autres occurrences cinématographiques, notamment l'hagiographie contrainte de William A. Wellman), se voit chez Altman "confrontée à sa légende", pour revenir à la "source du spectacle américain" et voir ainsi naître "toute l'histoire du show business". Le Buffalo Bill d'Altman est "veule, alcoolique et égotique", dans un film à la "structure de film choral" ("caractéristique du style d'Altman", chez qui le récit classique se dissout dans l'accompagnement d'une multitude de petites lignes narratives) qui "fourmille de petits détails" dans un "démocratisme de l'image" où chaque personnage peut s'exprimer, y compris celui, totalement muet, que Jean-Baptiste Thoret finit par identifier comme le véritable "personnage central du film" : Sitting Bull.
Les nombreux suppléments figurant sur l'autre blu-ray justifient le caractère "hors-série" de cette édition, pour leur richesse comme pour leur diversité.
Le principal module "analytique" est une conférence de Vincent Amiel (58' - HD), tenue en 2012 à la Cinémathèque Française et intitulée Altman, le sens du spectacle, qui nous a semblé assez passionnante d'un point de vue critique, mais que la forme (le conférencier, assis à son pupitre, lit ses notes) rend un peu fastidieuse, d'autant plus que quelques uns des (rares) extraits qui ponctuent son intervention ne sont pas proposés ici, faute de droits.
Partant des "conditions frigorifiques" qui étaient celles de ce mois de janvier, il identifie Altman comme un "cinéaste de la ville" (par opposition aux cinéastes "emersoniens" "de la Nature"), qui s'intéresse davantage "aux hélicoptères qui démoustiquent qu'aux moustiques eux-mêmes". De grandes périodes chronologiques (la "très belle" décennie des années 70 ; celle des années 80 où sa carrière est "mise sous l'étouffoir" ; et le redémarrage du début des années 80) étant identifiées, il fait ressortir, en particulier des films des années 70, des caractéristiques "singulières" qui ont, depuis, largement infusé le cinéma américain : la dimension "chorale", une tendance à "complexifier le récit", les "effets immersifs", et cette critique "sans pitié" de la société américaine "dans le fondement même de ses valeurs et de sa représentation"... Contrairement aux cinéastes qui lui étaient contemporains et qui s'intéressaient, au sens large, "au mensonge, au complot, au mystère à révéler" (Coppola, Penn, De Palma ou autres), Robert Altman est, selon Amiel, un cinéaste qui met en garde contre "la surexposition, l'étalage des informations et leur débordement" et qui se concentre sur "la fable qui se répand", sur "l'art du récit" dans son sens "politique" : "d'où viennent les légendes fondatrices, et comment le cinéma les prend-il en charge ?". En somme, comme il l'énonce un peu plus tard, Robert Altman est un cinéaste qui "raconte comme on raconte l'Histoire"
Au bout d'une dizaine de minutes, Vincent Amiel commence à identifier et à abondamment détailler quatre manifestations formelles majeures de cette volonté, chez Robert Altman, de "s'opposer aux conventions narratives classiques" : 1/ la forme "chorale" ; 2/ le "débordement des sensations" dans lequel le spectateur est plongé ; 3/ la "prédilection pour les plans très larges et les zooms" ; et 4/ "l'absence marquée de point de vue" c'est à dire l' "indécidabilité de la source narrative". Pour lier ces motifs avec son introduction, il liste un certain nombre de films dans lesquels "le spectacle accompagne la totalité de la narration filmique", et le catalogue est assez édifiant... Il entreprend alors une défense de Robert Altman, parfois attaqué pour son approche caustique et son "mépris des personnages", mais que Vincent Amiel décrit ici comme "le plus humain des cinéastes, celui qui se soucie du mépris dans lequel la société contemporaine tient la souffrance et la mort des individus", rendant leurs lettres de noblesse "à la dignité du faible, à l'utopie du rêveur, au doute de l'honnête homme", trop oubliés par l'impératif spectaculaire (Vincent Amiel mentionne ces nombreuses morts qu'on ignore parce qu'elles surviennent pendant des spectacles)... De Buffalo Bill et les Indiens, il dit ainsi qu'il ne s'agit peut-être pas du meilleur film du cinéaste, mais qu'il s'agit "de l'un des plus grands films politiques de la deuxième moitié du XXème siècle", dans la mesure où il montre "à quel point l'entertainment prend le pas sur n'importe quelle autre considération pour forger une mémoire collective".
Sur le disque figure également un court-métrage de 1971 (récompensé à l'époque par l'Oscar du meilleur court-métrage de fiction), réalisé par James R. Rokos et écrit par John Carpenter, qui s'intitule The Resurrection of Broncho Billy (21'45'' - HD). On s'éloigne un peu de Buffalo Bill avec cette histoire d'un jeune étudiant américain évoluant, au grand désarroi de son entourage, dans le fantasme qu'il est un personnage de western, mais qui donne l'occasion (dans le cadre d'un film de fin d'étude, voir ci-dessous) à ses auteurs de proposer un exercice de style sincère et appliqué en forme d'hommage à un genre alors passé de mode. La fin est assez touchante.
The Resurrection of Broncho Billy bénéficie surtout ici d'une présentation par Jean-Baptiste Thoret (9'43'' - HD), où il est présenté comme un film "d'étude de John Carpenter". Revenant sur les années d'étudiant du cinéaste à l'University of Southern California School of Cinematic Arts, Jean-Baptiste Thoret décrit la genèse de ce film signé James Rokos mais "écrit, monté et mis et musique" par Carpenter, ce qui en fait "un film de Carpenter à 98%". Celui-ci décrit le parcours d'un personnage principal "anachronique", nourri à l'imaginaire du western, au point de ne plus faire la différence avec la réalité, et le fait que le film soit en noir et blanc à une séquence près donne l'occasion à Jean-Baptiste Thoret d'évoquer l'influence du Magicien d'Oz. Il note également que le personnage principal est interprété par Johnny Crawford (renommé Billy au détour d'un petit lapsus amusant) - lequel quelques années plus tôt avait joué le rôle du jeune Luke dans El Dorado (1966) d'Howard Hawks. Jean-Baptiste Thoret creuse alors le sillon de l'influence du western chez Carpenter, qui aurait "adoré en réaliser un" mais qui, par défaut, "a fait venir le western dans ses films", ce genre étant "la matrice narrative, mentale et éthique du cinéma de John Carpenter". Il rappelle ensuite le contexte spécifique au début des années 70, avec la sortie d' "anti-Custer movies" comme Little Big Man ou Soldat Bleu de Ralph Nelson, mais aussi la sortie de Macadam Cowboy de John Schlesinger, dont The Resurrection of Broncho Billy constitue en quelque sorte "le contre-champ".
Parmi les documents les plus étonnants figurant sur ce disque de suppléments, il faut mentionner ces Archives du Wild West Show, provenant de la Bibliothèque du Congrès américain, documents extraordinaires qui offrent un aperçu de ce qu'étaient les spectacles proposés par Buffalo Bill. Les qualités sont très hétérogènes, mais certaines des images en elles-mêmes sont assez fascinantes, dans ce qu'elles représentent d'une première mise en scène cinématographique d'une mise en scène de l'Histoire.
A day with the wild west show (10'), qui inclue des images du Show et des actualités
Buffalo Bill's Wild West and Pawnee Bill's Far East (12'30"), avec des images de William Cody lui-même,
un spectacle d'artillerie ou des zouaves du Devlin
Annie Oakley (40"), qui montre pendant une douzaine de secondes la célèbre tireuse
dans une archive de 1894 (la technique de prise de vue n'est pas mentionnée)
Parade of Buffalo Bill's Wild West Show (3'48"), trois prises de vue de parades (non contextualisées)
La vie de Buffalo Bill (26'), le plus long, le plus divertissant
et donc évidemment le plus "mis en scène" des documents,
qui voit Buffalo Bill "rêver à ses années de jeunesse",
succession d'acte héroïques qu'on devine très largement fantasmés,
surtout après avoir vu le film de Robert Altman...
Figure également une bande-annonce (2'20'' - HD), un peu fatiguée.
En savoir plus
Taille du Disque: 28 667 279 360 bytes
Taille du Film : 25 150 550 016 bytes
Durée : 2:03:42:875
Total Bitrate: 27,11 Mbps
Vidéo: MPEG-4 AVC Video / 1080p / 24 fps / 16:9 / High Profile 4.1
Audio: Anglais DTS-HD Master Audio / 2.0 / 48 kHz /24-bit (DTS Core: 2.0 / 48 kHz / 768 kbps / 24-bit)
Audio: Français DTS-HD Master Audio / 2.0 / 48 kHz / 24-bit (DTS Core: 2.0 / 48 kHz / 768 kbps / 24-bit)
Sous-titres : Français