Edgar Morin, Chronique d'un regard
On connaît surtout l'Edgar Morin sociologue et philosophe, moins le cinéphile passionné. C'est cette facette du personnage que le documentaire Edgard Morin, Chronique d'un regard - qui sort aujourd'hui en salle - nous invite à découvrir.
Morin et le cinéma, c'est bien sûr la réalisation avec Jean Rouch du formidable Chronique d'un été. Une rencontre entre deux regards, une démarche de tournage inédite et au final un film à nul autre pareil. Edgar Morin c'est aussi l'auteur du livre Les Stars, "l’une des études les plus pertinentes qui soit sur le star system". Morin revient longuement sur ces deux oeuvres mais nous fait découvrir au-delà une vie passée à aimer et penser le cinéma.
Le cinéma était pour Morin enfant, un « grand refuge ». Il devient très tôt un "cinéphage", se nourrissant d'images et de fictions. Puis, il se fait cinéphile. Jeune homme, il se sent possédé par le cinéma et il est persuadé que c'est la forme d'expression artistique la plus forte. Le cinéma qui devient indissociable de sa vie, les films, les acteurs ne cessant dès lors de l'accompagner tandis qu'il grandit. Ainsi, il explique que douze ans après la Première Guerre mondiale, on pouvait montrer au cinéma que l'ennemi allemand était un être humain (A l'ouest rien de nouveau, Les Croix de bois). Et lorsqu'il rentre dans la Résistance, ces films restent ancrés en lui et il ne se sent pas anti-allemand, mais seulement anti-nazi. Un exemple qui montre comment la vision des films a pu le façonner, participer à la construction de son regard sur le monde.
Le documentaire est construit en deux mouvements, avec d'une part de nombreux passages des Stars lus par Mathieu Amalric et de longues plages d'entretien avec Morin. On navigue ainsi entre une pensée construite du cinéma et des témoignages plus intimes, personnels. Les anecdotes, les souvenirs de films, les visages d'acteurs affluent dans un grand mouvement mémoriel. Au rayon des anecdotes, on apprend par exemple que Rossellini est parti de son essai L'An zéro de l'Allemagne pour écrire Allemagne, Année Zéro. L'Allemagne qui a tant d'importance dans sa vie d'homme, dans son travail de penseur et, là encore, dans sa cinéphilie. Morin parle beaucoup de ce cinéma muet allemand qui l'a tant marqué, de la complexité de ses "méchants" qui lui a appris l'empathie et le besoin de comprendre l'autre.
Les pensées fusent et Morin passe de la notion de happy end qui incarne la culture dominante au cinéma qui relève selon lui de l'anthropologie, de la connaissance de l'homme, et qui raconte tant de choses sur l'éternelle lutte entre le créateur et l'industrie. Il explique sa fascination pour le cinéma des stars, mais aussi pour le cinéma qui part à la recherche du réel qui naît de sa rencontre avec Rouch et Ruspoli. Il raconte son choc à la découverte de Come Back, Africa qui lui fait proposer à Rouch de tourner un film, Comment vit-on ?, qui va devenir Chronique d'un été. Le documentaire revient longuement sur ce film, important dans le parcours de Morin en cela qu'il met le doigt sur la difficulté de la compréhension mutuelle qui va être souvent au coeur de son travail scientifique.
Edgar Morin, chronique d'un regard est une rencontre émouvante et sensible avec l'une des grandes figures intellectuelles françaises. C'est un film qui montre comment le cinéma peut changer une vie, un film dans lequel Morin raconte son amour pour le 7ème art et, ce faisant, se raconte.
DANS LES SALLES
edgar morin, chronique d'un regard
UN FILM DE Céline Gailleurd & Olivier Bohlei (2014)
DISTRIBUTEUR : TAMASA
DATE DE SORTIE : 29 AVRIL 2015
Le film est également diffusé ce jour sur Ciné + Classic à 19h25 et bénéficie d'une sortie DVD.