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Livres

les stars
Un livre de Edgar Morin

Le Seuil, Édition de poche (1957)
collection "Points"
Réédition illustrée, Galilée, 1984,
183 pages

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Analyse et Critique

Quand un sociologue de renom, directeur émérite au C.N.R.S. et réputé par la rigueur de ses analyses, décide de s’attaquer au monde ‘merveilleux’ des stars hollywoodiennes, on est en droit de considérer le produit de cette étude avec un brin de circonspection. Pourtant il suffit d’examiner attentivement la couverture de l’ouvrage pour pousser un soupir de soulagement à la lecture du nom de l’auteur. Edgar Morin avance en terrain connu. Cinéphile passionné et passionnant, il signe dès 1956 Le cinéma ou l’homme imaginaire, essai ‘brillantissime’ qui inaugure une anthropologie du septième art, avant de collaborer avec l’un des plus grands documentaristes français : Jean Rouch. En 1960 les deux hommes signent en effet Chronique d’un été, film considéré comme l’acte fondateur du cinéma vérité.

Publié à la fin des années cinquante, traduit dans un grand nombre de pays, réédité et complété à plusieurs reprises, Les Stars reste à ce jour l’une des études les plus pertinentes qui soit sur le star system. L’équivalent savant et cinématographique du Paradoxe sur le comédien de Diderot.

Pour Morin la star apparaît dans le Hollywood des années dix, dans un contexte de concurrence entre les diverses firmes cinématographiques. En amont, les studios façonnent la star, tandis qu’en aval, une grande partie du public la ‘divinise’.

"Quand on parle du mythe de la star, il s’agit donc en premier lieu du processus de divinisation que subit l’acteur de cinéma et qui fait de lui l’idole des foules. "

A partir des années trente, l’amélioration des conditions de vie stimule les désirs ludiques. Enjeu d’un véritable culte, la star devient soit inaccessible (on se projette en elle), soit modèle de vie (on s’identifie à elle). Comme en Grèce antique, au moment où la plèbe revendique le droit d’imiter les dieux, le statut de la star devient objet de désir. Selon Morin cet irrépressible désir pousse le quidam à tenter sa chance. Il devient alors une véritable matière première destinée à une chaîne manufacturière d’un nouveau genre, qui sélectionne les morceaux de choix et élimine les pièces défectueuses.

"C’est après 1960 que la machine du star-system, qui transformait le plomb en or et le fiel en miel, commence à s’enrayer". Le retour de Morin sur la tortueuse décennie des années soixante nous donne l’occasion de revivre les destins tragiques de Marilyn Monroe, de James Dean et d’assister à l’effondrement d’une certaine idée du star system.

Tout au long de cet ouvrage passionnant, Morin privilégie l’étude spéculative. Il relève des traces (lit des courriers de fans, et des entretiens avec des stars, visionne des centaines de films…) et fournit un nombre satisfaisant d’exemples, qui couvrent cinquante ans de cinéma hollywoodien.

Cette volonté d’observer à la loupe un tel phénomène et les répercussions qu’il engendre dans la dynamique sociale (identification, fanatisme etc.) sans céder à la tentation du procès d’intention ou à l’apologie béate, rend son projet incontournable dans le champ des recherches, hétérogènes, sur le cinéma et son industrie. Si le livre se focalise sur le phénomène occidental de la ‘starisation’ (une étude du star-system, indien ou japonais, aurait permis de dégager des occurrences mais aussi, sans doute, des variantes notables), Morin a très bien pressenti cette nouvelle réalité qu’est la notre : la banalisation de la star.

(Re)Lire Les stars à l’heure ou nos idoles ne sont plus nécessairement constituées de chair et de sang (Lara Croft superstar !), ou bien à l’ère de la télé-réalité, ou quelque soit son nom, permet de mieux apprécier l’évolution de notre civilisation de l’entertainment.

Par Chérif Saïs - le 1 janvier 2003