Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)
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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)
The difference between life and the movies is that a script has to make sense, and life doesn't.
Joseph L. Mankiewicz
Joseph L. Mankiewicz
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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)
L'un de mes films préférés. Peter Weir nous offre un pur chef d'oeuvre. "Pique-nique à Hanging Rock" est une oeuvre poétique et onirique avec un mystère total. Je vous passe ma critique de Senscritique :
L'Australie : je vais le dire, j'aimerais beaucoup y vivre. Ce pays a donné naissance au groupe Stonefield (voir ma critique sur leur premier album) mais aussi a un cinéma immense. Parmi les réalisateurs, deux noms me viennent en tête : George Miller et Peter Weir. Evidemment je parlerais du second que j'ai cité. Peter Weir est devenu après le visionnage de Pique-nique à Hanging Rock, l'un de mes réalisateurs préférés.
Pique-nique à Hanging Rock est adapté du roman de Joan Lindsay. L'histoire se déroule en 1900 et démarre le jour de la Saint-Valentin : les collégiennes d'une pension pour jeunes filles partent pique-niquer près des rochers de Hanging Rock. Certaines d'entres elles décident d'explorer les alentours. Trois élèves et une professeur disparaissent mystérieusement.
L'ascension de Hanging Rock est un véritable moment d'onirisme et de tension. Les falaises et les roches formé sur cet ancien volcan lui donne un aspect de monstre imposant qui n'hésitera pas à dévorer ceux qui s'aventurent trop près de son territoire. Hanging Rock représente aussi l'épanouissement des femmes dans la société (je rappelle que nous sommes en 1900) avec une certaine tension sexuel présente au fur et à mesure de l'ascension vers le sommet de Hanging Rock.
Un autre élément intéressant, c'est les rapports entre les personnages. En effet les personnages sont typiques de ce début de XXième siècle, avec d'un côté ceux qui ont pu s'épanouir et de l'autres les victimes de leur société.
Cette fille, amoureuse de Miranda (oui, ne vous en faites pas je parlerais d'elle), privée de sortie (ça aura une importance pour la suite), toujours rappelé à l'ordre par Mrs. Appleyard (je parlerais d'elle aussi).
Les acteurs sont excellents que ce soit la magnifique Anne-Louise Lambert (Miranda), l'innoubliable Rachel Roberts (Mrs. Appleyard) ou encore les talentueux Dominic Guard (Michael) et John Jarratt (Albert). Mais c'est surtout la performance de Margaret Nelson qui m'a impressionné. Cette actrice possède un talent immense et c'est vraiment dommage qu'elle n'a pas fait carrière après ce film (elle a tourné dans une série télévisé appelé The Lost Islands au côté de Jane Vallis qui joue Marion dans le film que je critique, une autre disparue de Hanging Rock, ainsi que dans des petits rôles avant d'arrêter sa carrière). Bref pour moi c'est la meilleur actrice du film, son interprétation de Sara est inoubliable et rend le personnage attachant.
Je vais m'arrêter là pour ma critique, si jamais j'ai d'autres choses à dire j'en rajouterais, mais pour le moment je vous conseil de voir ce chef d'oeuvre du 7ième art.
6/6
L'Australie : je vais le dire, j'aimerais beaucoup y vivre. Ce pays a donné naissance au groupe Stonefield (voir ma critique sur leur premier album) mais aussi a un cinéma immense. Parmi les réalisateurs, deux noms me viennent en tête : George Miller et Peter Weir. Evidemment je parlerais du second que j'ai cité. Peter Weir est devenu après le visionnage de Pique-nique à Hanging Rock, l'un de mes réalisateurs préférés.
Pique-nique à Hanging Rock est adapté du roman de Joan Lindsay. L'histoire se déroule en 1900 et démarre le jour de la Saint-Valentin : les collégiennes d'une pension pour jeunes filles partent pique-niquer près des rochers de Hanging Rock. Certaines d'entres elles décident d'explorer les alentours. Trois élèves et une professeur disparaissent mystérieusement.
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L'ascension de Hanging Rock est un véritable moment d'onirisme et de tension. Les falaises et les roches formé sur cet ancien volcan lui donne un aspect de monstre imposant qui n'hésitera pas à dévorer ceux qui s'aventurent trop près de son territoire. Hanging Rock représente aussi l'épanouissement des femmes dans la société (je rappelle que nous sommes en 1900) avec une certaine tension sexuel présente au fur et à mesure de l'ascension vers le sommet de Hanging Rock.
Un autre élément intéressant, c'est les rapports entre les personnages. En effet les personnages sont typiques de ce début de XXième siècle, avec d'un côté ceux qui ont pu s'épanouir et de l'autres les victimes de leur société.
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Cette fille, amoureuse de Miranda (oui, ne vous en faites pas je parlerais d'elle), privée de sortie (ça aura une importance pour la suite), toujours rappelé à l'ordre par Mrs. Appleyard (je parlerais d'elle aussi).
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Les acteurs sont excellents que ce soit la magnifique Anne-Louise Lambert (Miranda), l'innoubliable Rachel Roberts (Mrs. Appleyard) ou encore les talentueux Dominic Guard (Michael) et John Jarratt (Albert). Mais c'est surtout la performance de Margaret Nelson qui m'a impressionné. Cette actrice possède un talent immense et c'est vraiment dommage qu'elle n'a pas fait carrière après ce film (elle a tourné dans une série télévisé appelé The Lost Islands au côté de Jane Vallis qui joue Marion dans le film que je critique, une autre disparue de Hanging Rock, ainsi que dans des petits rôles avant d'arrêter sa carrière). Bref pour moi c'est la meilleur actrice du film, son interprétation de Sara est inoubliable et rend le personnage attachant.
Je vais m'arrêter là pour ma critique, si jamais j'ai d'autres choses à dire j'en rajouterais, mais pour le moment je vous conseil de voir ce chef d'oeuvre du 7ième art.
6/6
- moonfleet
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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)
Bonjour et bienvenue sur le forum
, ton petit commentaire m'a donné envie de revoir ce film que je n'ai pas visionné depuis un bail. Surtout que j'ai revu avec plaisir La Dernière Vague et The cars that hate Paris il y a peu, du même Peter Weir, qui faisait vraiment dans la diversité de genres entre 1974 et 1977...c'est le moins que l'on puisse dire




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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)

État second
En cette année 1900, la Saint-Valentin marque un jour de sortie radieux pour la classe de jeunes filles d’Appleyard Hall, falbalas et guipures incongrument portés sous un soleil de plomb. Les ombrelles fragiles et les capelines frémissantes constituent de bien dérisoires protections contre une nature adverse, toute de pierre et de végétation mêlées, menace du roc et linceul du feuillage. Le petit groupe en excursion atteint bientôt le site pittoresque choisi pour le pique-nique, promontoire immémorial où chacune se laisse aller aux délices de l’alanguissement. Trois des promeneuses, comme aimantées par l’endroit, prises aux filets d’une impérieuse injonction supérieure, escaladent le rocher et s’aventurent dans un labyrinthe de galeries, de cavernes et de gorges escarpées. À midi pile, toutes les montres s’arrêtent. L’ange communie avec le démon lorsque la séraphique Miranda se voit enlevée par le Mal qu’enfante le paganisme tandis que les échos d’une flûte ramènent en mémoire l’existence et les pouvoirs fous du Grand Pan. Les trois Parfaites disparaissent, sans laisser la moindre trace. Cette évasion n’aura aucun témoin. Seule la collégienne trop ronde, trop disgracieuse, trop quelconque, incapable de coïncider avec l’environnement, échappera au mystérieux rapt : la pierre n’a pas le mauvais goût d’un corps aussi offert. L’unique rescapée, retrouvée comme par miracle un peu plus tard, en état de choc, sera curieusement frappée d'amnésie dès qu'on l'interrogera. En ces temps et en ces lieux, on ne crie pas, on murmure. Quelques notations discrètes laissent entendre que les affections homosexuelles sont choses communes dans les internats. Un voile se jette pudiquement sur de rapides constatations vestimentaires (une des enseignantes serait montée vers le relief sans jupe, une élève aurait été retrouvée sans son corset). Les coïncidences s’accumulent avec lenteur (même blessure au front des survivantes), rythmées par une mélodie lancinante qui berce l’oreille autant que la photographie éblouit la rétine. Mais jusqu’au dernier plan tout ce blanc restera obscur. Nulle scène explicative ne viendra souiller le bain des images, la symbiose de leurs mouvements et la pureté de leur alignement.
Au milieu des années soixante-dix, Peter Weir s’imposa comme le golden boy d’une génération de jeunes réalisateurs (à laquelle appartient aussi George Miller) capables d’ouvrir le cinéma australien à une reconnaissance internationale. Il fut le chantre de l’opposition entre deux mondes intrinsèquement liés : celui de la société moderne, vue par le prisme de la petite bourgeoisie citadine, et celui des fantômes d’une civilisation engloutie, refoulée, toujours à même de ressurgir dans l’inconscient collectif. Le chancellement des valeurs établies, une sorte d’effilochage progressif de la perception, l’accès troublant vers un ailleurs échappant aux coordonnées logiques et aux représentations rationnelles forment la clé de voûte de son second long-métrage. Le cinéaste y active un fantastique de l’"en-deça", intime des zones frontalières du sommeil, assez proche des miroirs d’Alice ou de cette anecdote qu’on rappelle volontiers lorsqu’on en aborde le scénario : des soldats britanniques en manœuvre dans une lointaine contrée furent intrigués par une nappe de brouillard absolument immobile. Ils la traversèrent mais on ne les revit jamais plus, comme si une puissance occulte les avait happés. Pique-nique à Hanging Rock évoque le quotidien des virginales pensionnaires d’un collège de luxe situé dans la région de Melbourne. Profils impeccables sur fond de bouquets, magnifiques chevelures blondes penchées sur de vieilles cartes dentelées servant d’herbiers, visages réfléchis dans les miroirs ovales, bibelots précieux et gravures académiques, larges chapeaux à ruban, portrait pompier de la reine Victoria… Ce serait toutefois commettre un contre-sens majeur de ne voir dans cette joliesse qu’un signe de préciosité, un effet gratuit de calligraphie. L’élégance formelle des lignes et des rapports de tons chromatiques joue un rôle crucial dans le langage choisi par l’auteur, qui avoue s’être inspiré des clichés de Lartigue, notamment ses premières épreuves en couleurs. La beauté de ce microcosme en arrive à se fondre dans celle d’un paysage de fleurs ambrées, d’herbes roussies par la canicule, aux superbes notes impressionnistes.
Trois teintes dominantes sont en jeu : azur du ciel, blancheur immaculée des robes, or des cheveux et des peaux gorgées de soleil. Le film vaut moins pour sa trame distendue que pour la trajectoire binaire d'ascension-dépression suivie par celle-ci, qui l’apparente à un étrange poème géométrique. La scène centrale de la disparition se fonde uniquement sur des principes de stylisation : flottement des plans, mouvements de caméra emphatiques, ralentis, surimpressions, flux obsédant de la musique. Le reste du récit y est inféodé, Weir jouant essentiellement sur le rendu palpable et la potentialité cinégénique de son script. Le refus de toute élucidation de l’énigme, le travail subtil réalisé autour des matières et des éléments naturels font de l’œuvre une sorte de documentaire fantasmagorique à mi-chemin du film de vampires (les jeunes filles traversent une rivière avant d'être avalées par la montagne à la manière des maîtresses anémiées de Dracula) et de la féerie naturaliste. L’incertitude porte constamment sur le degré de réalité du déroulement de l’histoire, ainsi que le souligne lors du prologue le commentaire off qui introduit à une temporalité et une causalité oniriques en la présentant à la manière d’"un rêve à l’intérieur d’un rêve". Au dépaysement temporel répond un égarement d’ordre spatial. Le rocher suscite la terreur vague des lieux sacrés : il apparaît comme "chu d’un désastre obscur", selon l’expression de Mallarmé, inquiétant autant par son enchevêtrement chaotique (un gigantesque amas volcanique, des grottes et des défilés abrupts, la présence réelle ou supposée de reptiles…) que par sa forme à la fois phallique et anthropomorphe qui se prête au pèlerinage (il s’agit d’un ancien lieu de culte aborigène).
Le sentiment de fatalité cosmique est quant à lui accru par la magnitude de la saison (le 14 février marque dans l’hémisphère austral le point culminant de la période estivale, c’est-à-dire un moment privilégié dans la respiration céleste, propice à des phénomènes inexplicables) ou au contraire la mélancolie qu’inspire son déclin (lorsqu’Irma en ressent tragiquement la fin). La fréquence des cadrages arrêtés et des plans fixes introduit dans la narration une lenteur léthargique et contemplative, dont l’usage produit des effets multiples : attardement sensuel qui favorise une atmosphère d’indolence et de tension érotique (l’insistance sur les postures, la délicatesse des gestes, la picturalité toute botticellienne de Miranda), ravissement cataleptique quand les filles semblent absorbées par la quête d’un outremonde indéfinissable, ou bien motif de répétition et d’éternel retour lors du ralenti final revenant image par image sur le tableau vivant du groupe. L’invitation à l’assoupissement, souvent induite par la mise en scène, suggère un état d’allègement ou d’apesanteur tenant de l’extase ou de la transe, qui développe insidieusement une absence, une attitude quasi hypnotique chez les personnages. Le film unit la terre (les promeneuses retirent leurs chaussures et leurs bas pour éprouver un contact direct et charnel avec le sol, se couchent voluptueusement sur le rocher) et l’air (le vent qui fait frémir la flore, les orages magnétiques). La majesté et la luxuriance du décor, à la fois minéral (la roche basaltique), végétal (la touffeur moite de la forêt) et animal (la faune grouillante de fourmis, de lézards, de serpents) suggèrent tout un réseau poétique de correspondances : il y a quelque chose de baudelairien dans cette rêverie exotique riche en vibrations infimes, en sollicitations sensorielles, dans cet enchantement sylvestre qui, outre les stimulations visuelles (l’alliance du vert et du mordoré), transmet des impressions tactiles et thermiques (un souffle d’air, la langueur d’une journée d’été). Quant à la finesse du relief sonore, elle concourt à exacerber l’intensité de ces climats enveloppants : l’attention particulière aux cris d’oiseaux, aux bourdonnements et stridulations d’insectes fait ainsi ressortir la torpeur anormale du lieu.
Déclinée de film en film, l’expérience type du héros weirien révèle le passage d’une société à une autre et dépeint leur mutuelle contamination progressive. Dans Pique-nique à Hanging Rock, le rigorisme puritain à la Henry James se voit peu à peu inoculé par l’exubérance tropicale. Le civilisé se mêle au sauvage à travers l’asymétrie entre le garçon de la ville et celui de la campagne, contraste qu’accentue encore le raffinement des bonnes manières de ces demoiselles. L’intrus n’existe qu’à l’état latent. Le monde normatif du pensionnat fait le vide autour de lui. Et si le désir subsiste de s’en éloigner pour découvrir quelque autre chose, il conduit à la perdition, au sens premier du terme. À chaque spectateur de suivre et d'interpréter à sa guise les nombreuses pistes de lecture envisageables : le rébus policier, le récit surnaturel qui se réfère aux secrets perdus des autochtones (perceptibles à travers les interstices de la culture anglo-saxonne), le symbolisme inspiré des grands archétypes de Jung, la parabole sur la libération sexuelle des jeunes filles échappant aux monstres de la morale victorienne. Un profond et durable envoûtement naît de l’amalgame entretenu entre fait divers et fiction, songe et conscience, allégorie et matérialité. La fin ouverte laisse planer le doute et retient la signification du propos dans une contradiction ambigüe. Par sa prédilection pour un sens cryptique, équivoque, par son goût de la communication subliminale, par le privilège qu’il octroie aux états seconds et planants, Peter Weir s’impose ici comme un cousin méridional de Lynch ou de Cronenberg. La suite de sa carrière, poursuivie de l’autre côté du Pacifique et émaillée de prestigieux succès hollywoodiens, portera les fruits de ce coup de maître (on peut par exemple considérer Le Cercle des Poètes Disparus comme son film jumeau, son pendant masculin). Mais l’éclat fascinant qui en émane est celui d’un talisman météorique, et sa force incantatoire relève du plus irrépressible des sortilèges.

Au milieu des années soixante-dix, Peter Weir s’imposa comme le golden boy d’une génération de jeunes réalisateurs (à laquelle appartient aussi George Miller) capables d’ouvrir le cinéma australien à une reconnaissance internationale. Il fut le chantre de l’opposition entre deux mondes intrinsèquement liés : celui de la société moderne, vue par le prisme de la petite bourgeoisie citadine, et celui des fantômes d’une civilisation engloutie, refoulée, toujours à même de ressurgir dans l’inconscient collectif. Le chancellement des valeurs établies, une sorte d’effilochage progressif de la perception, l’accès troublant vers un ailleurs échappant aux coordonnées logiques et aux représentations rationnelles forment la clé de voûte de son second long-métrage. Le cinéaste y active un fantastique de l’"en-deça", intime des zones frontalières du sommeil, assez proche des miroirs d’Alice ou de cette anecdote qu’on rappelle volontiers lorsqu’on en aborde le scénario : des soldats britanniques en manœuvre dans une lointaine contrée furent intrigués par une nappe de brouillard absolument immobile. Ils la traversèrent mais on ne les revit jamais plus, comme si une puissance occulte les avait happés. Pique-nique à Hanging Rock évoque le quotidien des virginales pensionnaires d’un collège de luxe situé dans la région de Melbourne. Profils impeccables sur fond de bouquets, magnifiques chevelures blondes penchées sur de vieilles cartes dentelées servant d’herbiers, visages réfléchis dans les miroirs ovales, bibelots précieux et gravures académiques, larges chapeaux à ruban, portrait pompier de la reine Victoria… Ce serait toutefois commettre un contre-sens majeur de ne voir dans cette joliesse qu’un signe de préciosité, un effet gratuit de calligraphie. L’élégance formelle des lignes et des rapports de tons chromatiques joue un rôle crucial dans le langage choisi par l’auteur, qui avoue s’être inspiré des clichés de Lartigue, notamment ses premières épreuves en couleurs. La beauté de ce microcosme en arrive à se fondre dans celle d’un paysage de fleurs ambrées, d’herbes roussies par la canicule, aux superbes notes impressionnistes.
Trois teintes dominantes sont en jeu : azur du ciel, blancheur immaculée des robes, or des cheveux et des peaux gorgées de soleil. Le film vaut moins pour sa trame distendue que pour la trajectoire binaire d'ascension-dépression suivie par celle-ci, qui l’apparente à un étrange poème géométrique. La scène centrale de la disparition se fonde uniquement sur des principes de stylisation : flottement des plans, mouvements de caméra emphatiques, ralentis, surimpressions, flux obsédant de la musique. Le reste du récit y est inféodé, Weir jouant essentiellement sur le rendu palpable et la potentialité cinégénique de son script. Le refus de toute élucidation de l’énigme, le travail subtil réalisé autour des matières et des éléments naturels font de l’œuvre une sorte de documentaire fantasmagorique à mi-chemin du film de vampires (les jeunes filles traversent une rivière avant d'être avalées par la montagne à la manière des maîtresses anémiées de Dracula) et de la féerie naturaliste. L’incertitude porte constamment sur le degré de réalité du déroulement de l’histoire, ainsi que le souligne lors du prologue le commentaire off qui introduit à une temporalité et une causalité oniriques en la présentant à la manière d’"un rêve à l’intérieur d’un rêve". Au dépaysement temporel répond un égarement d’ordre spatial. Le rocher suscite la terreur vague des lieux sacrés : il apparaît comme "chu d’un désastre obscur", selon l’expression de Mallarmé, inquiétant autant par son enchevêtrement chaotique (un gigantesque amas volcanique, des grottes et des défilés abrupts, la présence réelle ou supposée de reptiles…) que par sa forme à la fois phallique et anthropomorphe qui se prête au pèlerinage (il s’agit d’un ancien lieu de culte aborigène).

Le sentiment de fatalité cosmique est quant à lui accru par la magnitude de la saison (le 14 février marque dans l’hémisphère austral le point culminant de la période estivale, c’est-à-dire un moment privilégié dans la respiration céleste, propice à des phénomènes inexplicables) ou au contraire la mélancolie qu’inspire son déclin (lorsqu’Irma en ressent tragiquement la fin). La fréquence des cadrages arrêtés et des plans fixes introduit dans la narration une lenteur léthargique et contemplative, dont l’usage produit des effets multiples : attardement sensuel qui favorise une atmosphère d’indolence et de tension érotique (l’insistance sur les postures, la délicatesse des gestes, la picturalité toute botticellienne de Miranda), ravissement cataleptique quand les filles semblent absorbées par la quête d’un outremonde indéfinissable, ou bien motif de répétition et d’éternel retour lors du ralenti final revenant image par image sur le tableau vivant du groupe. L’invitation à l’assoupissement, souvent induite par la mise en scène, suggère un état d’allègement ou d’apesanteur tenant de l’extase ou de la transe, qui développe insidieusement une absence, une attitude quasi hypnotique chez les personnages. Le film unit la terre (les promeneuses retirent leurs chaussures et leurs bas pour éprouver un contact direct et charnel avec le sol, se couchent voluptueusement sur le rocher) et l’air (le vent qui fait frémir la flore, les orages magnétiques). La majesté et la luxuriance du décor, à la fois minéral (la roche basaltique), végétal (la touffeur moite de la forêt) et animal (la faune grouillante de fourmis, de lézards, de serpents) suggèrent tout un réseau poétique de correspondances : il y a quelque chose de baudelairien dans cette rêverie exotique riche en vibrations infimes, en sollicitations sensorielles, dans cet enchantement sylvestre qui, outre les stimulations visuelles (l’alliance du vert et du mordoré), transmet des impressions tactiles et thermiques (un souffle d’air, la langueur d’une journée d’été). Quant à la finesse du relief sonore, elle concourt à exacerber l’intensité de ces climats enveloppants : l’attention particulière aux cris d’oiseaux, aux bourdonnements et stridulations d’insectes fait ainsi ressortir la torpeur anormale du lieu.
Déclinée de film en film, l’expérience type du héros weirien révèle le passage d’une société à une autre et dépeint leur mutuelle contamination progressive. Dans Pique-nique à Hanging Rock, le rigorisme puritain à la Henry James se voit peu à peu inoculé par l’exubérance tropicale. Le civilisé se mêle au sauvage à travers l’asymétrie entre le garçon de la ville et celui de la campagne, contraste qu’accentue encore le raffinement des bonnes manières de ces demoiselles. L’intrus n’existe qu’à l’état latent. Le monde normatif du pensionnat fait le vide autour de lui. Et si le désir subsiste de s’en éloigner pour découvrir quelque autre chose, il conduit à la perdition, au sens premier du terme. À chaque spectateur de suivre et d'interpréter à sa guise les nombreuses pistes de lecture envisageables : le rébus policier, le récit surnaturel qui se réfère aux secrets perdus des autochtones (perceptibles à travers les interstices de la culture anglo-saxonne), le symbolisme inspiré des grands archétypes de Jung, la parabole sur la libération sexuelle des jeunes filles échappant aux monstres de la morale victorienne. Un profond et durable envoûtement naît de l’amalgame entretenu entre fait divers et fiction, songe et conscience, allégorie et matérialité. La fin ouverte laisse planer le doute et retient la signification du propos dans une contradiction ambigüe. Par sa prédilection pour un sens cryptique, équivoque, par son goût de la communication subliminale, par le privilège qu’il octroie aux états seconds et planants, Peter Weir s’impose ici comme un cousin méridional de Lynch ou de Cronenberg. La suite de sa carrière, poursuivie de l’autre côté du Pacifique et émaillée de prestigieux succès hollywoodiens, portera les fruits de ce coup de maître (on peut par exemple considérer Le Cercle des Poètes Disparus comme son film jumeau, son pendant masculin). Mais l’éclat fascinant qui en émane est celui d’un talisman météorique, et sa force incantatoire relève du plus irrépressible des sortilèges.

- innaperfekt_
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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)
Je ne sais pas si tu es encore sur le forum, Demi-Lune, mais ce texte m'a transpercé tant il exprime pleinement mon ressenti sur ce film, que je viens de finir. Je voulais rajouter une remarque sur la perception des visages à travers le cadrage si spécial de Weir sur les rochers et... tu l'as fait encore un peu plus loin.Demi-Lune a écrit : ↑3 juin 12, 12:41 Indiscutablement, le film nécessite du spectateur un plein abandon de sa personne aux vertiges de l'atmosphère orchestrée par Weir... mais s'il consent à ce voyage, c'est d'la bombe bébé ! Alors que je redoutais sa lenteur, j'ai été happé du début jusqu'à la fin par le parfum ensorcelant du film. Le sentiment de voir quelque chose d'unique ne m'a pas quitté, quand bien même ce sentiment dût être tempéré sur le coup par quelques points marginaux (le personnage de Sarah dont le mal-être ne me semble pas forcément pleinement abouti, quelques hystéries féminines pas très bien jouées...). Qu'importe : c'est la grandeur de Pique-nique à Hanging Rock, son spectre férocement entêtant, qui restent en mémoire. La B.O. y joue pas mal, à ce titre.
Avec une grâce bien à lui, Weir déploie une ambiance cotonneuse dont les contours hypnotiques laissent entrevoir tout un cortège sensitif, de la chaleur caniculaire à cet air lourd qu'on peut presque respirer, des bruits des rochers à l'odeur de la terre... tout ça dessinant un tableau plus large, celui de ce mont volcanique dressé dans la plaine à la fois comme une invitation et un défi. Personnage à part entière que Weir va doter d'une vie : j'ai trouvé particulièrement fascinante la manière très simple, et pourtant "fantastique", de Weir pour ramener la sensitivité de ses images au pouvoir magnétique (au propre comme au figuré) de ce lieu escarpé, aux formes tourmentées habitées d'une étrange paix. Ça m'a un peu rappelé la scène de la grotte de La Route des Indes. Le rapport de Weir à la Nature est très difficile à expliquer, il est par exemple très différent de celui de Malick qui repose sans doute plus sur une conception virginale, protectionniste. Hanging Rock, comme l'expliquait brillamment Brice Kantor à la lumière des autres films de Weir, est plus l'illustration d'une pensée cohabitationniste : la civilisation et la Nature coexistent dans cette Australie des grands espaces, au point que cette coexistence pacifique puisse aboutir à l'ingestion pure et simple. Les filles sont littéralement aspirées par la Nature, elles se sont volatilisées, comme mangées par cette ouverture rocheuse. Leur lascivité avait presque valeur d'offrande. Inversement, la montagne "recrachera" l'une d'entre elles. Le minimalisme de l'histoire invite à toutes sortes d'interprétations (métaphoriques, fantastiques, policières...), le film a évidemment un discours sur la virginité (la fascinante "meneuse" du groupe des disparues, Miranda, n'est-elle pas associée à l'image d'un ange botticellien ? les rescapées ne se souvient-elles pas de rien, comme après un viol traumatique?), mais pour ma part, c'est vraiment cet aspect que je trouve le plus passionnant, ce rapport extrêmement sensitif au monde qui nous entoure, l'essence mystérieuse d'un lieu millénaire qu'on ne pénètre pas sans raison. Par conséquent, j'ai adoré que le mystère soit maintenu jusqu'au bout. L'énigme est fascinante en tant que telle, mais aussi parce que derrière cette abstraction point ce sentiment angoissant de vide, de vanité, de futilité : ce fameux parallèle d'une des filles sur les fourmis, peut-être central, pour le rôle et la place des hommes dans l'univers.
La restauration du BR a sans doute joué mais visuellement, je n'avais pas autant été ébloui par un film depuis longtemps. Tous les plans s'inscrivent et se fixent avec une élégie particulière sur la rétine. C'est beau à crever. C'est filmé dans une maitrise esthétique absolument hallucinante.
Le moment du film que j'ai voulu garder avec moi :
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- Demi-Lune
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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)
Je suis là par intermittences, et la plupart du temps comme simple lecteur, désormais.innaperfekt_ a écrit : ↑19 janv. 24, 22:37 Je ne sais pas si tu es encore sur le forum, Demi-Lune, mais ce texte m'a transpercé tant il exprime pleinement mon ressenti sur ce film, que je viens de finir.

Merci pour ton message en tout cas !
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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)
Je l'avais vu il y a quelques semaines sur le replay d'Arte et j'avais trouvé aussi l'image de très bonne qualité. La restauration a été supervisée par le chef opérateur et le réalisateur. Dommage que Weir ne tourne plus parce que c'était un réalisateur vraiment passionant. Bien plus intéressant qu'un Ridley Scott ou un Christopher Nolan. Mais je pense que son cinéma ne s'accorde malheureusement plus avec les nouvelles normes du marché hollywoodien. Films de super héros, romances aseptisés et autres bouffonneries...
- jhudson
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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)

Le master 4K fait polémique ;teinte générale trop jaune, DNR, grain qui varie suivant les plans, que la Director's cut qui est plus courte que la version cinema...
Je viens de le recevoir et j'ai jeté un œil trés rapide ,ce n'est pas la catastrophe annoncée en UHD en tout cas.
Le Blu ray 2K n'a quasiment plus de grain mais comme souvent le UHD limite la casse car le grain réapparait, il est évident qu'ils ont un peu abusé du DNR.
La remixage 5.1 (en VO) est juste extraordinaire, le film étant Mono a l'origine .
- tenia
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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)
Ce n'est pas un souci de ne pas avoir de grain (il y en a même en Blu-ray), mais que le grain présent est faux. L'image a été dégrainée (et ça se voit, car "sous le grain", ça ressemble à une image typiquement dégrainée), mais avec ensuite une passe de faux grain qui ressemble, en mouvement, exactement à ça : du grain, mais pas du vrai.
Le résultat est un travail de faussaire, qui tente d'imiter un résultat visuel et faire illusion. Perso, ça ne l'a pas fait (puisque j'ai effectivement pu trouver à l'oeil ce qui s'était passé).
Le résultat est un travail de faussaire, qui tente d'imiter un résultat visuel et faire illusion. Perso, ça ne l'a pas fait (puisque j'ai effectivement pu trouver à l'oeil ce qui s'était passé).
- jhudson
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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)
Je n’ai juste visionné que le tout début, c’est juste un premier aperçu.tenia a écrit : ↑11 mars 24, 18:58 Ce n'est pas un souci de ne pas avoir de grain (il y en a même en Blu-ray), mais que le grain présent est faux. L'image a été dégrainée (et ça se voit, car "sous le grain", ça ressemble à une image typiquement dégrainée), mais avec ensuite une passe de faux grain qui ressemble, en mouvement, exactement à ça : du grain, mais pas du vrai.
Le résultat est un travail de faussaire, qui tente d'imiter un résultat visuel et faire illusion. Perso, ça ne l'a pas fait (puisque j'ai effectivement pu trouver à l'oeil ce qui s'était passé).
Ajouté du faux grain des éditeurs anglais le faisaient il y a bien 10 ans de cela, je m’en souviens qu’on en parlait sur Homecinema -fr.
En tout cas il y a une différence de texture de l’image entre le blu ray 2k et l’Uhd, c’est minime mais bien présent .
- Flol
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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)
Du coup, la meilleure édition disponible (et lisible par chez nous), elle est à aller chercher où ?
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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)
La meilleure, c'est celle-ci il me semble : https://secondsightfilms.co.uk/products ... -available
https://www.amazon.co.uk/Picnic-At-Hang ... 481&sr=1-4

- Flol
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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)
Ah oui j'ai un poil trop tardé avant de le choper, visiblement. 
Merci pour les liens !

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- tenia
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Re: Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir - 1975)
L'édition anglaise utilise la même nouvelle restauration 4K (bidouillée) qu'ESC chez nous et Criterion aux USA, mais c'est la seule à proposer aussi le montage original du film.
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