


Avec une grâce bien à lui, Weir déploie une ambiance cotonneuse dont les contours hypnotiques laissent entrevoir tout un cortège sensitif, de la chaleur caniculaire à cet air lourd qu'on peut presque respirer, des bruits des rochers à l'odeur de la terre... tout ça dessinant un tableau plus large, celui de ce mont volcanique dressé dans la plaine à la fois comme une invitation et un défi. Personnage à part entière que Weir va doter d'une vie : j'ai trouvé particulièrement fascinante la manière très simple, et pourtant "fantastique", de Weir pour ramener la sensitivité de ses images au pouvoir magnétique (au propre comme au figuré) de ce lieu escarpé, aux formes tourmentées habitées d'une étrange paix. Ça m'a un peu rappelé la scène de la grotte de La Route des Indes. Le rapport de Weir à la Nature est très difficile à expliquer, il est par exemple très différent de celui de Malick qui repose sans doute plus sur une conception virginale, protectionniste. Hanging Rock, comme l'expliquait brillamment Brice Kantor à la lumière des autres films de Weir, est plus l'illustration d'une pensée cohabitationniste : la civilisation et la Nature coexistent dans cette Australie des grands espaces, au point que cette coexistence pacifique puisse aboutir à l'ingestion pure et simple. Les filles sont littéralement aspirées par la Nature, elles se sont volatilisées, comme mangées par cette ouverture rocheuse. Leur lascivité avait presque valeur d'offrande. Inversement, la montagne "recrachera" l'une d'entre elles. Le minimalisme de l'histoire invite à toutes sortes d'interprétations (métaphoriques, fantastiques, policières...), le film a évidemment un discours sur la virginité (la fascinante "meneuse" du groupe des disparues, Miranda, n'est-elle pas associée à l'image d'un ange botticellien ? les rescapées ne se souvient-elles pas de rien, comme après un viol traumatique?), mais pour ma part, c'est vraiment cet aspect que je trouve le plus passionnant, ce rapport extrêmement sensitif au monde qui nous entoure, l'essence mystérieuse d'un lieu millénaire qu'on ne pénètre pas sans raison. Par conséquent, j'ai adoré que le mystère soit maintenu jusqu'au bout. L'énigme est fascinante en tant que telle, mais aussi parce que derrière cette abstraction point ce sentiment angoissant de vide, de vanité, de futilité : ce fameux parallèle d'une des filles sur les fourmis, peut-être central, pour le rôle et la place des hommes dans l'univers.