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Critique de film
Le film
Affiche du film

Zardoz

L'histoire

En 2293, la population humaine est divisée entre les Éternels, des humains ayant atteint l'immortalité grâce à la technologie, et les Brutes (Brutals). Les Brutes vivent dans une terre ravagée et fournissent de la nourriture aux Éternels. Ces derniers vivent en autarcie grâce à un mur invisible dans le « Vortex » et passent une existence luxueuse mais apathique. Arthur Frayn, l'Éternel chargé de gérer les « terres extérieures », se fait passer auprès des Brutes pour un dieu nommé Zardoz. Il a constitué un groupe d'exterminateurs, chargé de réduire en esclavage les autres humains. Zed est un de ces exterminateurs. Il se cache à bord du masque de pierre lors d'un voyage et tue son chef Arthur Frayn.

Analyse et critique

John Boorman était arrivé au bout d’une certaine logique dans ses expérimentions formelles et narratives, ainsi que dans l’illustration de ses questionnements sur le rapport de l’homme à son environnement dans Le Point de non-retour (1967), Duel dans le Pacifique (1968) et Délivrance (1972). Le contexte réaliste de ces films limitait désormais ses visions, et Zardoz allait être la pierre angulaire d’un cycle mythologique qui se poursuivrait notamment avec L'Exorciste 2 : l'Hérétique (1977), Excalibur (1981) et La Forêt d’émeraude (1985). Cette volonté se ressent déjà dans le projet avorté dont découleront Zardoz et Excalibur, une adaptation du Seigneur des Anneaux que préparait Boorman pour United Artists qui se rétractera face à l’ampleur du budget envisagé. Boorman, bien décidé à concevoir un monde imaginaire pour son film suivant, proposera donc Zardoz à la Fox qui lui alloue un budget d’un million de dollars. On peut s’étonner aujourd’hui de voir un grand studio à la manœuvre d’un projet aussi fou mais dans le contexte d’avènement de la contre-culture, du Nouvel Hollywood émergent et du succès du cinéma d’anticipation d’alors, c’est une proposition audacieuse mais pas si improbable pour les spectateurs de l’époque. Soleil Vert de Richard Fleischer (1973) ou Silent Running de Douglas Trumbull avaient ainsi remporté les faveurs du public et de la critique grâce à des thématiques alarmistes sur des peurs concrètes notamment liées à l’écologie. Zardoz s’avérera plus inclassable puisque les angoisses qu’il relève sont d’ordre plus spécifiquement philosophique à travers un traitement des plus surprenants.


Dans Excalibur, Merlin guidait, laissait faire puis s’effaçait face à l’agitation du monde des hommes. L’inconséquence et l’imprévisibilité inhérentes à la nature humaine pouvaient susciter le pire comme le meilleur, dans un équilibre et un mouvement perpétuel où les ténèbres de l’hiver laissaient place aux lueurs du printemps. Le monde futuriste et barbare de Zardoz a abandonné cette logique en séparant arbitrairement une société de l’esprit, technologiquement avancée et ayant atteint l’immortalité (les Éternels), d'avec une autre arriérée et instinctive vivant dans une terre sauvage de l’éphémère. Les Éternels manipulent les Brutes à travers l’entité artificielle de Zardoz, une tête volante gigantesque qui flatte leurs bas instincts (cette scène explicite où la bouche de Zardoz crache un torrent de fusils) et les incitent à s’exploiter et s’entretuer. Pourtant lorsque Zed (Sean Connery), l’un des meneurs des Brutes, réussit à se cacher à l’intérieur de Zardoz et à s’infiltrer chez les Éternels, cet équilibre est menacé. Le propos de Boorman est la fois social et philosophique. L’aspect social est voisin de Metropolis où les nantis et les chantres du savoir ont préféré s’isoler face au chaos, laissant les êtres de basse extraction régresser pour mieux les servir. La dichotomie de ces deux communautés mène l’humanité vers sa chute car elle est désormais incomplète. Lorsque les Éternels sondent la mémoire de Zed, tout l’avilissement et la barbarie des Brutes se donne à voir entre viols et tueries.


Les maux du monde utopique des Éternels ne se révèleront, quant à eux, que progressivement à travers le regard de Zed. Zardoz sort à une période de gueule de bois pour les utopies qui semblent avoir fait long feu, notamment en raison du Watergate ou de la guerre du Vietnam. Les Éternels arborent ainsi tous les contours esthétiques, comportementaux et organisationnels d’une communauté hippie mais Boorman donne un tour oppressant à ses caractéristiques. Le lien psychique qui les unit relève plus de la pensée unique que de la symbiose, et leur fonctionnement égalitaire où l’on vote pour chaque décision sert surtout à repérer les dissidents immédiatement châtiés par le collectif. La différence trop affirmée sera ainsi punie par un eugénisme « temporel » en vieillissant les récalcitrants, voire en isolant les plus âgés. L’esthétique pastel des environnements intérieurs, l’aspect Flower Power des tenues et le cadre écolo verdoyant dissimulent donc une dictature aux contours faussement bienveillants. Boorman va cependant plus loin dans son raisonnement, où chaque extrême des deux mondes mène à une perte de repère. L’immortalité s’est gagnée au prix d’une déshumanisation au sein de laquelle l’absence d’échéance, d’attirance sexuelle ou amoureuse conduit à une apathie empêchant désormais toute évolution. Sans le compte à rebours menant chacun à sa mort, plus de passion ni de défis à relever mais juste un éternel et ennuyeux recommencement. L’ère où l’humanité était ardente est ainsi rangée dans un mausolée d’œuvres d’art tandis que les Éternels errent dans un décor fermier anonyme. Cette absence de lendemain qui change en aura littéralement figé certains, et fait sombrer d’autres dans la sénilité.


Les choix esthétiques marqués de John Boorman appuient donc cette réflexion, y compris la tenue si moquée de Sean Connery avec son slip rouge, son catogan, sa moustache et sa cartouche en bandoulière - une image qui vaudra au film une réputation injustifiée de nanar, notamment par un François Forestier un peu trop prompt à donner ce titre au moindre film à l’esthétique autre. Ce look agressif renforce pourtant la dimension primaire de Zed (le premier choix de Boorman était d’ailleurs Burt Reynolds dans cette même idée d’une virilité marquée) en contrepoint de l’imagerie lisse des Éternels. C’est une anomalie qui ravive un désir trop longtemps étouffé pour May (Sara Kestelman), suscite un rejet masquant là aussi une attirance coupable pour Consuella (Charlotte Rampling, glaciale) et dérègle l’uniformisation ambiante. Zardoz est la contraction de Wizard of Oz et, tout comme dans le roman et le célèbre film de Victor Fleming, l’envers du miroir révèle une réalité toute autre que l’illusion initiale. C’est le dieu Zardoz dissimulant donc un monde totalitaire, et aussi un Zed qui sous l’aspect rustre est un être plus accompli, un élu passé de la barbarie à la connaissance - mais là également par un cheminement provoqué et qui ôte toute omniscience aux différents protagonistes, Zardoz prônant le libre-arbitre plutôt que la pensée unique ou celle d’un guide. Avec l’humanité qui reprend ses droits, c’est aussi le monde du rêve qui peut de nouveau se confondre au réel. Boorman ose donc les transitions les plus déroutantes, les visions grandioses (les apparitions et envols de Zardoz) qui alternent avec un ridicule, un sens de l'absurde (Sean Connery en robe de mariée, autre image pseudo « nanardesque ») et un mystère de tous les instants convoquant parfois le cinéma d’avant-garde (les projections sur les corps lors de la transmission du savoir). Une fois cette part d’imprévu, de folie et de grâce ravivée, l’humanité retrouvée peut accepter sereinement sa nature éphémère dans le chaos et l’apaisement accueillant la mort lors du final. Par ses audaces et ses imperfections, Zardoz plante la graine de tous les chefs-d’œuvre à venir de John Boorman.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 14 décembre 2017