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Critique de film
Le film
Affiche du film

Vincent, François, Paul... et les autres

L'histoire

Vincent est un petit chef d'entreprise confronté à des difficultés financières et sentimentales, François un médecin qui a perdu de vue ses convictions, Paul un auteur en mal d'inspiration. Ils sont amis, confrontés ensemble aux aléas de la vie, ses joies et ses peines. Entre bonheurs et colères, ces cinquantenaires sont confrontés à leurs doutes, à leurs échecs, mais se raccrochent toujours à leur unité, leur amitié.

Analyse et critique

Comment ne pas se sentir profondément ému alors que les premières notes de la formidable partition de Philippe Sarde retentissent et que ces noms s'inscrivent a l'écran : Yves Montand, Michel Piccoli, Serge Reggiani, Gérard Depardieu dans Vincent, François, Paul et les Autres... Et notre cœur se serrer devant ces images au ralenti, mélange de bonheur et de mélancolie. Toutes les émotions véhiculées par un chef-d'œuvre résumées en un générique. Puis des enfants qui jouent, des adultes qui s'amusent comme des enfants et l'instant d'après une cabane qui brûle, la juxtaposition des petits bonheurs et des petits drames du quotidien dans la plus belle illustration de la peinture de la vie, tout le cinéma de Claude Sautet en quelques plans.

Ces premiers plans du septième long métrage de Claude Sautet sont annonciateurs du reste du film : un monument d'émotion et de grâce qui offrira à son auteur son plus grand succès public, et mérite d'être considéré comme le sommet de l'une des plus belles filmographies du cinéma français. Un film en prise avec son époque, reflet d'une France en mutation, portrait d'une génération, et surtout une œuvre intemporelle qui tend un miroir à chaque homme saisissant un quotidien emprunt de valeurs absolues, symbolisant la notion la plus universelle : la vie.

Il est bien difficile de tenter de résumer l'intrigue de Vincent, François, Paul et les Autres... Comme pour la plupart des autres films de Claude Sautet, il n'y en a pas vraiment. Il s'agit plutôt de personnages qui se confrontent, se retrouvent. Le film vit sur les émotions créées par ces rencontres. Pour sa quatrième collaboration avec Jean-Loup Dabadie - ils écriront ensuite quatre autres films ensemble - Sautet semble atteindre une forme d'absolu de ce principe. Nous suivons le destin d'une foule de personnages plongés dans les tourments de leur quotidien et de leur temps. A l'évocation de ce film, on parle souvent de portrait d'une époque. Celle qui voit les Trente Glorieuses s'éteindre et l'ombre menaçante de la première grande crise internationale d'après-guerre se profiler. Et c'est juste, Sautet filme son époque. La crise qui débute frappe Vincent, ainsi que Jean son employé. Vincent nous est présenté comme un homme qui fut un symbole de réussite. A la tête de sa petite entreprise, il a connu le succès. Mais, obligé de se moderniser pour ne pas disparaitre, il a contracté des dettes qui vont le dépasser. Il est surtout dépassé par des temps nouveaux, qui ne laissent plus de place à la petite industrie de banlieue, condamnée à être intégrée à une plus grosse structure ou à disparaître. L'image d'un monde qui meurt. Sautet filme aussi un décor, celui de la proche banlieue encore pavillonnaire et couverte d'un tissu de petites entreprises. Il filme les cafés, lieux où l'on socialise, où l'on mange. Chose frappante aujourd'hui, il filme des hommes qui fument, beaucoup. Illustration parfaite de mœurs contemporaines à la production du film.

Vincent, François, Paul et les Autres... c'est aussi une autre génération, celle de Claude Sautet. Les trois personnages principaux sont des cinquantenaires. Ils ont fait leur vie et ont vu s'éteindre leurs illusions. Ils sont confrontés à une jeunesse qui ne vit plus vraiment la même réalité qu'eux. Ils appartiennent à la petite bourgeoisie : un chef d'entreprise, un médecin, un auteur propriétaire d'une maison de campagne, reflet de son aisance financière. Les jeunes sont membres d'une classe plus populaire. Jean est ouvrier chez Vincent. Il partage avec sa compagne Colette un petit appartement sans grand confort. La nouvelle génération sera confrontée à d'autres épreuves, à un autre monde. Ce décalage, qui n'empêche pas l'amitié d'unir jeunes et anciens, est le révélateur de la crise que traversent les personnages principaux, forcés de se retourner sur leur passé et sur les promesses de leur jeunesse. Ils plongent en plein doute.

Le doute est une notion absolue, transgénérationnelle ; Sautet parle de sa génération, mais décrit un sentiment universel. Dans beaucoup de ses films, c'est ce qui caractérise tous ses personnages masculins. Les plus âgés sont en fuite. Entre deux femmes, entre deux métiers, entre leur vie rêvée et leur réalité. Les plus jeunes hésitent, comme Jean qui ne sait pas s'il doit monter sur le ring et vivre son destin de boxeur. Seules les femmes ont des certitudes chez Sautet. Elles sont fortes, décident et dirigent la vie des hommes, quel que soit leur âge. Vincent, François, Paul et les Autres... est un film d'hommes, mais les femmes ne sont en aucun cas des faire-valoir. Sautet admirait les femmes et leur détermination. Il le prouvera en renversant les rôles en 1978 dans Une histoire simple, mais porte déjà leur voix quatre ans plus tôt : dans Vincent, François, Paul et les Autres..., les hommes sont des enfants, naïfs, immatures et perdus. Les femmes sont les guides, comme en témoigne la scène touchante où Vincent, au bord de la ruine, se réfugie chez sa femme dont il est séparé. Elle le réconforte, l'héberge, et le sauve.

Eloge de la femme, Vincent, François, Paul et les Autres... est aussi, et surtout, un éloge de l'amitié. L'amitié comme valeur immuable, inébranlable, refuge devant tous les périls. C'est évidemment l'aspect le plus fort du film, le plus émouvant. Ce lien qui unit Vincent, François et Paul, qui rient et pleurent ensemble, peuvent se fâcher mais jamais se séparer, nous touche au plus haut point, renvoyant le spectateur aux sentiments les plus forts de sa vie. Cela donne naissance à la scène la plus marquante du film, une des plus mémorables du cinéma français, lors d'un repas chez Paul. Les amis se taquinent, on reproche à François d'avoir oublié ses idéaux passés, ceux de sa jeunesse où il rêvait de dispensaires et de médecine pour tous, lui qui est maintenant un médecin des beaux quartiers, bientôt à la tête de sa propre clinique. François, qui découpait le rosbif, oublie sa tâche et explose, hurle et quitte la table. On le retrouve dehors, penaud, bientôt réconforté par Paul. Le soufflé de la colère retombé, l'amitié est de nouveau présente. C'est l'une des grandes scènes du film, elle en résume de nombreux aspects. L'amitié, qui autorise à dire les plus grandes vérités, une scène qui illustre le doute, les regrets de ce qu'on voulait être devant l'homme que l'on est devenu. Une scène émouvante, à l'image de tout le film, car ce qui domine à l'écran ce n'est pas la colère, mais une émotion plus intime : "Ce qui est beau dans cette scène, c'est la honte", comme l'affirmera Michel Piccoli.

Le plus grand talent de Sautet, c'est d'être capable de filmer, avec la plus grande des pudeurs, l'intime. Nul autre cinéaste n'a su aussi bien que lui s'immiscer dans le quotidien de ses personnages, et si bien illustrer leur vie. Il saisit le quotidien, un simple bruit distrait ses personnages, et la caméra, de leurs buts initiaux, comme dans cette scène où François, presque instinctivement, se détourne subitement de son bureau pour se diriger vers la fenêtre, apercevant sa femme partir avec son amant. La vie n'est pas un chemin prédéfini, le film non plus. Ainsi, il ne semble jamais que l'histoire de ces personnages est écrite, que nous vivons une simple aventure fictive. Au contraire, à chaque instant nous sommes en contact avec une réalité à laquelle nous assistons comme des témoins discrets, en aucun cas des voyeurs, plutôt des amis silencieux. Car dès les premières images, ces personnages ne sont pas des étrangers. Sautet sait créer l'empathie en un instant. Tous ces personnages sont beaux. Ils peuvent être faibles, naïfs, perdus, ils ne seront jamais vils. Toujours attachants, ils sont si touchants que l'on voudrait ne jamais les abandonner. Voilà le plus beau résultat de l'alchimie de plusieurs talents, celui de l'écrivain, celui du directeur d'acteurs et évidemment celui des interprètes. Avec Vincent, François, Paul et les Autres..., Claude Sautet nous a offert l'un des plus beaux casting du cinéma français. Montand, Reggiani, Piccoli, au sommet de leur art, nous proposent des performances d'un naturel confondant. Depardieu, qui vient de sortir de l'anonymat avec Les Valseuses, crève l'écran de ce mélange de force et de fragilité qui sera sa marque de fabrique. Les femmes, Marie Dubois, Stéphane Audran, Ludmila Mikaël ou Catherine Allégret, dans des rôles pourtant secondaires, donnent une force et une présence remarquables à leurs personnages. Et l'on pourrait encore citer de nombreux seconds rôles tant ils sont nombreux, fouillés et tous réussis. Vincent, François, Paul et les Autres... est un des plus beaux exemples de film choral. Les plans y sont remplis de personnages pleins de vie. Sautet se fait dans l'exercice l'égal des plus grands, tel un Jean Renoir qui savait si bien mettre en scène les multitudes de personnages.

Vivant, imbibé d'humanité, communiquant la plus pure des émotions, Vincent, François, Paul et les Autres... est un si beau film qu'il faudrait un livre pour en évoquer tous les beaux moments et toutes les qualités. Nous ne conclurons toutefois pas sans avoir évoqué la sublime partition de Philippe Sarde, si indispensable à la réussite du film. Selon Sautet, qui lui avait offert sa première expérience cinématographique avec Les Choses de la vie et le convoquera ensuite pour tous ses films, Sarde a écrit pour Vincent, François, Paul et les Autres... "Sa plus belle musique [...] tonique et mélancolique à la fois." (1) Nous sommes tentés de le croire. Et pourtant, l'œuvre de Philippe Sarde est immense. Chacune de ses compositions magnifie le film qu'elle illustre, sans jamais l'écraser. Le nom de Philippe Sarde est indissociable du cinéma français de ces quarante dernières années. Compagnon régulier de Sautet, de Tavernier, mais aussi de dizaines d'autres cinéastes, il apporte systématiquement une touche de grâce aux films qu'il met en musique. Génie de la mélodie, maître de l'accompagnement invisible qui illustre à merveille en se faisant presque oublier, il trouve ici en quelques notes un air inoubliable qui, décliné en de multiples variations, offre au film le plus beau des accompagnements. Il nous semble que Sarde pourrait transformer n'importe quel film en une réussite, ou au moins en une œuvre digne d'intérêt. En travaillant sur un chef-d'œuvre, sa musique est d'autant plus indispensable. Elle finit d'inscrire définitivement la beauté des images et des mots au plus profond de notre cœur.

Nous n'avons fait qu'effleurer la beauté d'un film. Il est bien difficile de mettre des mots sur une œuvre aussi forte. A chaque vision, Vincent, François, Paul et les Autres... révèle de nouvelles richesses, s'étoffe, s'intensifie. A l'image de la vie tout simplement. On ne l'avait jamais si bien filmée, si bien racontée. On n'en avait jamais tiré une œuvre aussi indispensable. Il fallait tout le génie de Claude Sautet pour y parvenir. Tentons toutefois une synthèse en laissant la parole à Vincent. Le film se termine. Nos amis ont surmonté les difficultés du moment, mais pas leurs doutes. Ils quittent un bistrot, traversent la rue. Et Vincent, qui rêve toujours d'un retour de sa femme conclut : « On sait pas avec la vie. » Tout est dit. La caméra abandonne ses personnages au milieu de la route, comme au milieu de leur vie. Le générique de fin est là. Nous laissant le cœur serré...


1)  Conversations avec Claude Sautet, par Michel Boujut, Editions Institut Lumière/Actes Sud.

DANS les salles

le temps de claude sautet

LES CHOSES DE LA VIE (1970)
MAX ET LES FERRAILLEURS (1971)
CÉSAR ET ROSALIE (1972)
VINCENT, FRANÇOIS, PAUL ET LES AUTRES (1974)

DISTRIBUTEUR : LES ACACIAS FILMS
DATE DE SORTIE : 24 DECEMBRE 2014

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Par Philippe Paul - le 9 décembre 2014