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Critique de film
Le film
Affiche du film

Vautrin

L'histoire

Vautrin, dit Trompe-la-Mort, s'est évadé du bagne et se dirige vers Paris sous les traits d'un prêtre espagnol. En route, il rencontre le jeune Lucien, pleurant sur sa pauvreté. Vautrin le prend à sa charge et, en quelques semaines, fait de lui le dandy le plus recherché de la capitale.

Analyse et critique

Vautrin met en scène un des personnages les plus emblématiques de La Comédie humaine d’Honoré de Balzac, ce grand ensemble (romans, nouvelles, pièces de théâtre) où il se fait l’observateur social et politique de son temps. Vautrin apparaît dans trois des ouvrages les plus fameux de La Comédie humaine : Le Père Goriot paru en 1835, Illusions perdues publié entre 1837 et 1843, et la suite de ce dernier, Splendeurs et misères des courtisanes publié entre 1838 et 1846. Vautrin y incarne une figure du mal fascinante, un criminel et tentateur pour des jeunes hommes (Rastignac dans Le Père Goriot, Lucien de Rubempré dans les deux autres romans) en quête de réussite dont il sera l’âme damnée. Le film de Pierre Billon adapte plus spécifiquement Splendeurs et misères des courtisanes même s’il reprend le final d’Illusions perdues en montrant la rencontre entre un Lucien (Georges Marchal) aux abois et Vautrin (Michel Simon) dissimulé sous les atours d’un ecclésiastique espagnol. Néanmoins, le scénario de Pierre Benoît parvient plus ou moins efficacement à introduire des éléments du Père Goriot, notamment l’emprise de Vautrin sur Rastignac après leur rencontre dans ce livre.


Pierre Billon nous propose là une adaptation plutôt fidèle, nantie, mais malheureusement sans aspérités. L’une des qualités est de réussir à caractériser efficacement des personnages pour lesquels cela était moins nécessaire à la lecture du roman, qui était une suite. Le passé de forçat, la roublardise et la paradoxale dévotion de Vautrin sous la fourberie se ressentent ainsi plutôt bien dans l’introduction qui le voit passer des habits du bagne dont il s’évade à ceux de prêtre. Bien évidemment, tout le passif d’irrésolu ambitieux et romantique de Lucien de Rubempré ne peut complètement convaincre sans les saillies mordantes de Balzac, mais la narration développe relativement bien le pacte qui va l’unir à Vautrin. De même, un protagoniste aussi haut en couleur que le Baron de Nucingen semblait difficilement transposable à l’écran, mais l’allure grotesque que lui confère Louis Seigner (le film évite de reprendre l’accent alsacien phonétique et assez pénible à lire dont le dotait Balzac) réussit à illustrer la monstruosité, la cupidité et l’impunité que fait refléter l’argent sur un individu sans scrupules. Le problème du film est de manquer d’un certain souffle romanesque et d’enchaîner de manière très scolaire les péripéties du roman.


C’est notamment palpable quand on voit disparaître les éléments subversifs du roman. L’attirance voire la relation homosexuelle que sous-entendent les efforts de Vautrin pour le succès de Lucien n’existent plus, ce qui enlève toute l’ambiguïté de l’usage qu’il fera d’Esther (l'amante de Lucien) pour financer la crédibilité de son protégé visant un mariage d’ambition. Le film devient un mélodrame assez classique dans lequel le fade George Marchal peine à exprimer la nature torturée de Lucien malgré des situations intéressantes (l’arrivée au bal où il est reconnu par d’anciens compagnons), et qui atténue la tragédie en effaçant certains éléments clés du passé des personnages. Dans le roman, Esther (Madeleine Sologne) est une courtisane célèbre qui retrouve une forme de « pureté » par l’amour sincère qu’elle voue à Lucien. Elle retrouve par intermittence les attitudes de cette ancienne vie pour soumettre le Baron de Nucingen et aider Lucien. Le film va au plus simple en en faisant une victime chétive qui repousse les assauts de Nucingen, le sacrifice perdant de sa nature sulfureuse mais aussi émotionnelle (Madeleine Sologne ne fonctionne que sur le registre éploré) quand arrive la conclusion.


Tout cela reste donc très illustratif, pas désagréable en soi, notamment via une belle reconstitution et direction artistique, mais manque de point de vue. Les habituels jeux de pouvoir, tractations et manipulations financières que se plaît à décrire Balzac dans le détail sont également réduits à l’essentiel ici, mais s’avèrent néanmoins ludiques. Le Baron de Nucingen paie au prix fort le moindre rapprochement avec Esther mais explicite de cette manière une société où tout se monnaie quand on en a les moyens, un ressort sur lequel le rusé Vautrin sait appuyer, et que le faible Lucien feint d’ignorer. C’est bien le manque de moyens plus que la réputation trouble l’entourant qui empêche Lucien de faire aboutir son mariage noble. Un scandale à l’opéra suffit à lever la suspicion sur lui quand un Nucingen peut s’y afficher avec la maîtresse qu’il entretient. L’argent et l’emprise qu’il autorise sur l’autre surmontent tous les obstacles. Les plus faibles de caractère comme Lucien sont condamnés, ainsi que les âmes nobles telles qu’Esther, mais les plus roués et souples comme Vautrin ont toujours une sortie possible. Là encore, le film rate un peu le coche de la subversion du roman, appuyant la dimension dramatique (malheureusement pas suffisamment bien introduite pour émouvoir) plutôt que subversive, avec le destin à la Vidocq (contemporain et vraie inspiration de Balzac qui eut l’occasion de le rencontrer) qui s’ouvre pour Vautrin. Même Michel Simon adoucit la vraie dimension inquiétante du personnage dans son jeu plus excentrique que froidement menaçant. Ce sont pourtant ces contrastes calculateurs et sentimentaux qui font tout le sel de Vautrin. Une adaptation sage et honorable donc, mais loin des vertiges que pouvait procurer la lecture.


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 7 septembre 2020