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Critique de film

L'histoire

Dans les années 1840, Ramsay MacKay (Joel McCrea) est employé par la compagnie de messieurs Wells et Fargo chargée de transporter du courrier et du fret par la route, faisant ainsi de la concurrence au transport fluvial utilisé par le gouvernement, un moyen d’acheminement beaucoup plus lent. Si Ramsay réussit à transporter une cargaison d’huîtres fraiches de New York à Buffalo en un temps record, un juteux contrat sera signé pour cette jeune entreprise. Sur son parcours, il prend néanmoins le temps de secourir la jolie Justine Pryor (Frances Dee) et sa mère (Mary Nash) dont le chariot vient de se briser au bord de la route. Arrivé à Buffalo dans les temps, Ramsay est félicité et la Wells & Fargo obtient un regain de confiance de la part des financiers ; elle peut ainsi ouvrir un nouveau relais à St Louis. Ramsay est envoyé là-bas par Henry Wells pour s’occuper de l’affaire. Il retrouve Justine qui y habite ; ils tombent amoureux l’un de l’autre, malgré la réticence des parents de Justine qui lui avaient trouvé un beau et riche prétendant. Peu après, Ramsay quitte sa "fiancée" pour aller installer un nouveau bureau à San Francisco, la ruée vers l'or en Californie pouvant être un nouveau tremplin pour la compagnie. C’est effectivement un beau succès mais, lors du convoyage d’un chargement d’or, le minerai est dévalisé. Tous les bénéfices acquis s’évaporent pour pouvoir rembourser les mineurs ; ce qui n’entame en rien le crédit accordée à la Wells Fargo. Cinq ans après, Ramsay voit avec bonheur Justine débarquer à San Francisco avec le consentement de ses parents quant au mariage qu’ils projetaient. Les noces ont lieu ; le couple s’entend à merveille malgré les incessants "voyages d'affaires" du mari, et ce jusqu’à ce que la Guerre de Sécession éclate...

Analyse et critique

Dans le courant des années 30, peu de westerns ont eu l’insigne honneur d’entrer et surtout de rester dans les annales et les histoires du cinéma. Ceux qui ont eu cette chance ont été principalement les westerns épiques à gros budget narrant la croissance de cette jeune nation qu’était les États-Unis. Une nation en marche (un titre français plutôt bien choisi pour une fois) que l’on voyait s’édifier au travers de films tels La Piste des géants (The Big Trail) de Raoul Walsh, La Ruée vers l’Ouest (Cimarron) de Wesley Ruggles, Une aventure de Buffalo Bill (The Plainsman) de Cecil B. DeMille puis ensuite Pacific Express (Union Pacific) toujours du même DeMille, Les Conquérants (Dodge City) de Michael Curtiz et, au début de la décennie suivante, Les Pionniers de la Western Union (Western Union) de Fritz Lang. Télégraphe, chariots, voies ferrées : il ne manquait plus que la diligence pour boucler le tableau. Wells Fargo venait à point pour combler cette lacune ; un film réalisé par Frank Lloyd qui, après avoir dirigé les premiers westerns de Tom Mix, avait connu son heure de gloire en 1935 avec sa version des Révoltés du Bounty, celle restée la plus célèbre avec Clark Gable et Charles Laughton. Paradoxalement, malgré le fait qu’il ait bénéficié de moyens conséquents (la Paramount a déboursé $1,500,000), Wells Fargo aura été complètement oublié par la suite, sa dernière diffusion à la télévision française remontant à 1965 avant qu’il fasse sa réapparition tout dernièrement sur une chaine du câble. Pourquoi cet ostracisme ou cette disparition au contraire de tous les titres cités ci-dessus ?

De 1840 à 1865, à travers le parcours d’un personnage imaginaire, celui interprété par Joel McCrea qui tenait à l’occasion l’un des rôles qui allaient le faire devenir une célèbre star du western, on découvre les audacieux projets et réalisations des sieurs Wells et Fargo qui jetèrent les bases d’un trafic postal régulier et rapide à l’aide d’un réseau de diligences allant au fil des années de Batavia à Buffalo, de Buffalo à St Louis puis enfin de St Louis à San Francisco. Nous voyons donc défiler devant nos yeux en à peine 95 minutes l’histoire d’un quart de siècle de la Wells Fargo, de sa création à son expansion à travers tous les USA, de l’époque de la conquête de l’Ouest à la période de reconstruction qui a suivi la guerre civile. L’odyssée des pistes avait déjà été narrée par Raoul Walsh, celle du rail par John Ford (Le Cheval de fer - The Iron Horse) avant Cecil B. DeMille et enfin celle du télégraphe le serait par Fritz Lang en 1941. Les périples pacifiques de la diligence, ce serait à travers Wells Fargo du nom d’une des compagnies représentatives de l’esprit d’entreprise de cette nation américaine encore toute "verte". Si le film n’a pas eu la renommée de ses illustres prédécesseurs et successeurs, c’est peut-être parce qu’il lui manque le souffle épique. Jean-Louis Rieupeyrout aura beau parler de sobriété dans l’épopée, les deux termes me semblent tellement antagonistes que je parlerais plutôt de fadeur. Dans sa grande histoire du western, ce spécialiste français du genre écrira cependant de très belles pages à son propos, transformant en qualité l'absence de grandiloquence et de lyrisme. Je ne lui donne d’ailleurs pas tout à fait tort puisque le film n'est pas exempt de noblesse et se suit sans aucun ennui, même si l’on est très loin des réussites qu’étaient les films de Walsh, Ruggles ou DeMille déjà cités dans le premier paragraphe.

S’il ne possède pas le souffle ni l’ampleur nécessaire pour nous être passionnant, Wells Fargo se révèle néanmoins être un beau livre d’images (les équipes techniques de la Paramount semblent avoir vraiment eu les coudées franches, le Portsmouth Square de San Francisco reconstitué s’avérant par exemple vraiment superbe, il aurait d’ailleurs été à l’époque le plus grand décor créé par le studio) avec importante figuration, correctement réalisé et très bien interprété. Couvrant 25 ans d’histoire, le film est presque construit comme une suite de sketchs, chacune des périodes commençant par une vignette avec l’année et le lieu indiqués en son centre ; du coup, le film manque de liant et de progression dramatique. Malgré tout, l’histoire d’amour entre le couple interprété par Joel McCrea et Frances Dee (Mrs McCrea à la ville) n’est pas du tout désagréable, l’alchimie qui existe entre les deux comédiens ressortant assez bien. Le passage au mélodrame au 2/3 de l’histoire est plutôt réussi, lui aussi grâce au talent des acteurs. Alors que la Guerre de Sécession éclate, Abraham Lincoln confie une mission à Ramsay, celle de convoyer un chargement d’or pour les troupes nordistes ; la famille de Judith étant du côté des Confédérés, ce fait va être le déclencheur du premier conflit intense au sein du couple, Ramsay croyant que son épouse l’a vendu aux Sudistes.

Respectant avec une scrupuleuse fidélité les étapes principales de la croissance de la compagnie Wells Fargo, le film homonyme s’avère sympathique à défaut de captivant, faisant revivre les jours héroïques au cours desquels les vieilles diligences et les rapides coursiers de la poste allaient être les traceurs de piste d’un bout à l’autre du continent. Une épopée en mineur dont il existe une version un peu plus longue de vingt minutes que celle qui circule actuellement, le film atteignant une durée de 115 minutes à l’époque de sa sortie. Quelques images resteront gravées même si, depuis, elles ont été reprises à maintes et maintes fois : l’homme du Pony Express chevauchant à perdre haleine, ne prenant même pas le temps de s’arrêter au relais suivant, changeant de monture sans quasiment avoir posé le pied par terre ; le changement d’attelage de la diligence, lui aussi minuté ; l’arrivée de la diligence dans un relais brulé par les Indiens ; les hommes du télégraphe installant les poteaux et les fils au milieu de ces immenses paysages ; l’arrivée de la diligence au port de San Francisco, accueillie par une foule innombrable ; l'attaque de la diligence par les indiens...

Une épopée un peu trop sage qui, avec des moyens considérables et des ambitions au moins égales à celles de Wesley Ruggles, Raoul Walsh ou Cecil B.DeMille, a pourtant du mal à faire aussi bien qu’eux. Brassant trop de choses à la fois, l’intrigue, qui rappelle beaucoup celles des romans d'Edna Ferber, n’est pas entièrement satisfaisante au niveau de l’écriture. Le thème de la concurrence entre la route et le fleuve aurait pu être captivant ; dommage que les scénaristes ne s’y soient pas attardés plus longuement. Au final, un film jamais ennuyeux mais jamais enthousiasmant non plus. Généreux sur le papier, un peu terne à l’écran (et puis les transparences mal utilisées lors des séquences d’action n’arrangent rien). Quoi qu'il en soit, la Paramount, avec consécutivement les prestigieux The Plainsman et Wells Fargo, a redonné un nouveau souffle au genre qui commençait sacrément à décliner.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 23 novembre 2019