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Critique de film
Le film
Affiche du film

Une aventure de Buffalo Bill

(The Plainsman)

L'histoire

La Guerre de Sécession vient de se terminer. Le gouvernement ne sait que faire des surplus d’armes achetés pour l’occasion et qui n’ont désormais plus d’utilité. Un homme politique peu scrupuleux, plus avide d’une généreuse rentrée d’argent que de la préservation de la paix, demande à un aventurier (Charles Bickford) d’aller les vendre aux Indiens avec l’excuse que ces nouveaux fusils à répétition leur serviront pour la chasse... Buffalo Bill (James Ellison) a quitté l’armée pour convoler en justes noces avec la douce Louisa (Helen Burgess) avec laquelle il décide de s’installer dans l’Ouest. A la demande de Custer, son ami Wild Bill Hickock (Gary Cooper) va néanmoins le pousser à rempiler le temps de conduire un détachement de soldats devant apporter des munitions à des fortins assiégés...

Analyse et critique

Arrivant de Saint-Louis où elle a quasiment toujours vécu, Louisa Cody (épouse de Buffalo Bill), étonnée d’apprendre que l’on travaille le dimanche à Leavenworth, s’interroge auprès de Wild Bill Hickock qui lui répond : « Il n’y a pas de dimanche à l’ouest de Junction City, pas de loi à l’ouest de Hays City et pas de Dieu à l’ouest de Carson City » ; une phrase qui exprime parfaitement comment le Far West est encore considéré après la fin de la Guerre de Sécession, comme une contrée sauvage et violente. C’est pour cette raison que la priorité de Lincoln est en cette année 1865 de sécuriser ses frontières ; il ne saura jamais si son souhait s’est réalisé puisqu’il est assassiné cette même année, date à laquelle The Plainsman débute. Il s’agit du premier western parlant du réalisateur américain, l’une de ses plus belles réussites !

Le générique annonce la couleur : avec pour cadre un paysage grandiose soutenu par une musique pleine d’allant, il défile sans coupures avec ses noms en relief s’éloignant au fin fond de l’image, probablement vers ces contrées turbulentes [Pour vous donner une image plus précise, George Lucas utilisera le même procédé pour ses génériques des Star Wars] : « Go West, Young Man ! » C’est une véritable épopée qui semble devoir se dérouler devant nos yeux, « L’histoire qui suit condensant plusieurs années, vies et évènements historiques afin de rendre justice au courage des hommes de notre Far West » n’oublie pas de préciser Cecil B. DeMille d’emblée, avant même que son film ne démarre avec la figure solennelle d’Abraham Lincoln. Comme Alexandre Dumas, le cinéaste ne cache pas avoir "violé" l’histoire, ayant décidé, comme le dira James Stewart plus tard dans L’Homme qui tua Liberty Valance, que si la légende est plus belle que la réalité d’imprimer la légende. Comme l’écrivain français, DeMille a enfanté un bâtard qui nous ravit encore aujourd’hui, peut-être d’ailleurs son plus beau rejeton ; comme lui, il mélange avec brio histoire et romance, épique et intimisme, il gère à la perfection les différents changements de ton et enfin trouve l’équilibre parfait entre chaque acte et scène. En effet, The Plainsman, comme la plupart de ses films, est scénarisé un peu comme une pièce de théâtre ; l’intrigue est constituée d’environ une vingtaine d’assez longues séquences dont le tempo ici est parfaitement maîtrisé, aucune ne semblant jamais s’éterniser, le passage de l’une à l’autre s’harmonisant à merveille ; bref l’impression d’ensemble est la vision d’un western à l’écriture d’une belle fluidité. Quant à l’histoire, elle se déroule sur un laps de temps assez court tout en faisant se succéder des évènements historiques qui s’étendent en réalité de 1865 à 1876, dates respectives des assassinats de Lincoln et de Wild Bill Hickock.

La Guerre de Sécession vient de se terminer. Le gouvernement ne sait que faire des surplus d’armes achetés pour l’occasion et qui n’ont désormais plus d’utilité. Un homme politique peu scrupuleux, plus avide d’une généreuse rentrée d’argent que de la préservation de la paix, demande à un aventurier (Charles Bickford) d’aller les vendre aux Indiens avec l’excuse que ces nouveaux fusils à répétition leur serviront pour la chasse... Buffalo Bill (James Ellison) a quitté l’armée pour convoler en justes noces avec la douce Louisa (Helen Burgess) avec laquelle il décide de s’installer dans l’Ouest. A la demande de Custer, son ami Wild Bill Hickock (Gary Cooper) va néanmoins le pousser à rempiler le temps de conduire un détachement de soldats devant apporter des munitions à des fortins assiégés. Pour le motiver et pour que son anxieuse épouse accepte de le laisser reprendre du service, Hickock leur explique qu’il s’agit d’un devoir moral car lui seul connait cette contrée comme sa poche et peut ainsi éviter de tomber entre les mains des Indiens. Ces derniers, souhaitant connaître le passage du convoi, font prisonniers Wild Bill Hickock et Calamity Jane (Jean Arthur). Pour sauver Cody de la torture, Calamity qui en pince pour lui, trahit le secret ; le groupe d’une quarantaine de militaires est pris en embuscade. Après un siège de sept jours, catastrophique pour l’armée, les quelques survivants, dont Wild Bill Hickock qui les a rejoints entre-temps pour leur prêter main forte, sont délivrés par la cavalerie de Custer qui, peu après, succombera à Little Big Horn. Désormais, Cody n’a de cesse de retrouver Latimer, l’homme dont il apprend qu’il a vendu les armes aux tribus indiennes, des armes de pointe qui ont causé la défaite des Tuniques Bleues. Ils se rencontreront face à face dans les rues de Deadwood où ils perdront tous les deux la vie…


A la lecture de ce rapide résumé, on présume que nous allons assister à une œuvre ample et mouvementée ; elle l’est effectivement malgré d’abondants dialogues (jamais pesants et au contraire constamment spirituels), un rythme pas spécialement trépidant et peu de rebondissements. Outre le fait qu’il soit spectaculaire grâce surtout au travail prodigieux d’Arthur Rosson en tant que réalisateur de seconde équipe, The Plainsman ne se contente pas seulement de nous en mettre plein la vue. A côté de ces attaques indiennes impressionnantes à forte figuration, de ces charges de cavalerie pleine de panache, des bondissement dus au « bateau des plaines » (nom que donne Cody à la diligence), de ces bagarres, duels, poursuites et chevauchées diverses, ce film nous gratifie d’une réflexion politique et historique sur les affaires indiennes et le fait de les avoir fait passer des mains des militaires à celles des civils, de beaucoup d’humour et de deux romances aussi convaincantes et sympathiques l’une que l’autre, les scénaristes ayant concocté deux personnages féminins qui enfin ne font plus seulement office de potiches. Il faut dire que Jean Arthur est extraordinaire en Calamity Jane, aussi dynamique que touchante. Et il faut rendre hommage à une actrice qui n’a pas eu le temps de devenir une star (car morte en 1937 à l’âge de 21 ans après seulement quatre films) mais qui avait tous les atouts pour y parvenir au vu de son interprétation de la douce et aimante épouse de Buffalo Bill, la superbe Helen Burgess qui fait étonnamment penser à une autre comédienne au destin tragique, l’évanescente Gail Russell. Cecil DeMille et ses scénaristes ne tarissent pas d’une tendresse bienveillante à leur égard tout autant que dans leur description de Buffalo Bill et Wild Bill Hickock ; l’attachante peinture qui est faite de l’amitié qui les lie apporte une richesse supplémentaire au film. Tous les personnages nous deviennent rapidement proches et familiers grâce à la richesse de leur écriture et la perfection de leur interprétation.


Contrairement aux apparences et à ce que le titre français nous laissait croire, The Plainsman du titre est en fait Wild Bill Hickock qu’interprète Gary Cooper à la perfection avec ce mélange de flegme, d’ironie, de douceur et de prestance qui le caractérise. Il s’agit de sa première collaboration avec Cecil B. DeMille qui en fera l’un des ses acteurs fétiches. La Paramount était d’ailleurs très réticente quant à l’idée de terminer ce western sur une note tragique en faisant mourir sa star maison. Mais DeMille ne lâcha pas le morceau et obtint gain de cause ; comme dans la réalité, Wild Bill Hickock se fera tuer d’une balle dans le dos, non pas par un "bad guy" charismatique mais par un homme médiocre et lâche. Alors que c’était quasiment une constante du film noir, le final est ici aussi inhabituel qu’inattendu ; il n’en est que plus émouvant grâce aussi au personnage de Calamity Jane. Leur histoire d’amour n’est que pure licence romanesque mais n’en est pas moins élégamment décrite ; leurs relations sont vues à la manière d’une comédie américaine, les deux ‘amants’ n’arrêtant pas de s’envoyer des vannes et de se chamailler, Bill se faisant passer pour misogyne, n’avouant son amour à Calamity qu’au moment où il pense passer de vie à trépas. Alors que durant tout le film, il s’essuie les lèvres à chaque fois que sa compagne lui vole un baiser par surprise, une fois mort dans ses bras, elle lui dit après lui en avoir déposé un dernier : « Celui-ci, il ne pourra pas l’effacer » ; c’est d’ailleurs sur cette phrase que le film se clôt. On peut dire qu’après s’être rencontrés dans L’Extravagant M. Deeds de Frank Capra, le duo Cooper/Arthur fait de nouveau des étincelles. Mais le reste du casting n’est pas en reste, loin de là ! L’élégant James Ellison dans la peau du plus célèbre chasseur de bisons (et d’Indiens) a fière allure et s’en tire avec les honneurs même si son rôle est un peu en retrait. Quant à Charles Bickford, que l’on connaît bien mieux avec son visage vieilli et ses cheveux blancs dans les rôles de patriarches de westerns (notamment dans The Unforgiven de John Huston), il nous octroie une prestation sobre mais efficace dans la peau de Latimer, le "salaud" de service qui n’est pas sans une certaine prestance.

DeMille donne une dimension épique et légendaire (tout autant que très humaine) à tous ses personnages historiques même si l’on sait qu’il en était tout autrement dans la réalité, Custer ayant été un fou sanguinaire ou Bill Hickock un médiocre… Mais on lui pardonne volontiers d’autant qu’il le fait sans mépriser leurs ennemis du moment. Hormis le fait de les décrire d’une manière un peu trop folklorique, la plupart étant interprétés par des acteurs blancs dont un tout jeune Anthony Quinn, les Indiens ne sont pas ici pas remis en cause. Ce sont certains membres du gouvernement, des soldats déserteurs et des aventuriers ayant découvert de l’or dans les Black Hills qui sont à l’origine de toutes ces tueries entre blancs et Indiens. Et si les faits sont trahis avec hardiesse mais subtilité, en revanche le réalisateur a tenu à une certaine exactitude concernant les armes, les lieux et les costumes. Au final, il s’agit une enthousiasmante "fresque intimiste" à la mise en scène élégante, aux mouvements de caméra plein d’aisance et à la galerie de personnages attachante ; l’un des premiers très grands westerns de l’histoire du cinéma.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 26 février 2010