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Critique de film
Le film
Affiche du film

Ulysse

(Ulisse)

L'histoire

Conquérant de Troie, Ulysse (Kirk Douglas) essuie la malédiction de Cassandre, qui lui prédit que les dieux contrarieront son retour jusqu'à sa mère patrie, Ithaque. De fait, une série de péripéties et de confrontations périlleuses vont considérablement le retarder. Mais le plus grave se joue à Ithaque, son royaume, où la reine Pénélope (Silvana Mangano), sa femme, l'attend depuis de longue années déjà. Le trône laissé vacant, de nombreux prétendants briguent à la fois la main de Pénélope et la couronne d'Ithaque. Pressée de toutes parts, Pénélope a jusqu'alors réussi à repousser toutes les demandes par un subterfuge qui ne trompe maintenant plus personne : une tapisserie. Lorsqu’elle aura achevé celle-ci, elle sera libérée de son lien à Ulysse et devra accepter l'un des prétendants.

Analyse et critique

Etrangement, alors que L'Iliade comporte foule de versions plus ou moins fidèles sur grand écran, L'Odyssée n'a jamais suscité le même engouement et ce film constitue pratiquement la seule adaptation cinéma connue. On ne s'en plaindra pas puisque c'est tout simplement l'un des plus grands films du genre. Dans la foulée de la création du Cinémascope et de la production de films monumentaux pour entamer la concurrence de la télévision - Quo Vadis de Mervyn LeRoy (1951), La Tunique de Henry Koster (1953) -, les studios américains investissent également à l'étranger. La qualité d’Ulysse tiendra donc grandement de cette association de talents, de moyens et d'influences artistiques venus des deux côté de l'Atlantique. Ainsi au capitaux américains s'ajoute l'apport des deux monstres sacrés que sont les producteurs Carlo Ponti et Dino De Laurentiis ; le grand Ben Hecht contribue au scénario et l'on a une vraie superstar au pic de sa carrière (par sur le déclin ou devant sa notoriété aux films italiens comme cela arrivera plus tard) en la personne de Kirk Douglas qui créera sa société de production Bryna dans la foulée.

Le film mélange les gros moyens américains et un sens de la poésie et de la tragédie tout européen. La reconstitution est exemplaire avec des décors et costumes réellement fastueux, et le film étonne par la qualité de ses effets spéciaux (le Cyclope est réellement impressionnant, loin du bric et broc du péplum italien plus connu des années 60) et de ses séquences d'action époustouflantes. Le scénario respecte parfaitement le poème d'Homère dans sa trame (même si Calypso disparait du récit) mais le ton est cependant bien différent au niveau du traitement du personnage d'Ulysse, marqué par la personnalité de Kirk Douglas. Alors que dans L'Odyssée les tourments d'Ulysse étaient souvent dus à la maladresse et à la bêtise de ses compagnons, le propos est radicalement inversé ici. L’Ulysse de Kirk Douglas est un homme constamment tiraillé entre ses aspirations à l'aventure et le désir de rentrer chez lui retrouver la paix auprès de sa famille. C'est donc son inconscience face au danger, son air de défi face aux Dieux qui entraînent toujours son équipage dans les situations les plus périlleuses, jusqu'à les mener à leur perte lorsqu'il sera ensorcelé par Circé. C'est ce dernier évènement qui apportera la sagesse nécessaire au personnage. Ce changement rend Ulysse bien plus humain et faillible que dans le poème d'Homère où il était idéalisé, sans pour autant altérer son sens de la ruse puisque ses stratagèmes sont parfaitement illustrés ici. Kirk Douglas est absolument parfait pour exprimer toutes ces nuances et le reste du casting est à la hauteur. Silvana Mangano, encore toute jeune (23 ans à l'époque), campe à merveille cette femme mûre désespérée, Anthony Quinn excelle en prétendant comploteur et orgueilleux et Rossanna Podesta (que l'on reverra plus tard dans les excellents Hercule de Pietro Francisi) touchante en jeune amoureuse d'un Ulysse amnésique.

Mario Camerini, touche-à-tout qui aura tâté de tous les genres (dont déjà un péplum avec un Maciste muet), de la satire sociale à la grande épopée romanesque, offre un travail remarquable. Parvenant à mêler le spectaculaire à l'américaine - le passage avec le Cyclope annonce Jason et les Argonautes (1963) -, le fantastique le plus envoûtant (les sirènes, Circé) et un sens de la tragédie bouleversant lorsqu'on assiste aux épreuves de Pénélope. On appréciera la manière dont il revisite le face-à-face avec Circé (double rôle de Silvana Mangano) avec un ambiance morbide et des éclairages expressionnistes qui anticipent les travaux à venir de Mario Bava, tout en confrontant Ulysse à son passé et à ses responsabilité lorsque lui est offerte l'immortalité. La présence physique menaçante de Kirk Douglas est exploitée à bon escient lors d’un finale aussi bref que furieux où Ulysse décime à lui seul tous les prétendants au trône. Une scène féroce à souhait et à la montée dramatique parfaite qui fond avec brio, comme le reste du film, la violente tragédie à l’européenne et l’efficacité à l’américaine. Un des meilleurs péplums italiens de l’époque.

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 7 mai 2020