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Critique de film
Le film

Twist Again à Moscou

L'histoire

Tatiana, une célèbre chanteuse de rock, sa famille et son compagnon Louri sont poursuivis par le KGB. Ils vont chercher refuge auprès d'Igor, directeur d'un grand hôtel moscovite et beau-frère de Louri. D'abord réticent, Igor va ensuite céder à la pression de son épouse et essayer de faire appel à son ami le ministre Alexei, qui lui apprend que son hôtel va être contrôlé. Face au zélé contrôleur Boris Pikov, Igor va très vite voir son enviable situation menacée et se être confronté à une série de catastrophes.

Analyse et critique

Après le succès de Papy fait de la résistance, le trio Christian Clavier, Martin Lamotte et Jean-Marie Poiré se met en quête d’un nouveau sujet. Selon le réalisateur, c’est un séjour à Berlin qui lui donne l’idée de Twist Again à Moscou, en faisant notamment le constat du retard musical pris par le bloc de l’Est. Une idée d’abord reçue très froidement par Christian Clavier et le producteur Claude Berri, qu’il finira par convaincre. Dans un texte déroulant qui ouvre le film, les auteurs romancent cette genèse : « L’idée de faire ce film est venu aux auteurs au cours d’un dîner à l’hôtel Europskaïa, à Leningrad, en novembre 84. En voyant des soviétiques danser le twist avec entrain sur une chanson de Michael Jackson, massacrée par l’orchestre de l’hôtel, nous avons pensé que la vie quotidienne en URSS était beaucoup plus amusante et inattendue que l’image habituellement répandue en Occident. Si, bien entendu, l’intrigue est une pure fiction, les décors et les personnages se rapprochent le plus possible de la réalité. » Cette introduction est une légère torsion de la réalité tout comme le sera le film, récit rocambolesque et caricatural de la vie à l’Est, mais témoin d’une réalité que peu de film avaient jusqu’ici montré.


Ce texte qui, avec une pointe d’ironie, tente d’ancrer le film dans le réel fait écho à la formidable séquence des Dossiers de l’écran dans Papy fait de la résistance qui avait la même fonction. Il est immédiatement suivi d’un générique totalement parodique, qui annonce la dimension comique du film en donnant une tonalité slave aux patronymes des acteurs. Ceci illustre l’ambition de Twist Again à Moscou, celle d’offrir une comédie bien sûr, mais aussi de présenter une certaine réalité du monde. Dans la presse d’alors, le film sera d’ailleurs accusé d’anti-communiste primaire, y compris par Le Figaro. Aujourd’hui, notre connaissance des travers du bloc communiste et des conditions de vie de l’époque donne une crédibilité presque inattaquable au propos du film, qui aura finalement décrit la situation avec une acuité saisissante. Au-delà de la corruption du système, montrée et moquée tout au long du film, c’est aussi sa paranoïa qui est très habilement illustrée, avec certaines séquences qui sortent totalement de l’imagerie comique telles celles du concours de piano ou du conseil de l'hôtel, dans lesquelles tous les personnages semblent nous épier. Une atmosphère oppressante renforcée par la photographie du film signée Pascal Lebègue, particulièrement soignée, qui crée une sensation glaciale en donnant un aspect un peu terne à des endroits somptueux. C’est d’ailleurs l’ensemble du film qui est très soigné, et ambitieux dans sa production. Jean-Marie Poiré estime que le coût du film lors de sa production équivaudrait à 100 millions d’euros aujourd’hui, ce qui se voit à l’écran. Décors spectaculaires, figuration, cascade, Twist Again à Moscou en donne pour son argent eu public, avec une production vraiment prestigieuse rendue possible grâce à un tournage qui eut lieu à l’époque en Yougoslavie, donnant notamment un accès plus facile à la figuration, comme par exemple pour la scène d’ouverture mettant en scène le concert de Tatiana.


L’autre plus-value du film, c’est évidemment son casting remarquable, qui associe la troupe du Splendid à l’ancienne génération incarnée par Philippe Noiret, Bernard Blier, Jacques François... Leur confrontation est savoureuse, et l’émulation entre ces acteurs issus d’époques et d’écoles différentes se ressent à l’écran, pour un résultat hilarant. On retiendra, notamment, la confrontation surréaliste entre Blier et François au bord de la piscine, faucille et marteau gonflables en main. Il est est également impossible, même après plusieurs visions, de résister à Martin Lamotte en contrôleur zélé, savourant son petit pouvoir, au point de trahir son idéal même en en étant parfaitement convaincu. C’est aussi l’occasion de savourer le talent de Christian Clavier, sobre et subtil dans le rôle de Iouri. Si l’omniprésence de l’acteur dans la comédie française de ces vingt dernières années combinée au manque d’audace des films qui lui sont proposés ont écorné aujourd’hui son image, tout comme celle de Louis de Funès était usée à la fin de sa carrière, Twist Again à Moscou est un des nombreux films qui nous rappellent son talent, tant dans l’énergie que dans la composition plus intérieure, comme il le démontrera dans Mes meilleurs copains trois ans plus tard. Nul doute que le temps fera son œuvre, et que ce sera bientôt sa formidable nature comique et son grand talent d’acteur qui viendront à l’esprit à l’évocation de Christian Clavier.


Cette réjouissante interprétation d’ensemble est alimentée par des dialogues efficaces et mise en valeur par un rythme particulièrement soutenu. Twist Again à Moscou est un film qui nous fait beaucoup voyager, avec les trajets successifs Kiev-Moscou, Moscou-Erevan, Erevan-Moscou et Moscou-Leningrad, et ces mouvements successifs donnent une impression de mouvement ininterrompu, qui font que le film semble se dérouler en un clin d’œil. Ces qualités furent reconnues en leur temps par le public puisque avec 1,5 millions d’entrées en France, il eut plus de succès que le Père Noël est une ordure. Mais, compte tenu du coût de production faramineux, il ne fut pas rentable. Sans doute manquait-il quelques clés au public français sur la réalité de la vie à l’Est pour qu’il adhère encore plus au film, qui connut par exemple un vif succès en Allemagne devant un public qui avait certainement une connaissance plus nette du sujet. Maintenant que nous le voyons en connaissance de cause, la parodie prend encore plus de saveur, et Twist Again à Moscou est à l’évidence une grande réussite de la comédie française, drôle, spectaculaire et incisive.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 22 octobre 2020