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Critique de film
Le film
Affiche du film

Trois milliards d'un coup

(Robbery)

L'histoire

Une bande de malfrat organise le vol d’une mallette pleine de diamants. Le méfait est particulièrement sophistiqué à l’aune du faible butin recueilli. Pour le cerveau du braquage, Paul Clifton, ce n’est qu’une étape, qui va servir à financer une opération de bien plus grande envergure, l’attaque du train postal Glasgow-Londres, qui pourrait rapporter plusieurs millions de Livres. Une organisation incroyable se met en œuvre sous la conduite de Clifton. Dans le même temps, l’inspecteur George Langdon est intrigué par le vol des diamants. Petit à petit, il va recueillir des informations sur un braquage de bien plus grande envergure.

Analyse et critique

Le 8 août 1963 à Ledburn, en Angleterre, un groupe de braqueur particulièrement bien organisé attaque le train postal Glasgow-Londres, raflant plus de 2,5 millions de Livres. C’est le casse du siècle, que les Anglais désignent comme le Great Train Robbery, qui va défrayer la chronique et marquer le public pendant plus de 50 ans, une partie du butin n’ayant jamais été retrouvée, et l’organisation du coup étant ayant conservé pendant longtemps de nombreuses parts d’ombre. Un tel évènement ne pouvait que susciter l’intérêt des écrivains et des cinéastes à travers le monde. On en retrouve par exemple des traces dans Le Cerveau, de Gérard Oury, mais le sujet va bien sûr, en premier lieu, attirer l’attention du cinéma anglais. C’est Michael Deeley, futur producteur de L’Or se barre et de Voyage au bout de l’enfer qui va s’intéresser au sujet et acheter les droits d’adaptation du livre écrit sur l’affaire par Peta Fordham, l’épouse de l’un des avocats impliqués dans le procès. S’associant immédiatement à Yates, il propose d’abord le sujet à la Woodfall, compagnie de production emblématique du Free Cinema, qui refuse le sujet. C’est ainsi que le producteur et le cinéaste se rapprochent de Stanley Baker, qui accepte de tenir le premier rôle, et convainc Embassy Pictures de financer le film.

Yates, qui contribue à l’écriture du scénario de Trois milliards d’un coup, en tire un récit quasi documentaire, qui refuse presque totalement de s’attarder sur la psychologie des personnages. Nous n’aurons aucune information sur leur passé, ni même sur leur présent, hormis la séquence au milieu du film entre Clifton et sa femme, qui informe sur la détermination du cerveau de l’affaire. Ce choix contribue évidemment à l’efficacité du récit, qui s’inscrit dans la logique du polar européen de son époque, mêlant réalisme et action. Il contribue aussi à protéger la production, qui visait à ne surtout pas rendre reconnaissable les personnages du film. « Il fallait s’assurer que personne ne puisse être reconnu » disait Stanley Baker, alors que l’affaire était encore chaude. Ainsi, si les scénaristes se sont appuyés sur les détails précis évoqués lors du procès pour décrire les 25 minutes du casse en lui-même, le reste du récit est purement fictionnel, pour éviter tout problème légal. Logiquement, Yates entre immédiatement dans le vif de son récit, avec un premier braquage, qui va culminer dans une longue course poursuite entre malfrats et policiers. Une séquence intense, qui, plutôt que de miser sur la pure sensation de vitesse, trouve sa dimension spectaculaire dans ses différents rebondissements, impressionnants. Une séquence marquante pour l’histoire du cinéma, puisque l’on dit que c’est en visionnant cette séquence que Steve McQueen validera le choix de Yates pour diriger Bullitt ce qui changera la trajectoire de la carrière du réalisateur et nous offrira une nouvelle course poursuite mémorable.

De manière archétypale, on envisage souvent le film de casse comme un genre léger, flirtant souvent avec la comédie, particulièrement au cœur des années soixante, âge d’or du genre. Pourtant, certaines productions sortent de ce cadre, et c’est tout particulièrement le cas de Trois milliards d’un coup. Yates refuse tout glamour, et toute forme d’ironie, y compris dans des dialogues particulièrement secs. L’humeur du film se rapproche ainsi de celle des Gangsters, l’excellent film de Sidney Hayers. Ce qui prédomine, c’est la tension entre des personnages individualistes, sans autre ambition que le matérialisme, et qui seront prêt à mettre en danger le plan pour satisfaire leur vision à court terme. Yates dépeint un milieu sans morale, dans lequel on dénonce, dans lequel on menace pour arriver à ses fins, au point de faire évader un homme contre sa volonté pour participer au coup. Il n’y a pas de rêves de grandeur Trois milliards d’un coup, d’ailleurs, aucun personnage n’évoque jamais ce qu’il fera de sa part. On va effectuer un travail, entre professionnels, contre rémunération, sans sentiment, et sans grandeur. Yates filme le professionnalisme de ces hommes, la préparation ultra-minutieuse du coup, qui se reflète dans sa mise en scène. Et c’est cette grande précision à l’écran qui fait la force du film, en nous offrant plusieurs séquences mémorables. Dès les premières minutes avec la course poursuite déjà évoquée, puis avec la remarquable scène d’évasion, traitée avec une efficacité incroyable et dont un plan anticipe une image emblématique de L’Or se barre, et enfin la grande séquence du casse, qui dure une quinzaine de minutes à l’écran.

Comme tout au long du film, c’est le réalisme du traitement de la scène qui nous frappe, la foule de détails qu’introduit Yates dans sa mise en scène, qui nous offre le spectacle d’une opération à la fois extrêmement maitrisée et menacée par le moindre grain de sable. Un petit retard dans l’exécution, le passage d’un train, tout fait sursauter le spectateur, dans une séquence qui s’impose comme un modèle de suspense cinématographique. La tension se poursuit dans la conclusion du film, alors que tous les petits éléments distillés durant le film conduisent aux multiples interventions des forces de l’ordre, comme autant des vagues inéluctables. Trois milliards d’un coup est un modèle de construction, un édifice formidable qui nous offre une seconde partie de film sensationnelle. Cette réussite dans l’écriture et la mise en scène du film s’appuie aussi sur une photographie remarquable du grand Douglas Slocombe, qui renforce l’atmosphère grise et réaliste de tout le récit, ainsi que sur l’ensemble du casting qui fait exister une très belle galerie de personnage.

De cette longue liste d’acteur, il faut évidemment citer Stanley Baker, qui porte le rôle principal du film et s’inscrit une nouvelle fois dans le processus créatif d’un film anglais majeur. Sa prestance, sa force, et la rage intérieur qu’il véhicule durant tout le film sans jamais exploser sont la clé d’une nouvelle performance inoubliable. Pour ce qui est seulement son troisième film, Peter Yates frappe fort. Il s’ouvre les portes d’Hollywood, et réalise un film de casse majeur à une époque qui en compte beaucoup. Il ne démontre pas seulement un savoir-faire, mais aussi un vrai parti pris de mise en scène. La marque d’un grand cinéaste, que la suite de sa filmographie ne fera que confirmer.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 14 juin 2023