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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Gangsters

(Payroll)

L'histoire

Alors que Johnny Mellors et sa bande ont tout préparé pour voler la paie des employés d’une grosse entreprise, leur plan tombe à l’eau quand le mode de transport change, et que l’entreprise se dote d’un camion blindé ultra moderne. Ne voulant pas abandonner leur projet, la bande relève ce nouveau défi et décide de braquer le camion blindé. L’opération est réussie mais se conclue dans un bain de sang. La police et la famille des victimes vont se mettre sur la trace des gangsters.

Analyse et critique

Le film de casse est une catégorie rarement évoquée lorsqu’il s’agit de lister les genres principaux du cinéma. Pourtant avec ses codes marqués et une structure bien définie, le film de casse répond parfaitement à la définition du « genre » et s’appuie sur l’une des toiles de fond les plus passionnantes qui soient, la soif de l’or qui fait tourner la tête des hommes. Avec un sujet aussi viscéralement attaché à la nature humaine, le genre existe à toutes les périodes de l’histoire du cinéma, se raccrochant parfois à d’autres genres comme le film noir pour donner naissance à des chefs-d’œuvre tels que Quand la ville dort. Nous pouvons toutefois identifier un moment et un lieu culminant du genre, il s’agit de l’Angleterre et des années 1960, qui vont en définir les archétypes avec notamment le mètre étalon absolu du film de casse, Hold-up à Londres de Basil Dearden. En mélangeant réalisme, élégance et sens de l’humour, le cinéma britannique va alors être le terreau de variations multiples autour du genre, qui aboutiront notamment au chef-d’œuvre pop L’Or se barre de Peter Collinson, en passant par la légèreté absolue d’Un hold-up extraordinaire ou la noirceur psychologique profonde du Chat croque les diamants. Les Gangsters se situe à cette extrémité sombre du genre, pour offrir une vision extrêmement dure de la société anglaise de l’époque.


Les Gangsters raconte l’histoire d’un gang préparant et menant l’attaque d’un camion blindé, puis les conséquences de ce braquage. Le film s’ouvre sur l’attaque spectaculaire d’un camion blindé, dont nous comprendrons après quelques images qu’il s’agit d’une démonstration du transporteur auprès de son futur client pour vanter la sécurité de ses méthodes de transport de fonds. Musique enjouée et ton décontracté sont alors au rendez-vous, donnant au spectateur l’impression de se trouver devant un film typique du genre, léger et ludique. La petite musique se dérègle pourtant assez vite puisque cette scène a pour conséquence la remise en cause du plan établi par les gangsters. C’est ainsi dans une ambiance pesante que se déroule la préparation du casse. Menés par l’autoritaire Johnny Mellors, les gangsters sont entraînés contre leur gré dans une opération dont ils pressentent l’issue funeste. Le cinéaste Sidney Hayers traduit cette situation par plusieurs moments de tension, des insultes et des débuts de bagarres laissant imaginer la violence contenue en chacun des personnages sans jamais résoudre la situation à l’écran. Le sentiment de malaise ainsi créé est particulièrement efficace, et annonce déjà la suite des évènements. En effet, toute la seconde moitié du film est consacrée aux conséquences du braquage, une proportion inhabituelle pour le genre, qui réduit généralement ce moment à une courte conclusion, qu’elle soit positive ou négative pour les protagonistes. Avec Les Gangsters, nous assistons au lent délitement de l’équipe, qui abandonne ses morts avant de s’entre-déchirer, comme corrompue par le butin qui aurait dû leur apporter le bonheur matériel. Ainsi, l’indicateur de la bande sombre dans une grave dépression qui le mènera au pire, alors que l’un des gangsters ayant pris une part active à l’action sombre dans l’alcool, conduisant ainsi à la chute de ses camarades. Tous ceux qui ont pris part de près ou de loin au casse sont petit à petit éliminés, dans un jeu de massacre violent et implacable.

Heureusement, Les Gangsters ne se résume pas à un film moralisateur qui se contenterait de raconter la punition subie par les malfaiteurs. Le récit se singularise d’ailleurs par sa première victime qui n’est ni un gangster ni un complice mais Harry Parker, le convoyeur de fonds qui démontrait la perfection de son système lors de la première séquence. Lui est parfaitement honnête, il représente une certaine forme de réussite sociale, que s’attache à décrire Sidney Hayers dans la première partie de son film. Les Gangsters se déroule à Newcastle, ville dont nous nous souvenons, de nos jours, comme du décor inoubliable de La Loi du milieu de Mike Hodges. Hayers filme la grisaille de la ville, ses maisons qui se ressemblent toutes, oppressantes et participant à la tension qui pèse sur tous les protagonistes. Il s’intéresse plus précisément à la vie de deux couples dont les situations se répondent comme si elles étaient le résultat d’un miroir inversé. D’une part le couple Pearson, qui peine à joindre les deux bouts, ce qui va conduire le mari à devenir informateur pour la bande de gangsters, de l’autre le couple Parker, qui nage dans le bonheur au point que l’épouse déclare à son mari qu’elle n’a pas besoin de plus pour être heureux, inquiète de son nouveau contrat qui va le conduire à la mort. Hayers filme de manière parallèle le destin de ces deux foyers, comme deux faces d’une même pièce que serait la société anglaise qui a son lot de laissés-pour-compte, symbolisés par les Pearson, et dont la réussite matérielle de certains, symbolisés par les Parker, est un leurre. Les Gangsters dépasse ainsi par son propos la vision sociale des kitchen sink dramas dominants dans la production artistique anglaise de l’époque en ne réduisant pas son analyse à la situation de la classe ouvrière de l’époque mais en s’attaquant, de manière plutôt habile, à la société dans son ensemble. Une lucidité qui fait froid dans le dos.


Après seulement deux ans de carrière derrière la caméra, Sidney Hayers met déjà en scène avec Les Gangsters son quatrième film. Il a surtout une expérience conséquente du montage, après avoir travaillé sur une vingtaine de films durant les années 50, dont l’excellent Evadé du camp 1. Il met à profit cette science dans sa mise en scène, notamment durant la première partie du film qui décrit le casse en lui-même et sa préparation. Par la sécheresse et l’efficacité de sa réalisation, Les Gangsters rappelle alors Armored Car Robbery de Richard Fleischer - un autre film de monteur -, une référence du genre qui décrivait également le braquage d’un camion blindé. Hayers maintient un rythme soutenu tout au long de son film et une tension qui ne se dément jamais. Nous sommes happés par les évènements et la décente aux enfers des différents personnages. Il faut d’ailleurs saluer la direction d’acteurs de Hayers, qui sait faire révéler à chacun les fêlures de son personnage. La performance le plus mémorable revient bien sûr à Michael Craig, inquiétant à souhait dans le rôle de Johnny Mellors, personnage menaçant et imprévisible, mais il faut saluer à ses côtés la performance de très haute tenue de l’ensemble du casting. Les Gangsters est un film marquant, qui joue habilement des codes du film de casse pour proposer une lecture sans concession de l’état de l’Angleterre au début des années 60 et s’inscrit dans la lignée des meilleurs films criminels de la période.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 4 janvier 2019