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Critique de film
Le film
Affiche du film

The Triple Echo

(The Triple echo)

L'histoire

Barton, caporal pendant la Seconde Guerre mondiale, tombe amoureux d'une veuve, refuse de retourner au front et se déguise sous les traits de sa sœur, « Kathy ». Barton prend plaisir à ses nouveaux atours et se laisse séduire par un sergent.

Analyse et critique

The Triple Echo est le premier film cinéma de Michael Apted après des débuts remarqués à la télévision tant dans la fiction que le documentaire, notamment la série de portraits Up. Le style austère et réaliste développé à la télévision sert particulièrement le trouble que provoque The Triple Echo, adapté d'une nouvelle d’Herbert Ernest Bates. C'est en effet la retenue du film qui parvient à exprimer de manière subtile la confusion du genre et de l'identité sexuelle, qui anticipe là des films comme Tootsie (1982) de Sydney Pollack ou The Crying Game (1992) de Neil Jordan. Le genre peut être associé à la seule notion biologique et des organes sexuels que la nature nous a conférés, mais il peut faire intervenir une dichotomie si l'individu ressent une autre identité que celle à laquelle le renvoie son corps. Le regard des autres peut du coup soit conforter l'individu dans le genre que son corps biologique évoque, soit au contraire le troubler et entraîner un mal-être. C'est dans ce regard extérieur que repose toute la problématique du film. Alice (Glenda Jackson), jeune femme isolée dans sa ferme alors que son mari est prisonnier de guerre au Japon, nous apparaît ainsi délestée de ce regard extérieur. Michael Apted la filme sans une once de glamour, sans souligner sa féminité, mais met plutôt en avant ses aptitudes de survie dans cette isolation, notamment sa dextérité au tir qui lui permet de s'alimenter du nombreux gibier alentour.

Dès que le caporal Barton (Brian Deacon) entre en scène, la donne change. On reste dans une forme de zone grise tant que leur relation reste amicale mais, lorsque Barton doit retourner au front, la nouvelle solitude imminente va susciter le désir chez Alice d'à nouveau ressentir un regard masculin sur elle. Ainsi elle va abandonner pour la première fois sa tenue stricte de fermière pour une robe, une coiffure et globalement une allure féminine destinée à séduire Barton. Ils deviennent logiquement amants dans la foulée mais la menace du retour au front plane toujours. Barton va alors déserter et se travestir en femme pour demeurer auprès d'Alice, passant pour sa sœur - une mue d'ailleurs progressive par laquelle Barton quitte son uniforme pour les habits du mari absent, avant de s'habiller en femme. Michael Apted, par la seule confusion des genres qu'entraîne ce changement de tenue vestimentaire, fait ainsi progressivement basculer leur relation.

Alice retrouve ses vertus "viriles" en rudoyant son amant trop nonchalant à se prêter aux travaux fermiers. Les dialogues machistes sont explicites et viennent bien du personnage féminin pour tancer le masculin "émasculé", tel ce cinglant "Ce n'est pas parce que tu es habillé en femme que tu dois te comporter comme tel." Alors que la première partie du film instaurait une zone grise où la masculinité de Barton ravivait la féminité éteinte d'Alice (notamment lorsqu'il apportait des compétences associées symboliquement à l'homme, comme réparer le moteur de son tracteur), cette zone grise existe désormais pour inverser les rôles. Certains sursauts font retrouver de sa prestance à Barton lorsqu'il abatt le chien malade d'Alice, émue et incapable de le faire. Le langage corporel lors des scènes de couple (amour comme dispute) sème également la confusion dans la notion de dominant/dominé, tandis que Barton semble étonnamment à l'aise et séduisant dans ses robes, avec son visage androgyne et ses cheveux longs.

Tout ce fragile équilibre est brisé avec l'arrivée du Sergent (Oliver Reed), incarnation grossière du mâle alpha priapique. Le fait de ne pas lui attribuer de nom, de le réduire à son grade et à son allure de gorille en rut suffit à exprimer la métaphore masculiniste que représente Sergent. Oliver Reed (capable par ailleurs de superbement incarner la vulnérabilité comme dans Love de Ken Russell déjà face à Glenda Jackson) est excellent dans l'interprétation de cette virilité agressive dans tout ce qu'elle a de menaçant - mais que là encore, il a pu interpréter de façon comique dans Take a Girl Like You (1969). Quand la femme Alice va repousser cet être vulgaire, la femme travestie Barton va se trouver attirée par lui. Michael Apted laisse planer l'ambiguïté sur le fait que sa tenue féminine ait éveillé des désirs inconnus ou avivé des désirs refoulés (la vérité se situant sans doute entre les deux) et fait planer un trouble fascinant lors des tentatives de séduction balourde de Sergent et de la réaction coquette et amusée de Barton, quand Alice ressent une jalousie tout aussi paradoxale. Dans la conclusion où les masques tombent (lors d'une scène de bal où le malaise est à son comble), chacun est brutalement ramené à son identité/genre, même si Apted excelle dans un finale ouvert à l'interprétation. Le radical geste final d'Alice est-il une preuve d'amour féminine, ou une manifestation de froideur masculine (qui renvoie à son refus d'abattre son chien précédemment) ? Beau galop d'essai de Michael Apted, dont la sécheresse formelle sert parfaitement le récit.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 15 janvier 2021