Critique de film
Le film
Affiche du film

The Skin Game

L'histoire

Les membres d'une prestigieuse famille britannique font chanter un industriel pour l'obliger à leur revendre un terrain sur lequel il prévoit d'implanter une nouvelle usine...

Analyse et critique


The Skin Game est une commande imposée à Alfred Hitchcock par la British International Pictures (B.I.P.), soucieuse de surfer sur les immenses succès scéniques du dramaturge et romancier John Galsworthy. Hitchcock ne semblait pas en garder un bon souvenir, ni tenir le film en haute estime, mais l’ensemble n’est cependant pas dénué d’intérêt. John Galsworthy est surtout connu aujourd’hui pour son immense saga littéraire La Dynastie des Forsyte (adaptée de nombreuse fois à la télévision britannique), capturant par le prisme générationnel d’une famille les soubresauts sociétaux de l’Angleterre entre la fin de l’ère victorienne et le début du vingtième siècle. C’est ce type de questionnement qui se joue à plus petite échelle dans The Skin Game. Le conflit entre une famille aristocrate anglaise traditionnelle et celle d’un nouveau riche industriel va poser des enjeux intimes, sociaux et esthétiques très intéressants. Une scène d’ouverture où les enfants des deux familles se croisent pose d’ailleurs cet enjeu de façon modérée par leurs moyens de transports respectifs, à cheval et en voiture. Les visions pastorales de cette ruralité ancestrale, lorsque la fille Hillcrist (Jill Esmond) rentre sous la lumière tamisée d’un chemin entouré d’arbres, s’oppose à celle cauchemardesque qu’imagine le patriarche Hillcrist (C. V. France) lorsque les cheminées des usines de Hornblowers auront envahi le paysage.


La confrontation verbale entre les deux clans amène une nuance appréciable au conflit. Hornblower (Edmund Gwenn reprenant le rôle qu’il tenait déjà dans l’adaptation muette de 1921) possède l’énergie, l’ambition et le regard vers l’avenir de celui qui s’est construit seul à la force du poignet, dans une pure logique capitaliste carnassière et inhumaine. Hillcrist, vieillissant et marchant péniblement car souffrant de la goutte, apparaît comme un symbole d’une Angleterre figée dans ses traditions passées, incapable d’évoluer. Le mépris de classe pour le « parvenu » empêche Hillcrist d’entamer le dialogue et rend son camp en définitive tout aussi responsable et ayant participé à façonner le ressentiment des nouveaux riches. Ce sont certes des thèmes classiques de la fiction anglaise mais Hitchcock parvient ici et là à transcender le matériau théâtral et apporter certaines idées formelles.


Le pont alors en cours entre le cinéma muet et parlant se ressent dans la manière de faire surgir le spectre d’un passé douloureux pour Chloé (Phyllis Konstam), belle-fille de Hornblower, avec le visage d’un homme douteux apparaissant en surimpression de manière insistante. Le sentiment de honte et d’oppression traverse presque physiquement l’écran, aidé par la présence vulnérable de l’actrice. La séquence de vente aux enchères, tout en panoramiques rapides et agressifs, instaure aussi une tension et un jeu de dupes (traduction française du terme skin game) sournois. Plutôt que le bafouement de la tradition ou le rejet de la modernité, c’est tout simplement la volonté des anciens et futurs dominants dans une quête de pouvoir qui va faire imploser leur entourage. L’aristocratie est prête aux pires bassesses pour maintenir son statut, et les nouveaux riches n’accordent pas plus d’intérêt aux petites gens (le couple de vieillard Jackman expulsé) dont ils tiraient encore partie quelques générations plus tôt. Malgré une tragédie au déroulement attendu, Hitchcock manie l’emphase formelle avec suffisamment de talent pour nous impliquer. Le plan d’ensemble où l’on repêche une noyée et suicidée à l’extérieur intègre dans les silhouettes de son arrière-plan une bagarre d’ordre purement pécuniaire, dans une belle ironie du mépris de l’individu pour le profit.


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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 9 mai 2025