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Critique de film
Le film
Affiche du film

Spécial magnum

(Una Magnum Special per Tony Saitta)

L'histoire

Louise, une jeune étudiante, meurt subitement lors d’une soirée, en présence du docteur qu’elle fréquentait en secret. C’est la plus délicate des enquêtes de sa carrière qui s’annonce pour Tony Saitta, flic roué et frère de la victime. Il a l’intuition que ce décès n’est pas accidentel, et soupçonne rapidement le médecin avant de suivre la piste d’un collier qui va lui dévoiler petit à petit des facettes inconnues de la personnalité de sa sœur.

Analyse et critique

La filmographie d’Alberto De Martino, tout au long de l’âge d’or du cinéma italien, se caractérise par des mouvements incessants à travers les genres, souvent avec une certaine réussite. Au cœur des années 70, il tourne ainsi Le conseiller, brillant film de gangster surfant sur le succès du Parrain, un western tardif, On remet ça, pas vrai Providence? et une réalisation dans le sillage de L’Exorciste, L’Antéchrist. Spécial Magnum est l’occasion d’un retour au polar au sens large, mais sous une forme plutôt étrange. En premier lieu, De Martino en profite à nouveau, comme pour Le conseiller, pour assouvir son goût pour les productions internationales et les tournages nord-américains. Un choix qui éloigne naturellement ces productions du poliziottescho traditionnel, caractérisé par son ancrage dans les villes italiennes. Pour Spécial Magnum, le décor sera le Canada, et particulièrement Montréal, la production bénéficiant de la politique Canadienne d’encouragement de la production cinématographique sur son territoire, particulièrement par le biais d’un accord de coproduction signé avec l’Italie en 1970 et dynamisé par la mise en place d’une niche fiscale particulièrement favorable. De Martino y tourne un film hybride, mêlant certains éléments de genre propres au poliziottescho, une atmosphère et une intrigue relevant du giallo ou du thriller, et des décors et des personnages propres au polar américain de l’époque.


Cet encrage nord-américain, et tout particulièrement à la vague initiée par L’Inspecteur Harry est probablement l’aspect qui saute le plus aux yeux. Il s’affirme dès le titre qui fait directement écho à Magnum Force, le deuxième épisode mettant en scène Clint Eastwood dans le rôle du célèbre flic. Il s’incarne surtout dans le personnage de Tony Saitt0a, flic aux méthodes brutales qui va droit au but. Dans Spécial Magnum, pas de mandat d’arrêt, pas de cadre légal explicite à l’action de Saitta, dont l’action est bien plus motivée par la colère personnelle que par un idéal légal. L’interprétation du vétéran hollywoodien Stuart Whitman apporte toutefois une variation au personnage. Saitta est plus fatigué, plus désabusé que Callahan. Plongé dans un drame personnel, il mène ce qui ressemble à son dernier combat pour lui-même, pas pour la société. Le développement de l’intrigue n’en sera que plus dramatique, et se traduira sur le visage toujours plus marqué de l’acteur, qui propose ici une performance plus que convaincante. De Martino convoque également d’autres modèles américains. Le personnage de Julie Foster, une jeune professeure aveugle interprétée par Tisa Farrow, évoque ainsi sans détour le Terreur Aveugle de Richard Fleischer, et le personnage de sa sœur Mia. Spécial Magnum est, par sa forme, un film plus profondément américain qu’italien, De Martino sachant absorber les codes de ce cinéma, et les mettre en œuvre dans son film.


Toutefois, De Martino n’en oublie pas certaines inspirations transalpines. Cela transparait notamment dans l’intrigue. Le tueur non identifié, la menace cachée caractérisé par une particularité physique, l’objet – un collier – comme fil rouge de l’intrigue, tout cela rappelle fortement les ressorts narratifs du giallo. Une certaine atmosphère, qui glisse parfois vers l’étrangeté, avec cette image répétitive de Louise qui annonce la résolution de l’intrigue rappelle également le thriller à l’italienne, dont l’ombre plane sur Spécial Magnum. Et enfin, il y a les scènes de fusillade, de poursuite, de bagarre, qui sont elles typiques du polar italien, avec notamment cette séquence de braquage en ouverture, dont la violence débridée ne ferait pas tâche chez Castellari ou chez Lenzi. Un penchant pour l’action qui culmine avec la mémorable séquence de poursuite, qui dure près de dix minutes, un petit film dans le film qui en justifie presque à lui seul le visionnage. Mise en place par le spécialiste de l’exercice Rémy Julienne, elle apparait à l’occasion d’un prétexte pour devenir un moment d’anthologie, nous laissant durant toute sa durée sans l’occasion de reprendre notre souffle devant tant de rythme et de rage. Elle s’installe parmi les sommets du genre, passage obligé du polar italien de l’époque.


Le résultat de tous ces éléments est une mosaïque évidemment hétéroclite, lié par un scénario parfois lacunaire. Pourtant, De Martino parvient à en tirer un film consistant, en lui donnant du rythme, et en distillant quelques scènes plutôt singulières qui font de Spécial Magnum une œuvre originale dans le paysage policier italien, brillamment mise en valeur par l’excellente bande originale du maître Armando Trovajoli.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 2 mars 2023