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Critique de film
Le film

Shampoo

L'histoire

Beverly Hills, le 4 novembre 1968 : tandis que les États-Unis sont à la veille de porter Richard Nixon à la Présidence, George Roundy (Warren Beatty) n’a guère l’esprit à la politique... Employé d’un salon de coiffure pour femmes, le trentenaire rêve de se mettre à son compte. Mais faute d’un apport personnel suffisant, il n’inspire nulle confiance à son banquier. Echouant à séduire ce dernier, le fringant coiffeur plaît en revanche grandement à la gent féminine. Vivant en couple avec Jill (Goldie Hawn) - comédienne de son état -, George la trompe avec certaines de ses clientes, parmi lesquelles Felicia Karpf (Lee Grant). Il semble par ailleurs toujours amoureux de Jackie Shawn (Julie Christie), son ex-compagne et désormais la maîtresse de Lester Karpf (Jack Warden), le vieil et riche époux de Felicia...

Analyse et critique

Sorti sur les écrans étasuniens en 1975, Shampoo affiche de la plus prometteuse des manières toutes les caractéristiques du Nouvel Hollywood tel que l’a défini Jean-Baptiste Thoret dans son désormais classique Cinéma américain des années 70. (1) La mise en scène en est assurée par Hal Ashby, l’un de ces cinéastes qui « réinventent le cinéma américain » durant la première moitié des années 1970 avec des films tels que Harold et Maude ou La Dernière corvée. Devant la caméra de László Kovács (chef opérateur attitré de Peter Bogdanovich ou de Dennis Hopper), on retrouve un couple d’interprètes emblématiques de la révolution cinématographique alors à l’œuvre : celui formé par Warren Beatty (Bonnie et Clyde, John McCabe) et Julie Christie (John McCabe, Nashville). Coécrit par Robert Towne (La Dernière corvée, Chinatown), le scénario témoigne quant à lui d’« un goût pour la relecture et la déconstruction critiques des genres », autre trait canonique du Nouvel Hollywood.


S’emparant d’un motif cher à l’âge d’or hollywoodien, celui de la comédie du remariage (2), Shampoo en délivre une déclinaison aussi acide que pessimiste. S’ouvrant programmatiquement par une scène de coitus interruptus, le film dépeint durant son premier tiers une Amérique à la fois taraudée par le désir et impuissante à satisfaire celui-ci. Sexuellement coincée, la société initialement scrutée par Shampoo l’est encore socialement : ses protagonistes s’avérent incapables de déjouer les rapports de domination de classe, de sexe et/ou raciaux assujettissant les un.e.s aux autres. Et le premier acte de Shampoo campe de la sorte une galerie de névrosé.e.s souvent tenté.e.s de conjurer leurs frustrations à coups de verres de whisky généreusement remplis...


Le temps d’une party évoquant aussi bien celle de Blake Edwards qu’un happening soixante-huitard et formant l’épisode central de Shampoo, ces aliéné.e.s se verront pourtant offrir la possibilité de secouer, peut-être même de rompre leurs chaînes matérielles et psychiques. Sur fond de Sgt. Pepper's et autres mélodies psychédéliques des Beatles, les protagonistes de Shampoo vont ainsi aller humer le fumet, ou plutôt la fumée de la contre-culture californienne. Le fortuné Lester Karpf troque soudainement son strict costume de businessman contre une tenue d’Adam pour aller se baigner avec d’angéliques hippies. Pendant ce temps, Jackie et George tombent à nouveau dans les bras l’un de l’autre, semblant eux aussi ainsi faire fi d’un certain conformisme genré : en renouant avec son ex-compagnon, Jackie n’apparaît plus si désireuse de devenir une femme entretenue, s’accommodant de sa dépendance à un riche et vieil amant. Quant à George, en avouant ainsi son amour à Jackie, peut-être révèle-t-il une forme de vérité affective dont il n’avait jamais osé témoigner jusque-là, prisonnier qu’il était d’une image virile de lui-même...


Mais à peine ouverte, la parenthèse enchantée se ferme brutalement lors d’un épisode vaudevillesque voyant Jackie et George surpris.e.s en plein ébat - second coitus interruptus de Shampoo... - non seulement par Lester mais aussi par Jill. Débute alors le troisième et dernier acte du film, consacré au lendemain de cette nuit d’ivresse déceptive. Tandis que l’aube se lève sur une Amérique désormais nixonienne - "Tricky Richard" l’a emporté la veille -, les personnages regagnent leurs positions initiales de dominant.e.s et de dominé.e.s. Et c’est par un dépressif "rien de nouveau sous le soleil de Californie" que se clôt Shampoo, semblant participer ainsi de la veine sombre du Nouvel Hollywood ; celle déployant, à l’instar d'Easy Rider ou de Point Limite Zéro, une vision désabusée des lendemains qui déchantent du Summer of Love...


Réunissant certainement tous les ingrédients du Nouvel Hollywood, Shampoo est cependant loin d’en constituer une réussite majeure ou même secondaire. Souffrant d’une réalisation rien moins qu’audacieuse - la grammaire cinématographique s’y réduisant, pour l’essentiel, au champ/contre-champ -, le film pâtit d’un rythme languide. La prestation spectrale de Warren Beatty - présent à chaque plan, ou presque, d’un film qu’il a co-scénarisé et produit... - n’arrange bien évidemment rien. Guettant tout au long du premier acte de Shampoo, puis fugitivement conjuré par la (très) relative nervosité de la séquence de la party, l’ennui triomphe inexorablement lors d’une interminable conclusion. Difficile dès lors d’éprouver le moindre intérêt pour les destins des personnages d’un film dont la redécouverte apparaît rien moins que nécessaire...

(1) Paru aux éditions Cahiers du Cinéma. Toutes les citations apparaissant dans l’article sont extraites de cet ouvrage.
(2) Sans doute dans Shampoo faudrait-il plutôt parler de "re-concubinage" puisque Jackie et George ont vécu ensemble sans être marié.e.s...

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La fiche IMDb du film

Par Pierre Charrel - le 17 juin 2019