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Critique de film
Le film
Affiche du film

Sanglantes confessions

(True Confessions)

L'histoire

Dans le désert, le vieillissant Tom Spellacy rejoint son frère Desmond, prêtre d'une paroisse isolée. Quinze ans plus tôt, le premier, inspecteur de la police de Los Angeles, enquêtait sur le meurtre sordide d’une jeune prostituée. Desmond était, lui, un brillant membre du clergé local, voué aux plus hautes fonctions. L’enquête de Tom va petit à petit mettre en lumière la corruption de la haute société de la ville et de l’Eglise, mettant en péril la carrière de son propre frère.

Analyse et critique

En 1978, les producteurs Irwin Winkler et Robert Chartoff, acteurs majeurs du cinéma américain des années 70, achètent les droits d’adaptation du roman de John Gregory Dunne, True confessions, inspiré par l’affaire du Dahlia Noir. A la fin de l’année, une première version du scénario par l’auteur et son épouse Joan Didion était prête, et Paul Schrader était identifié pour diriger le film. Finalement, c’est Ulu Grosbard qui sera choisi pour s’attaquer à la mise en scène de ce qui n’est que son quatrième film, et son deuxième projet d’importance. Grosbard est en effet, avant toutes choses, un metteur en scène de théâtre, incontournable dans le Broadway des années 60 et qui contribua à lancer la carrière d’acteurs prestigieux dont Dustin Hoffman, Jon Voight ou Robert Duvall. Après plusieurs expériences d’assistant réalisateur, il devient réalisateur et c’est son troisième film, Le Récidiviste, qui lui apporte son plus grand succès critique et qui reste aujourd’hui, et de loin, son œuvre cinématographique la plus réputée. Une réussite qui relève d’un concours de circonstances, et qui est la conséquence directe de son travail au théâtre, puisqu’il arrive sur le tournage alors que Dustin Hoffman, qui devait le mettre en scène, l’appelle au secours après quinze jours improductifs durant lesquels il ne parvenait pas à se sortir de son double rôle de star et de metteur en scène.


S’il n’est donc pas à l’origine du projet, Grosbard n’hésite pas lorsque Winkler lui propose les commandes de Sanglantes confessions, probablement tout autant intéressé à l’idée de mettre en scène un néo Noir autour de la célèbre histoire du Dahlia Noir que par la perspective d’un récit autour de deux frères que tout oppose, écho à sa propre situation et celle de son frère, resté simple tailleur de diamant. Sanglantes confessions s’inscrit dans la tradition du renouveau du Film Noir américain, dont Le Privé (Robert Altman, 1973) et Chinatown (Roman Polanski, 1975) sont probablement les deux incarnations les plus emblématiques. Etonnamment, le film de Grosbard n’aura pas laissé la même empreinte, et se trouve largement oublié des anthologies consacrées au genre, y compris par exemple le plutôt complet L’Héritage du Film noir, de Patrick Brion. Il n’a pourtant rien à envier aux films les plus célébrés du genre, installant une ambiance poisseuse remarquable, qui doit certainement beaucoup au travail de l’incontournable Owen Roizman, chef opérateur majeur de la période. Sanglantes confessions propose une reconstitution convaincante du Los Angeles de l’immédiat après-guerre, entre glamour et glauque, ce qu’incarnent directement les deux personnages principaux, d’une part Tom, le flic confronté quotidiennement au stupre et à la violence, et de l’autre Desmond, le prêtre évoluant dans un univers ouaté. Au fil de son récit, Grosbard s’emploie à brouiller la frontière, levant petit à petit la voile sur la corruption qui ronge le clergé et les figures apparemment les plus respectables de la cité. Une dynamique classique, mais qui fonctionne ici à merveille sans sombrer dans la démonstration manichéenne ni dans un récit exagérément complexe.


Le grand atout de Sanglantes confessions est à l’évidence son casting. Originellement, Grosbard avait imaginé une confrontation entre Robert Duvall et Gene Hackman, deux acteurs avec lesquels il avait travaillé à Broadway. Finalement, le second sera remplacé par Robert De Niro, à peine sorti du tournage de Raging Bull. Ce remplacement nous offre l’opportunité d’une rencontre unique. Si De Niro et Duvall avaient partagé l’affiche du Parrain, 2e partie, ils n’y avaient évidemment aucune scène en commun, voici donc la première et dernière fois que ces deux monstres sacrés apparaissent ensemble à l’écran, comme un symbole de l’âge d’or du Nouvel Hollywood, faisant de Sanglantes confessions une forme de film testamentaire de cette époque, un point final discret de ce moment d’ébullition artistique majeur. Leur rencontre est à la hauteur des attentes qu’elle peut susciter. Au-delà de leur charisme naturel, de leur implication évidente et de la justesse de leur interprétation, ce sont leurs confrontations directes qui font le prix de Sanglantes confessions. Il faut louer, par exemple, l’intensité et la qualité de leurs silences dans la scène du confessionnal et de manière générale ce qu’ils font passer entre eux, et sous les yeux du spectateur, par leur simple visage. C’est flagrant dans les deux scènes d’introduction et de conclusion - le film se construisant comme un grand flash-back - qui nous montre les deux personnages vieillissants, voire mourant dans le cas de Desmond. Ces deux séquences existent au moins autant pour ce qui s’y dit que pour ce qui ne s’y dit pas, étoffant largement la peinture des deux protagonistes principaux, en quelques minutes.


On pourrait d’ailleurs qualifier toutes les séquences - ou presque -– de Sanglantes confessions de remarquable. Le soin apporté à chacun des décors, la discrétion et l’efficacité de la mise en scène font que chacune d’elles marquent et impriment longtemps la rétine et l’esprit. On pense par exemple à la longue séquence du mariage en ouverture, où Grosbard parvient à capter et dépeindre de nombreux personnages en quelques images, dans un décor aussi fastueux que précis. Sans exubérance, le film flirte avec la perfection, tant par la réussite de sa narration policière que par sa peinture d’une époque, et aussi et surtout par l’impeccable direction d’acteurs que nous offre le cinéaste. Il est même tentant, c’est mon cas, de penser que Sanglantes confessions est le meilleur film de son auteur, plus réussi que le pourtant célébré Récidiviste. Il est aussi un des plus exemplaires néo-Noir. Il est enfin l’un des plus brillants films concluant la période bénie du Nouvel Hollywood. Autant de raisons de le voir ou de le revoir, et de lui donner la place qu’il aurait toujours dû avoir dans l’histoire du cinéma américain.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 5 septembre 2022