L'histoire
Van Hekken, un gangster vieillissant, prépare son dernier coup, un casse ambitieux dans une banque de Tokyo pour s’emparer d’un diamant particulièrement protégé. Van Hekken s’entoure de spécialistes dont Carl Mersen, qui veut aussi venger la mort de son ami Riquet, tué par la pègre locale qui convoite aussi le diamant.
Analyse et critique
A la fin des années cinquante et durant les années soixante, le polar français, à l’écrit comme à l’écran, est incarné en partie par Auguste Le Breton, auteur prolifique révélé par la série noire. Au cinéma, c’est Du Rififi chez les hommes qui impose son nom et un mot, le « Rififi » qui va devenir sa signature, intitulant 13 autres romans et plusieurs films, au point d’être une marque déposée par l’auteur. En 1962, le producteur Jacques Bar a une idée pour profiter du filon. Après avoir déjà été lointainement associé au film de Dassin, qu’il avait contacté dans les années 50 pour tourner L’Ennemi public, avec Fernandel. L’idée ne pourra se concrétiser, le cinéaste ne pouvant pas se rendre aux Etats-Unis pour y tourner les scènes New-Yorkaises, et Dassin, avec un autre producteur, tournera Du Rififi chez les hommes. Bar a l’idée de refaire un « Rififi », reprenant l’idée du casse mais en la transposant dans un autre lieu, en l’occurrence Tokyo.
Compte tenu du statut commercial de la dénomination « Rififi », Bar doit absolument impliquer Le Breton qui va en écrire le scénario original, développant l’idée du casse, alors que la transposition japonaise sera plutôt du fait de José Giovanni, qui fait ses armes en tant que scénariste, après avoir débuté sa carrière cinématographique en adaptant Du Rififi chez les femmes. Derrière la caméra, Bar va chercher Jacques Deray, qui n’a tourné qu’un film, Le Gigolo, et qui va ici se frotter pour la première fois au polar, qui au sens large sera le sujet dominant de sa carrière. Comme la plupart des membres de la production, Deray n’est jamais allé au Japon, et il va filmer Tokyo avec ce dépaysement, faisant ressentir une réelle désorientation, que ressent le spectateur, tout en réussissant à éviter les clichés et le folklore. On a le sentiment parfois, devant Rififi à Tokyo, de voir des scènes d’extérieur qui seraient tournées par un cinéaste japonais, et Deray n’hésite pas à filmer des scènes avec uniquement des personnages japonais, parlant japonais, le souci de la traduction n’étant pas éludé avec les personnages européens. Le sentiment de désorientation se prolonge dans le récit lui-même, avec des scènes qui paraissent parfois déconnectées, au point que l’enjeu du film est loin d’être clair durant sa première partie. Deray semble tâtonner, empruntant une forme narrative mise en avant par les cinéastes de la Nouvelle Vague qu’il ne semble pas forcément maîtriser, oubliant de tisser le film conducteur qui aurait servi d’épine dorsal aux diverses scènes. S’il aurait été évident de voir un Godard réussir sous une telle forme, il est évident que Deray n’y est pas totalement à l’aise, et son style évoluera dès les films suivants.
Il est facile de penser que Deray a voulu par ce mode de narration sortir des codes habituels du film de casse. Cela se retrouve dans d’autres éléments du film, qui évite les habituels moments de bravoure de la préparation et de l’exécution du casse. La préparation est d’ailleurs comme éclipsée, laissant place aux crises morales des personnages. Rififi à Tokyo est avant tout un film sur des hommes déracinés, géographiquement et temporellement perdus dans un monde qui n’est pas le leur. Evidemment on y retrouve des éléments classiques, telles la figure du vieux gangster qui tente un dernier coup, le personnage de Van Hekken rappelant forcément le Tony le Stéphanois du Rififi chez les hommes, et une dynamique classique, héritée du Quand la ville dort de Huston, mais la forme, elle, à quelque chose de profondément atypique. Un choix d’autant plus surprenant qu’il s’inscrit dans une production populaire, au casting international inhérent au contexte de coproduction européenne, habituel à l’époque. Outre le toujours convainquant Charles Vanel, impeccable en Van Hekken, on y retrouve avec plaisir un Karlheinz Böhm alors au sommet de sa carrière et particulièrement marquant dans la peau du torturé Mersen, ainsi que la polonaise Barbara Lass, elle aussi remarquable.
Brillant par une esthétique assez fascinante même s’il manque peut-être quelques plans inoubliables, Rififi à Tokyo n’est pas une réussite totale mais laisse déjà entrevoir le talent de Deray, qui peaufinera avec le temps son style et creusera le sillon d’un polar mélancolique et sombre. Pierre Rissient et Bertrand Tavernier, attachés de presse du film, l’avaient déjà compris et concourront au succès critique du film, qui lance la carrière de son réalisateur.