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Critique de film
Le film
Affiche du film

Retour à Howards end

(Howards end)

L'histoire

Dans l’Angleterre de la première décennie du XXème siècle, Retour à Howards End narre les relations tumultueuses entre deux familles de la bourgeoisie londonienne. D’une part les Schlegel - une fratrie composée de Margaret (Emma Thompson), Hélène (Helena Bonham Carter) et Tibby (Adrian Ross Magenty) - parfaits exemples d’une middle class britannique intellectuelle, éprise de modernité sociale et esthétique. D’autre part, la famille Wilcox placée sous l’autorité patriarcale de Henry (Anthony Hopkins), un riche homme d’affaires formant avec Mrs. Wilcox (Vanessa Redgrave) et ses trois enfants une famille aussi traditionnelle que les Schlegel sont anticonformistes. Entre ces deux clans bourgeois viendra s’intercaler Leonard Bast (Samuel West), un jeune homme aux limites de la pauvreté qu’Hélène prendra en affection...

Analyse et critique

Mouvantes figures que celles mises en scène par James Ivory dans Retour à Howards End. La mobilité constitue en effet le trait commun à l’ensemble des personnages de cette troisième adaptation par le cinéaste d’un roman d’E.M. Forster. (1) Cette incessante propension au mouvement des héros du film - et que résume idéalement cette formule d’E.M. Forster apparaissant au chapitre XVIII d’Howards End : « Je ne sais pas où ils se placent » - est d’emblée annoncée par un générique programmatique. Ses toutes premières incrustations (détaillant les différents producteurs du film) au lieu de s’afficher de manière classiquement statique, glissent élégamment de la droite vers la gauche de l’écran, comme agies par une dynamique propre. L’arrière-plan, jusque-là entièrement noir, s’emplit bientôt des vives couleurs d’un tableau prolongeant cette évocation initiale du mouvement : c’est en effet un détail de La Danse (2), une œuvre d’André Derain, qui se dévoile alors aux yeux du spectateur. Les volutes colorées de La Danse disparaissent ensuite pour laisser place au titre même du long métrage. Son inscription à l’écran se fait, elle aussi, de manière fort mobile : puisque c’est par le biais d’une animation que se dessinent les lettres composant Howards End, émergeant avec raffinement du fond de l’écran telles des fleurs stylisées, déployant des courbes aussi dynamiques que celles des danseurs d’André Derain.

Une fois ces informations liminaires dispensées, se profile alors à l’image un premier personnage de Retour à Howards End. Il s’agit de Mrs Wilcox, campée par l’impressionnante Vanessa Redgrave. La mise en scène de cette apparition poursuit le motif de la mobilité. James Ivory prend en effet le parti de s’attacher aux pas de Mrs. Wilcox déambulant dans le jardin édénique d’Howards End, son splendide cottage sis dans un coin non moins idyllique de la campagne anglaise. Le temps d’un court plan-séquence, la caméra filme en gros plan la traîne de la robe de soirée de Mrs. Wilcox serpentant entre les hautes herbes elles-mêmes agitées par une brise vespérale. Cette image - superbement composée - confinerait à l’abstraction si elle ne donnait en réalité à voir l’essence même du mouvement - un corps mobile dans un décor pareillement mouvant - soulignant ainsi encore un peu plus l’importance dans Retour à Howards End du motif du déplacement.


Ce dernier hante en effet littéralement le film, et se manifeste d’abord scénaristiquement. Globalement fort fidèle au roman d’E.M. Forster, le script de Ruth Prawer-Jhabvala fait état des voyages répétés dans lesquels l’écrivain entraînait ses personnages. Les héros de Retour à Howards End ne cessent ainsi de se déplacer à l’intérieur du vaste espace londonien, mais aussi entre la capitale britannique et l’Angleterre rurale ou bien, plus lointainement, entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne, voire entre l’Europe et l’Afrique. En outre, ces pérégrinations multiples sont visuellement soulignées par la présence récurrente à l’écran d’objets emblématiques du déplacement (3) : des fiacres et autres véhicules hippomobiles, des trains emmenés par de rutilantes locomotives à vapeur, de massives voitures des premiers temps de l’âge automobile ou, plus modestement, des bicyclettes. Et lorsque - tel le jeune Leonard Bast, dont Samuel West livre une incarnation touchante - un personnage n’est pas suffisamment argenté pour s’offrir l’un ou l’autre de ces moyens de transport, c’est à pied qu’il arpente les rues londoniennes ou les poussiéreux chemins du Hertfordshire. Se déroulent alors de longues marches que James Ivory prend bien soin de restituer visuellement - nombreux sont les plans montrant Leonard marchant - ou bien encore par une évocation dialoguée, comme lorsque Leonard fait le récit à Margaret et Hélène d’une errance nocturne dans les alentours de Londres.


Montrés par la réalisation de James Ivory comme sans cesse en déplacement (4), chacun des personnages de Retour à Howards End apparaît ainsi comme engagé dans Le plus long des voyages, pour reprendre le titre d’un autre roman d’E.M. Forster. Mais si les odyssées des héros du film se traduisent à l’écran par autant d’évolutions spatiales, ces dernières doivent être en réalité comprises comme les représentations symboliques de quêtes d’ordre psychologique et social. Rejoignant en cela le propos de Chambre avec vue, Retour à Howards End dépeint en effet des protagonistes œuvrant à s’assurer le contrôle de leur existence tout en se ménageant une place favorable dans la société ; ces deux objectifs allant de pair ainsi que le formule E.M. Forster dans le chapitre XV d’Howards End : « Osons admettre qu’une pensée indépendante a pour base, neuf fois sur dix, des moyens indépendants. »

Certains des héros de Retour à Howards End semblent être déjà arrivés au terme de ce cheminement, tel Mr. Wilcox - un riche homme d’affaires - dont Anthony Hopkins incarne avec brio la suffisance sociale. Mais le scénario de Retour à Howards End, aussi riche en rebondissements que le roman d’E.M. Forster, confrontera in fine ce bourgeois rassis à un drame démontrant que l’emprise qu’il croyait exercer sur sa vie est rien moins que sûre. C’est ce même final tragique qui offrira, au contraire, l’occasion aux sœurs Schlegel - Margaret étant aussi remarquablement interprétée par Emma Thompson qu’Hélène par Helena Bonham Carter - de s’assurer enfin la maîtrise de leurs destinées. Et c’est victorieuses que les deux jeunes femmes atteindront le terme d’un processus d’émancipation faisant écho - selon une même tonalité féministe - à celui de Lucy, l’héroïne de Chambre avec vue. Mais d’autres des personnages de Retour à Howards End s’avèreront pour leur part moins chanceux, emportés par l’acmé tragique spectaculairement dépeinte par les ultimes séquences du film. À l’intention des lecteurs de cette chronique n’ayant pas encore vu ce film, on se gardera cependant de dévoiler son dénouement...

Ce dernier achève, en tous cas, de conférer à Retour à Howards End une dimension particulièrement âpre. Et d’ainsi faire de ce film un sombre pendant à Chambre avec vue qui délivrait, quant à lui, une vision heureuse des luttes menées par des héros en quête de liberté ; l’une et l’autre de ces œuvres de James Ivory constituant ainsi une manière de diptyque aussi réfléchi que touchant sur les heurs et malheurs de femmes et d’hommes agis par un même désir d’une vie à soi...

(1) Rappelons que les deux autres films de James Ivory tirés de livres de cet écrivain britannique sont Maurice (1987) et Chambre avec vue (1985). Ce dernier, ainsi que Howards End - la traduction française reprenant le titre original du roman paru au Royaume-Uni en 1910 -, est actuellement disponible dans un volume de la collection Omnibus intitulé Rencontres et destins et réunissant au total cinq œuvres d’E.M. Forster.
(2) Cette utilisation de La Danse est, peut-être, pour James Ivory une manière de dater l’action de Retour à Howards End, par ailleurs jamais clairement identifiée durant le film. C’est en effet en 1910 que des peintures d’André Derain furent présentées pour la première fois à Londres lors d’une rétrospective sur le postimpressionnisme.

(3) « Que de vaisseaux, de rails et de routes ! » écrit E.M. Forster dans le chapitre XIX d’Howards End, décrivant quelques lignes après la « mince traînée de fumée » d’un train ou bien encore une « charrette à poney », détaillant avec le même soin que le fera - cinématographiquement - James Ivory ces divers moyens de transport.
(4) Tout est prétexte au mouvement dans Retour à Howards End, y compris des prises de vue a priori génératrices d’images fixes. On pense notamment à ces plans d’ensemble, destinés à camper un lieu, que James Ivory dynamise en les filmant à l’aide d’un travelling latéral ou aérien.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Pierre Charrel - le 20 novembre 2012