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Critique de film
Le film
Affiche du film

Premier rendez-vous

L'histoire

Micheline vit dans un orphelinat. Cette jeune collégienne, à la recherche d'affection et de réconfort, répond à une petite annonce et se rend à un rendez-vous dans un café. Elle y rencontre un professeur d'âge mûr. Celui-ci, timide et conscient de la déception de Micheline, se dérobe au profit de son neveu, Pierre, un jeune homme qui devient le prince charmant.

Analyse et critique


Battement de cœur (1940) avait marqué à la fois un accomplissement et une conclusion au moment de sa sortie. Le film constitue le dernier sommet de la collaboration entre Danielle Darrieux et Henri Decoin en tant que couple, et fait preuve d’une insouciance et d'une provocation en contradiction avec le contexte hostile des prémices de la Deuxième Guerre mondiale - le film sort en pleine « Drôle de guerre ». Tout a changé au moment du tournage de Premier rendez-vous. Bien qu’encore mariés, Danielle Darrieux et Henri Decoin sont désormais séparés et la France se trouve sous occupation allemande. Sollicité par la Continental - société de production française aux financements allemands -, Henri Decoin y retrouve le producteur Alfred Greven qu’il avait côtoyé lors de certains tournages en Allemagne. Decoin parvient à imposer ses conditions - notamment de ne pas avoir à tourner d’œuvre de propagande - et amène donc avec lui Danielle Darrieux qui constituait un atout commercial essentiel pour une des premières productions Continental. Si les choses se dérouleront relativement bien sur Premier rendez-vous, la suite sera compliquée pour Darrieux. Elle sera contrainte de participer au médiatisé voyage de promotion à Berlin pour faire libérer son amant portoricain Porfirio Rubirosa, emprisonné en Allemagne, puis de tourner deux autres films pour la Continental avec Caprices et La Fausse maîtresse en 1942 - son mariage avec Rubirosa la libèrera de son contrat et elle ne tournera plus jusqu’à la Libération.


Premier rendez-vous renoue avec la veine piquante sous influence américaine de Battement de cœur, une continuité assurée par le scénariste Max Kolpé, non crédité à l’époque car juif, mais auquel Henri Decoin reversera le salaire. La donne semble cependant avoir changé, notamment au niveau de la morale. L’ancrage social contemporain de Battement de cœur s’estompe notamment à travers le personnage de Danielle Darrieux à la candeur bien plus marquée dans ce même registre de la jeune fille. Echappée de maison de correction et intégrant une école de pickpocket dans le film précédent, elle est désormais une orpheline élevée chez les religieuses entretenant une correspondance chaste et romantique avec un illustre inconnu. Les traits peu séduisants et vieillissants de Nicolas Rougemont, l’auteur de ces lettres (Fernand Ledoux), s’opposent à la beauté juvénile de Micheline (Danielle Darrieux) au point que le premier préfère passer pour l’émissaire du vrai idéal romantique, Pierre (Louis Jourdan). Si la dimension morale correspond à un lissage créant un contexte français plus intemporel et idéalisé, le triangle amoureux et ses deux figures masculines antinomiques illustre la différence entre la France vieillissante qui a perdu (Fernand Ledoux) et celle jeune et fringante telle qu’elle se rêve (Louis Jourdan).


La dualité du film correspond donc aux aspirations romantiques contradictoires de l’héroïne. La vulnérabilité et l’innocence de Micheline offrent un parfait pendant à la maladresse de Fernand. L’attitude apeurée puis progressivement confiante de Micheline (dont l’espièglerie jaillit dans une scène où elle se déguise en garçonne) ravive l’instinct protecteur de Nicolas Rougemont et crée une délicieuse promiscuité entre eux. La féminité et sexualité de Micheline ne se ressentent que dans l’interaction avec une masculinité juvénile. On la découvre en nuisette peu avant qu’elle observe la vigueur des élèves du collège de garçons en pleine séance de sport. L’éveil érotique ne peut que s’associer à un physique avenant, et l’attrait romantique également, Micheline ne pouvant voir les jolis mots des lettres de Nicolas que dans le visage séduisant de Pierre. Si notre sympathie va à l’amour mélancolique et fragile de Nicolas, la morale (l’écart d’âge conséquent avec Micheline) et ce contexte de réhabilitation masculine française (les années 40 étant également celle du phénomène Jean Marais) va vers l’accomplissement du couple Micheline/Pierre au détriment de la dynamique du récit. L’effronterie de Danielle Darrieux brisant la goujaterie bourgeoise de Claude Dauphin amenait un progressisme moderne et une romance réellement singulière dans Battement de cœur.


Premier rendez-vous , en proposant à la fois une pleine plongée dans les conventions et une distance vis-à-vis de celles-ci, ne fonctionne pas complètement au niveau des attentes contradictoires qu’il génère pour le spectateur. Louis Jourdan (anticipant ses rôles de séducteur égoïste de sa période hollywoodienne) n’apparaît pas suffisamment sympathique pour que l’issue romantique attendue soit satisfaisante. La célébration de la jeunesse fonctionne finalement mieux dans le revirement de la classe de collégiens chahuteurs (où l’on croise un jeune Daniel Gélin) qui finit par faire preuve d’une belle empathie pour son professeur. La mise en scène alerte de Decoin est cependant bien là, et le spectacle reste plaisant même si le contexte de production plus contraignant n’en fait pas une réussite aussi éclatante que Battement de cœur . Le succès public n'en sera pas moins immense.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 2 septembre 2019