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Critique de film
Le film
Affiche du film

Battement de coeur

L'histoire

Aristide enseigne dans une drôle d'école "l'art de la fauche", élevant de jeunes malheureux au rang de pickpockets professionnels. Yves et Arlette, tous deux à la rue et sans famille, y postulent en même temps. Mais si l'un présente de réelles aptitudes, l'autre éprouve les plus grandes difficultés à dépasser son honnêteté. C'est pourquoi Arlette se tourne vers le mariage blanc et jette son dévolu sur Pierre de Rougemont rencontré à l'ambassade...

Analyse et critique


Danielle Darrieux et Henri Decoin se rencontrent en 1934 à Berlin, lui est venu superviser la version française de L’Or dans la rue de Curtis Bernhardt dans lequel elle joue. Decoin est immédiatement séduit par la présence et l’énergie de Darrieux alors âgée de seize ans, ils tombent amoureux et se marient un an plus tard. Cette union débouchera évidemment sur une collaboration artistique et Decoin la fait tourner dans des comédies comme J'aime toutes les femmes (1935), Le Domino vert (1935) ou Mademoiselle ma mère (1937). Entretemps, Danielle Darrieux devient la plus grande star féminine française d’avant-guerre, notamment grâce au succès mondial de Mayerling (1936) d’Anatole Litvak. Ce rôle lui ouvre les portes d’Hollywood où elle tournera La Coqueluche de Paris (1938) de Henry Koster. Henri Decoin est du voyage et s’occupe en arpentant les plateaux Universal, se nourrissant de l’énergie des lieux, observant le travail des équipes et les innovations techniques en cours. Le résultat de cette expérience se ressentira dans Battement de cœur et Premier rendez-vous (1941), brillantes tentatives de screwball comedy à la françaises.


Le scénario de Jean Villeme et Max Kolpé se nourrit d’un contexte typiquement français, que ce soit dans l’actualité (la délinquance et les maltraitances dans les maisons de correction font l’objet de plusieurs faits divers de l’époque) ou dans un cadre social qui rejoint les préoccupations des films du Réalisme Poétique d’alors - Le Quai des brumes (1938) et Le Jour se lève (1939) de Marcel Carné, La Bête humaine (1938) de Jean Renoir - et les convictions de gauche d’Henri Decoin. Le réalisateur tire pourtant progressivement ce cadre vers une relecture iconoclaste de Cendrillon. La veine sociale est d’ailleurs introduite avec humour lorsque nous découvrons l’école de pickpockets dirigée par le truculent Aristide (Saturnin Fabre). On s’amuse donc des leçons de ce drôle de professeur, mais aussi de ses méthodes pour recruter de nouveaux élèves. S’il parvient en profitant du dénuement à provoquer les bas instincts d’Yves (Julien Carette) en laissant traîner un billet de cinquante francs, c’est moins évident pour Arlette (Danielle Darrieux) qui se contentera de chiper une pomme. Orpheline fuyant les mauvais traitements d’une tante, la jeune fille a fini en maison de redressement qu’elle a également fui. La délinquance semble donc une fatalité pour ces mal nés condamnés à être hors-la-loi pour subsister. Un cercle sans fin fige les pauvres dans cet environnement misérable, mais également les nantis lorsque Arlette n’entrevoit le clinquant d’un bal diplomatique que pour servir la jalousie d’un ambassadeur (André Luguet) qui souhaite démasquer sa femme grâce aux « talents » d’Arlette.


Le lien entre l’égale duperie des bas-fonds et des hautes sphères fonctionne grâce au personnage d’Arlette. Danielle Darrieux est capable de déployer la gouaille et les attitudes d’une fille des rues (le sifflement, l’argot balancé avec le plus grand naturel), d’imposer une présence comique par un phrasé percutant et une gestuelle vive (sur le modèle de son idole Katharine Hepburn) et dans le même temps d’incarner la candeur la plus tendre. La scène où Aristide la montre en exemple aux élèves pour expliquer l’attitude à adopter si l’on se fait prendre est presque une profession de foi pour Decoin, qui lui fait jouer par le mime toutes les expressions possibles en un temps record : peur, surprise, colère... Alors qu'elle est introduite dans la haute société par incident, c’est l’artifice respectable et séduisant d’Arlette qui charme le diplomate Rougemont (Claude Dauphin) et puis l’apparat de la classe sociale qui l’en détourne quand elle sera démasquée. C’est donc le croisement entre la séduction faisant illusion chez les nantis et le caractère frondeur hérité de sa basse extraction qui constitue la nature profonde de notre Cendrillon. Elle n’attendra pas son prince charmant mais ira le chercher en lui faisant ravaler ses préjugés.


Henri Decoin filme ainsi amoureusement Danielle Darrieux, capturant à la fois sa présence lumineuse mais aussi son inlassable énergie. Le regard se fait langoureux dans la merveilleuse séquence où Rougemont rentre prématurément chez lui et trouve Arlette alanguie en maillot de bain, chantant et exhibant ses jambes. Le sex-appeal de la pin-up, la grâce de la jeune fille et l’élégance de la dame - entretemps, le personnage pique-assiette de Roland (Jean Tissier) lui a donné des cours de distinction - s’illustrent alors dans un moment magique. Danielle Darrieux, qu’on associe trop facilement par raccourci aux rôles de grandes bourgeoises, est parfaite et si elle excellera toujours dans les emplois comiques enlevés - Occupe-toi d’Amélie (1949) de Claude Autant-Lara -, la fougue juvénile déployée ici marque une vraie différence avec la maîtrise à venir. Decoin se montre brillant et à contre-courant, fort de son voyage américain enrichissant. Les répliquent fusent sans se complaire dans la recherche du bon mot typique du cinéma français de l’époque, l’humour naît des idées formelles surprenantes et du montage percutant. Le panoramique qui révèle la présence de l’ambassadeur à côté d’Arlette dans la salle de cinéma est un effet cartoonesque digne de Preston Sturges, et le brio à saisir dans le mouvement le vol de la montre lors de la scène de bal ne démériterait pas chez Howard Hawks.


Le film marque la fin d’une époque d’un point de vue collectif en sortant durant la « Drôle de guerre » » (et l’image sociale caustique de la France sera reprochée en ces heures patriotiques) mais également intime puisque ce sera le dernier film en couple de Danielle Darrieux et Henri Decoin. Premier rendez-vous à venir, et doté des mêmes qualités, sera mieux accueilli car venant désormais divertir un peuple français traumatisé par l’Occupation. Ces deux films forment le pendant lumineux de la filmographie de Decoin, beaucoup plus sombre après-guerre - La Vérité sur Bébé Donge (1952) en tête.

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 10 juin 2019