L'histoire
Carlo Bacchi, un puissant industriel, règne avec poigne sur son entreprise et sa famille. Un soir il est renversé par un camion et meurt sur le coup. On lui refuse l’entrée au paradis en lui reprochant notamment le sort fait à Amédéo Santini, qu’il ne connait pas. Le juge céleste lui offre 12 heures pour se racheter et faire le bonheur d’Amédéo, que Carlo va devoir retrouver. Et il va constater qu’il n’est pas si simple de faire le bonheur des autres.
Analyse et critique
Après la seconde guerre mondiale dans laquelle il était activement impliqué, au sein de la 2e division blindée du général Leclerc dans laquelle il était le « plus vieux chef de char de la France Libre », Jean Gabin revient en 1946 au cinéma, sans pouvoir retrouver son statut de star absolue d’avant-guerre. Ses cheveux ont blanchi, il a un peu forci, et ne peut plus interpréter les personnages romantiques qui ont fait son succès avant-guerre. Il entame alors une période plus difficile pendant laquelle il disait lui-même que « le drapeau noir flotte sur la marmite », qui ne se terminera qu’avec Touchez pas au grisbi, qui le repositionnera comme le patron du cinéma français jusqu’à sa disparition en 1976. Une vision sans doute un peu noire, car l’acteur connaitra plusieurs succès publics, comme Martin Roumagnac ou La Marie du port, et critique avec La Nuit est mon royaume par exemple. Il est toutefois évident qu’il peine à trouver son emploi, et des rôles à sa mesure, ce qui ne l’empêchera pas de construire une filmographie souvent intéressante, et de rencontrer quelques rôles singuliers dans sa filmographie.
Pour l’amour du ciel est un projet qui naît dans le cadre des accords gouvernementaux de coproduction cinématographique qui viennent tout juste d’être signés, et qui seront les fondations de nombreux chefs d’œuvres tournés dans les décennies à venir. Il s’agit d’une production à grands moyens, dont le générique rassemble la crème du cinéma italien de l’époque dont le réalisateur Luigi Zampa, le compositeur Nino Rota, le décorateur Gastone Medin et le scénariste Cesare Zavattini, pape du néo-réalisme et collaborateur attitré de Vittorio De Sica. Côté français, trois noms seulement mais pas des moindres, Henri Jeanson pour l’adaptation française et les dialogues et devant la caméra, l’inénarrable Julien Carette et donc Gabin, choisi par Luigi Zampa. Un assemblage qui apparait prestigieux et qui pouvait promettre une réussite artistique majeure, mais qui peut être aussi surprenant par exemple dans l’association de scénaristes italiens plutôt marqués à gauche à Jeanson, anarchiste et pacifiste ce qui lui vaudra l’acrimonie de la presse de gauche pour ses positions d’avant-guerre. Et il faut bien reconnaitre que le résultat se ressent de ces incohérences pour un film un peu décevant par rapport aux attentes qu’il suscite.
Pour l’amour du ciel doit être associé au « néo-réalisme magique », dont le chef d’œuvre est Miracle à Milan, également scénarisé par Zavattini. Mais ici le mélange des genres se fait mal, et ressemble plus à une juxtaposition entre deux scènes fantastiques où le personnage de Bacchi se retrouve au purgatoire et pour le reste, des scènes beaucoup plus classiques. L’écriture, dans son ensemble, est la faiblesse principale du film, le scénario payant certainement son passage de mains en mains, Zavattini n’ayant fourni que le sujet, avant que le développement n’en soit confié à plusieurs scénaristes, dont principalement Suso Cecchi D'Amico, Vitaliano Brancati. Il en résulte quelques longueurs et quelques lourdeurs, et aussi, heureusement, quelques bonnes idées, dont toute la relation entre Bacchi et Santini, le second faisant découvrir au premier à quel point il est compliqué de faire le bien malgré un pouvoir et une richesse presque infinie.
Pour l’amour du ciel ressemble ainsi à un patchwork, sur le fond à cheval entre morale communiste et catholique, sur la forme aussi entre drame et comédie, dont le vrai liant est la performance d’acteur de Gabin, qui assure l’équilibre du film. L’acteur y exprime tout son charisme, toute sa puissance de jeu aussi, et retrouve les aspects de ses grands rôles d’avant-guerre, avec notamment quelques colères mémorables, bien servies par les dialogues de Jeanson. Interprétant pour une des seules fois de sa carrière un personnage confronté à la religion, il trouve aussi dans Pour l’amour du ciel un de ses premiers rôles de patriarche, trouvant ici la voie vers l’une des postures qui fera les succès de sa seconde partie de carrière. Malgré l’échec relatif du film de Luigi Zampa, il marque pour Gabin une forme de renouveau de sa carrière, lui ouvrant la porte vers les rôles qu’il peut desormais tenir avec réussite. Il bénéficie également de son interaction avec l’indispensable Carette, auquel il avait plusieurs fois donné la réplique avant-guerre, et qui lui permet ici de former le duo moteur du film.
Pour l’amour du ciel est un film plutôt plaisant à regarder, mais évidemment limité, par un propos un peu simpliste, et un mélange des genres pas totalement réussi. Il trouve toutefois un certain intérêt par son casting, qui ne se limite d’ailleurs pas aux deux acteurs français en tête d’affiche mais également à une distribution italienne solide, dont se détache la toute jeune Antonella Lualdi, qui lance ici sa carrière. Malgré tout touchant, et parfois drôle, le film de Zampa reste un honnête divertissement, qui offrira un bon moment à tous, et particulièrement aux admirateurs de Jean Gabin.