L'histoire
Pontcarral est un baron, ancien colonel d'Empire, méprisé de tous pendant la Restauration. Lorsque Garlone de Ransac, fière aristocrate, lui propose de l'épouser, il y voit une possible revanche sur la société. C'était sans savoir que Garlone l'utilise aussi pour une vengeance personnelle. Dans une époque marquée par les expérimentations politiques, Garlone et Pontcarral devront trouver ensemble leur équilibre.
Analyse et critique
Pontcarral, colonel d’Empire est une production pensée par Jean Delannoy comme une d’œuvre de « contrebande » destinée à raviver un sentiment patriotique pour ses spectateurs soumis à l’Occupation. Comme nombre d’œuvres de l’époque visant les mêmes objectifs, le film (adapté du roman Pontcarral d'Albéric Cahuet publié en 1937) masque ses intentions en se situant dans un contexte historique éloigné et en intégrant au récit une dimension romanesque posant un autre enjeu central. Ainsi la métaphore de la résistance à l’oppression est représentée ici par Pontcarral (Pierre Blanchar), ancien colonel de Napoléon 1er et farouche opposant à la Restauration. Le film s’ouvre en 1815, alors que tout espoir est perdu avec l’exil de l’empereur à Sainte-Hélène, mais démontre le panache Pontcarral avec un coup d’éclat magistral durant lequel il saccage les célébrations du couronnement de Louis XVIII dans sa ville de Sarlat.
Dix ans passent et malgré la défiance et les pièges tendus par les aristocrates, Pontcarral demeure cet inflexible et passionné bonapartiste. Le scénario oppose la fourberie des aristocrates, notables sournois ou viveurs dépravés, à la droiture des bonapartistes dont l’expérience aux côtés de l’empereur a permis de s’élever socialement. Le parti-pris de Delannoy de jouer avec la réalité contemporaine de l’Occupation allemande simplifie certes la vérité de la période du récit, mais crée le schisme attendu qui saura être interprété par le public français. L’interprétation amène d’ailleurs une subtilité bienvenue à l’ensemble, notamment Pierre Blanchar. Il semble initialement interpréter un symbole davantage qu’un personnage par sa raideur, mais ses airs bravaches et rigolards face à ses ennemis (la tentative d’inculpation qu’il désamorce par la moquerie) et la douceur inattendue qu’il dévoile progressivement l’humanise. Ce sera d’abord la bienveillance bourrue envers la jeune Sibylle de Ransac (Suzy Carrier) durant leur leçon de cheval, puis l’amour éprouvé par la sœur ainé de celle-ci, Garlone (Annie Ducaux). La manière dont cet homme dur cède à la séduction de cette femme pour l’épouser, démontre malgré le devoir la solitude qui a traversé son existence jusque-là, et avec laquelle il accepte de rompre aisément. Amoureuse d’un autre qu’elle souhaite punir par une union avec le plus farouche adversaire de la Restauration, Garlone est un personnage entre duplicité et passion.
Jean Delannoy observe à merveille l’ambiguïté des rapports liant ces « amoureux ». L’abandon calculé dont Garlone fait preuve dans la séduction de Pontcarral fait céder les digues rigoristes de ce dernier dans une superbe scène. Au phrasé mensonger de Garlone répond la gestuelle sincère de Pontcarral qui malgré ses dénégations ne peut en définitive s’empêcher de se fendre d’un baiser pour elle. Plus tard une fois le mariage prononcé, le manoir restauré par Pontcarral qu’il fait visiter à Garlone illustrera à la fois l’amour ardent de Pontcarral et la facticité de cette union. L’esthétique de la scène, notamment la magnifique photo de Christian Matras (jouant entre la pénombre du lieu et la blancheur de la robe de mariée de Garlone), exprime une tonalité de conte de fée tout en masquant une vérité plus pathétique. Une même dualité anime la façon dont la nuit de noce sera avortée. C’est autant par fidélité à son vrai amant que par culpabilité de céder à un époux qu’elle trahit que Garlone se refuse à lui, mais par une manœuvre bienveillante qui démontre peut-être déjà la naissance d’un sentiment. Cette dimension de conte se prolonge d’ailleurs quand Pontcarral renonce à sa nuit de noce en découvrant sa « belle au bois dormant » feignant le sommeil. Le regard intense et le langage corporel soudain étonnamment délicat chez le soldat démontre toute la nuance du propos, et la finesse du jeu de Pierre Blanchar.
Jean Delannoy n’équilibre cependant pas tout à fait aussi bien par la suite les deux axes (la résistance patriotique et la romance) de son récit. Il manque quelques scènes de quotidien conjugal installant progressivement l’amour sincère des mariés, et rendant intense la découverte de la duperie. Ici la rupture nette cède aux retrouvailles finales passionnées, en ayant installé une rivalité guère poussée avec la sœur cadette, et réinstallé au forceps l’arc militaire avec la révolution de 1830 et la guerre d’Algérie. Fort heureusement le talent des acteurs et le brio formel de Delannoy compense ces écueils. Le réalisateur offre une reconstitution somptueuse, par de flamboyants tableaux lors des scènes de studio et d’envoutantes séquences pastorales durant les extérieurs, notamment ce magnifique duel filmé de loin au petit matin.
Le mélange qui ne fonctionnait que par intermittences dans la narration entre romanesque et cadre historique, se déploie pleinement lors de la dernière scène grandiose. Pontcarral ayant retrouvé ses galons arpente la ville à cheval avec ses troupes – le filmage de la scène ayant nécessité la plus grande roublardise pour Delannoy en pleine Occupation - en route pour l’Algérie, passant devant sous les fenêtres où l’observent Sybille et Garlone – Delannoy nous gratifiant d’un gros plan magistral sur les yeux embués de celle-ci. On peut se demander si ce final n’a pas inspiré René Clair pour la conclusion tout aussi forte de Les Grandes manœuvres (1955). Malgré quelques scories, Pontcarral, colonel de l’empire est donc une belle réussite qui remportera un grand succès grâce à ce fameux double sentiment – la résistance et le romantisme – qu’il inspirera auprès du public.
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Combo Blu-Ray/DVD
Sortie le 23 avril 2025
Editions Pathé