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Critique de film
Le film
Affiche du film

Paysans de la mer

(Contadini del mare)

L'histoire

Au petit matin, des pêcheurs siciliens prennent la mer pour capturer le thon. Ramant et chantant, ils gagnent la route que depuis des millénaires le poisson emprunte. Ils jettent leurs filets et attendent sous une chaleur écrasante le passage d’un banc.

Analyse et critique

Comme quasiment toujours chez Vittorio De Seta, le film débute au lever du jour et se clôt avec le crépuscule. En ouvrant et en fermant ses films dans la nuit, De Seta leur donne un aspect mélancolique, montre que ce qu'il a mis en scène n'est qu'une parenthèse, un moment du passé égaré dans le monde moderne. Le cinéaste reprend également la construction en trois temps de son premier film, Le Temps de l’espadon, lui aussi consacré à la pêche : la préparation et l'attente, l'acmé de la pêche et le retour au foyer. Un rythme en trois temps que l’on retrouve aussi dans Îles de feu et Soufrière, mais avec dans ces deux titres un climax central en forme de pause silencieuse. Une construction tertiaire sur un temps resserré : le cinéaste se situe dans la tradition classique, ce qui advient dans ses films ayant pour lui la force des récits mythiques.

On suit donc les pêcheurs siciliens gagner le large et se rendre sur la route qu’empruntent les bancs de thons. Ils installent leurs embarcations en rond et plongent dans le cercle ainsi formé un énorme filet. Ils chantent durant leur labeur, comme le faisaient les pêcheurs d'espadon ou les mineurs des soufrières. Puis c'est l'attente, le silence. Les pêcheurs demeurent immobiles, beaucoup s'endorment, écrasés par le soleil. Puis les premiers thons arrivent. La tension monte jusqu’à ce que l'un des pêcheurs lance un cri : alors tous s'activent de concert, remontent le filet à la surface et sortent un à un les thons de l'eau. Après la pêche, c’est le retour au foyer à la tombée de la nuit, les femmes et les enfants attendant les paysans de la mer sur le rivage.

Si De Seta semble reproduire avec Paysans de la mer un schéma déjà bien établi dans ses précédents films, son approche de la mise en scène et son style évoluent radicalement. Contrairement au Temps de l’espadon, il ne joue pas sur un sur-découpage pour nous faire ressentir la ferveur de la pêche. Son style est posé, il se fait plus discret, moins flamboyant. Le réalisateur filme plus consciencieusement les gestes et les techniques des marins, il s'attache à rendre le plus lisible possible cette activité humaine au spectateur du film.

Après avoir magnifié par son lyrisme la vie des paysans et des pêcheurs siciliens, De Seta se rapproche maintenant plus d’un travail d'ethnologue. Cela étant, sa mise en scène est toujours aussi travaillée, ses images éblouissantes et son travail sur le son toujours aussi précis. Paysans de la mer est simplement moins immédiatement frappant que Le Temps de l’espadon, moins lyrique mais aussi plus humain, plus proche des personnes filmées. De Seta se situe moins dans une approche mythique, iconique de ce monde, de ce mode de vie à la fois rude et dans un lien profond avec la nature. Il ne convoque plus les cieux ou la violence de la nature mais il se place au côté des hommes, s’ancre dans leur quotidien. La force qui se dégage du film tient dans la façon dont ces hommes travaillent en chœur, de manière synchrone, sans avoir même besoin de se parler. Elle vient de la lutte physique entre les énormes poissons et des pêcheurs à peine équipés, de l'impression de fragilité qui se dégage des frêles embarcations qui ont pris la mer. Le lyrisme se dégage ainsi du monde qui est filmé et non plus des effets de montage et de cadrage du cinéaste. La poésie est simple, évidente, naturelle, alors que jusqu’ici De Seta la provoquait par son éblouissante réalisation. En deux ans, le cinéaste a radicalement modifié sa façon d’appréhender le septième art. Une évolution qui se traduit par une épure de sa mise en scène mais aussi par une volonté de ne plus être une force agissante sur les sujets filmés. Il se sent maintenant prêt à recevoir le monde tel qu’il est, à s’appliquer à en saisir l’essence sans être prisonnier d’une grammaire cinématographique héritée du cinéma classique ou formaliste.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Introduction à l'oeuvre de De Seta

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Par Olivier Bitoun - le 4 septembre 2010