Critique de film
Le film
Affiche du film

Par un beau matin d'été

L'histoire

Francis, une petite frappe, vit sur la Côte d’Azur d’arnaques qu’il monte avec sa sœur Monique. Max, un truand que Francis a rencontré en prison, lui propose de monter sur un gros coup : l’enlèvement de la fille d’un richissime Américain. Le plan est particulièrement bien travaillé, mais la nervosité des hommes va entraîner un drame.

Analyse et critique

Pour son quatrième film, Jacques Deray continue dans la veine du film policier qui lui avait réussi avec Rififi à Tokyo et Symphonie pour un massacre. Il se voit offrir l’opportunité d’adapter Un beau matin d’été, de James Hadley Chase, roman qui avait déjà tenté beaucoup de réalisateurs, tous refroidis par la complexité d’adaptation du texte. Ce sera également le cas pour la production de Par un beau matin d’été, qui usera sept scénaristes. Heureusement, le récit à l’écran est parfaitement cohérent, ne laissant transparaitre aucune difficulté d’écriture. C’est également l’occasion pour Deray de tourner avec sa première vraie tête d’affiche, Jean-Paul Belmondo, alors à la fois figure de proue de la Nouvelle Vague et du cinéma populaire, alors qu’il vient de triompher dans L’Homme de Rio. Un acteur voulut par Deray, qui poursuivra longtemps sa collaboration avec lui. Autre nouveauté, c’est également la première collaboration de Deray avec Michel Audiard. Une association a priori contre nature entre le génie du verbe et un cinéaste qui donne sa préférence aux gestes et à l’attente plutôt qu’aux dialogues.

Cet élément sera à la fois le regret de Deray, qui affirmera qu’il ne « sait pas mettre en scène un dialogue d’Audiard », et l’argument des critiques de l’époque contre le film. Pourtant le film fonctionne, même si Deray gardera l’impression que celui-ci lui avait un peu échappé. Par un beau matin d’été trouve un bel équilibre grâce à la science de la mise en scène de Deray, et surtout la rigueur de son montage qui laisse peu de place à la digression. Audiard, quant à lui, fait dans la sobriété, ne s’autorisant que quelques mots bien placés, principalement dans la bouche de Belmondo. Jamais son texte ne vient nous distraire du récit, ou altérer l’ambiance du film. Il est en revanche efficace dans la caractérisation des personnages, donnant par exemple une couleur populaire à Francis, Monique et Max. Au final, ces dialogues sont parfaitement à leur place : au service des personnages et du récit, sans qu’on ne les remarque. Avec ces éléments, Deray construit son film en lui donnant la structure classique du film de casse, ou de « coup » au sens large. D’abord la présentation successive des personnages, avec l’introduction marquante du commanditaire de l’affaire qui prend des allures wellesiennes, par la mise en scène de Deray et par la présence d’Akim Tamiroff, habitué des films du réalisateur américain. Hormis cette première séquence qui installe une atmosphère très noire, les premières minutes sont plutôt légères, avec la présentation des personnages de Francis et Monique et leur petit numéro d’arnaque aux dépens de riches vacanciers de la Côte d’Azur. C’est peut-être dans la mise en scène de ce petit numéro digne d’un vaudeville que Jacques Deray semble le moins à l’aise, moins rigoureux dans ses cadrages et son découpage. En tout cas, c’est là que sa patte se sent le moins même si l’énergie de la paire Belmondo / Daumier est très plaisante dans ces séquences légères de la vie ordinaire d’un petit duo d’escrocs.


Une fois l’équipe constituée, la suite du récit ramène le cinéaste sur son terrain de prédilection. La séquence du kidnapping en lui-même est un modèle de mise en scène, dynamisé par un découpage méticuleux. Nous découvrons un plan original, qui installe une atmosphère particulièrement tendue pour la suite du film. Dans sa troisième partie, l’attente de la rançon, Par un beau matin d’été se transforme en un quasi-huis clos, qui voit toute la profondeur des personnages se révéler. C’est notamment le cas de celui de Francis, avec lequel Belmondo trouve l’un de ses rôles les plus ambigus. Aux images frivoles du début du film se superpose le récit de sa vie, son emprisonnement, sa violence. Et quand il se préoccupe dans un sourire du bien-être du fils de la maison, nous voyons simultanément un homme attachant et un criminel dangereux. C’est aussi le cas des personnages secondaires, et il faut saluer la performance de comédiens moins prestigieux ainsi que la direction d’acteurs de Jacques Deray. Sophie Daumier étonne par exemple dans le rôle de Monique. Georges Géret dans le rôle de Max aussi. Habitué de seconds rôles stéréotypés, il interprète ici un personnage torturé, obsédé par la santé de sa mère au point de mettre en péril la mission, et de déclencher l’effondrement du plan si bien huilé. La détresse qui se lit sur son visage est impressionnante. La manière dont Deray met en scène sa colère également. Lors d’une scène apparemment anodine, il s’en prend par exemple à un tourne-disque jouant de la musique classique, symbole de son sentiment d’infériorité devant les personnages. En une scène simple, Deray dévoile alors tout un pan du caractère de son personnage, loin de se limiter à un gros dur caricatural. Privilège d’une coproduction internationale, Deray bénéficie aussi d’interprètes étrangers, dont le toujours savoureux Adolfo Celi, ainsi que Geraldine Chaplin pour son premier rôle sur grand écran, quelque mois avant de connaitre le succès mondial avec Le Docteur Jivago. Charles Chaplin s’opposa d’ailleurs dans un premier temps à l’engagement de sa fille mais Deray su le convaincre, pour le meilleur puisqu’elle offre elle aussi une performance étonnante, incarnant un personnage tiraillé entre son dégoût pour ses ravisseurs et son attirance pour Francis.

Cette complexité des personnages, la progression du film vers une atmosphère de plus en plus noire jusqu’à son finale, que nous ne révélerons pas ici, sont la marque de la maîtrise de Deray sur son film. Même si les quelques moments plus légers en font un film qui porte un peu moins sa patte que Symphonie pour un massacre, les amateurs du cinéaste y trouveront totalement leur compte. Ceux de séries noires aussi, tant Par un beau matin d’été fait figure de beau modèle du genre, émaillé de morceaux de bravoure, peuplé de personnages torturés et porté par une envoutante bande originale signée Michel Magne, peut-être l'une de ses meilleures, largement influencée par les travaux d’Ennio Morricone. Dépassant le million d’entrées en salle, le film sera d’ailleurs un beau succès public, le meilleur de Deray à ce moment de sa carrière. Et malgré un accueil critique mitigé à sa sortie, il s’avère avec le recul du temps une excellente réussite.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 17 novembre 2020