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Critique de film
Le film
Affiche du film

Mister Scarface

(I padroni della città)

L'histoire

Manzani « le balafré », doit son surnom à la cicatrice qui lui barre le visage et qu’il tient du jour où il a tué un homme devant les yeux de son fils. Devenu le parrain incontesté de la ville, il humilie Ric, un homme de son clan qui a perdu la face dans le tripot clandestin de Luigi, un petit boss local. Tony, un homme de main de Luigi, sauve Ric et les deux jeunes hommes vont s’allier pour escroquer le balafré. Une guerre des gangs se déclenche, entre le parrain installé et Ric et Tony qui n’ont rien à perdre.

Analyse et critique

1976 est une nouvelle année dense pour Fernando Di Leo qui tourne deux films, d’abord Gli amici di Nick Hezard sorti en avril, puis Mister Scarface, qui arrive sur les écrans en décembre. Ce rythme frénétique, ajouté à plusieurs scénarios écrits pour d’autres cinéastes, ne dégrade pas la qualité du travail de Di Léo, mais l’amène à explorer, toujours dans le registre du polar, des formes plutôt variées. Ainsi, si 1975 l’avait vu tourner avec Colère noire un poliziottesco typique, très ancré dans la réalité contemporaine de l’Italie, Di Leo revient avec Mister Scarface à un film de gangster très stylisé, plus détaché des contingences politiques, at plus orienté vers le pur divertissement du spectateur. Co-écrit par Peter Berling, d’abord connu comme acteur, notamment chez Werner Herzog – il fait d’ailleurs une apparition dans le film – le scénario apparait comme un récit classique de mafia : un parrain tyrannique, une vengeance à assouvir et deux jeunes loups prêts à affronter le maître de la ville. Un canevas solide, mais suffisamment traditionnel pour laisser place aux inspirations formelles de Di Leo, et à son goût, que nous partageons, pour les belles séquences d’action.


Di Leo est notamment le spécialiste de belles scènes d’ouvertures, marquantes. C’était par exemple le cas pour Milan Calibre 9 et nous retrouvons également ce soin ici, pour une séquence très travaillée. Cette introduction, extrêmement stylisée, met en scène le personnage de Manzani s’introduisant au domicile d’un homme, pour l’abattre après un bref échange et non sans que ce dernier ait pu lui provoquer une indélébile cicatrice sur le visage, le tout sous les yeux du fils de la victime. Avec ses ralentis, ses cadrages et raccords intrigants, qui donnent l’impression que Manzani se trouve sur une scène, on sait en voyant cette séquence que la forme du film comptera, et qu’elle sera même dominante durant le film, malgré la dimension dramatique de ce qui vient d’être filmé. Effectivement, si Di Leo maintient cette scène initiale comme la source d’un fil rouge narrative qui sera repris en fin de film, tout le film sera dominé par son goût pour les scènes d’action et l’envie de créer des images iconiques, comme l’entrée spectaculaire de Manzani et ses hommes dans le tripot de son trop faible concurrent Luigi, où l’on ne voit d’abord que des jambes passant au-dessus de corps. Di Leo avait visiblement des images en têtes à nous proposer, tout au long de Mister Scarface, pour nous conduire à un long et explosif final, un quart d’heure de cascades, de poursuites, de fusillades et d’explosions dans un décor particulièrement bien exploité. Il est évident que Di Leo avait conçu son film pour ce point d’orgue, bien plus que pour résoudre l’intrigue initiale, qui est d’ailleurs expédiée au début de la séquence.


Mister Scarface penche ainsi largement du côté du divertissement, autant que Colère noire avait été un opus sérieux, presque austère. Di Leo n’hésite pas à user de ressorts comiques, notamment avec le personnage de Napoli, un ancien qui était d’abord le conseiller de Luigi, avant de devenir l’acolyte des jeunes Ric et Tony. Jusqu’à la dernière séquence, malgré son rythme effréné, Di Leo utilise la maladresse et l’allure du personnage pour faire sourire, et confirmer la légèreté de ton du film. Et paradoxalement, Napoli est aussi le personnage qui porte le regard documentaire du film sur le crime organisé. Car évidemment, Mister Scarface n’est pas totalement hors sol. Avec ses personnages, loin des hautes sphères politiques et économiques, le film s’intéresse au milieu de la rue, du terrain. In décortique le fonctionnement de base du milieu, celui de prêts miteux et de petites mises aux jeux. Tout cela est incarné par le local de Luigi, dans lequel personne n’aurait envie d’aller jouer une partie de billard, qui voit la peinture d’un monde de petits délinquants, souvent bagarreurs et, hormis Tony et Napoli, rarement malin. C’est cette population qui dans un décor crasseux fait fonctionner la première couche d’un système criminel pyramidale, dont le sommet a été souvent décrit dans le polar et le cinéma politique italien. La forme du film appuie alors ce qui semble en être le principal constat : ce système est d’une violence absolue, tous ceux qui gênent sont tués, et le petit « boss », Luigi, reste une entité négligeable devant celui qui a un peu plus de pouvoir, Manzani. Mister Scarface est loin d’être un film dossier mais on y trouve ainsi, derrière le paravent d’un film léger, quelques regards très lucides sur la criminalité italienne des années 70. Cette couche de réalité, plus ou moins mise en avant, est la grande richesse du genre. Le poliziottesco, y compris pour certains films anecdotiques, est le témoin remarquable d’une époque. Di Leo y réussit à merveille, et son esthétique, unique parmi les cinéastes qui s’y sont essayé, en fait le grand protagoniste du genre.


Autre grand classique du genre, la star anglo-saxonne qui vient donner de l’allure à l’affiche du film. Ici, c’est Jack Palance qui se glisse dans le rôle de Manzani, vraisemblablement pour arrondir ses fins de mois alors que sa carrière américaine n’est plus à son sommet. S’il ne s’agit pas du plus grand comédien du monde, Di Leo sait en tirer profit. Il a besoin d’un visage et d’une silhouette pour incarner le mal et porter une cicatrice, il a ce qu’il faut avec Palance, et Di Leo sait le mettre en scène, profiter de sa présence. Pour la qualité du jeu, on retiendra à nouveau l’indispensable Vittorio Capiroli, particulièrement convaincant dans le rôle de Napoli et un casting d’ensemble bien utilisé, comme souvent chez Di Leo. Accompagné d’une nouvelle belle bande originale signée Luis Bacalov, Mister Scarface a tous les atouts d’un solide divertissement, qui se distingue du lot par quelques scènes très inspirées, reflets du talent de son metteur en scène.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 21 décembre 2023