Critique de film
Le film
Affiche du film

Meurtre

(Murder!)

L'histoire

John Menier, acteur dramatique de renom, participe en tant que juré à la condamnation pour meurtre d'une jeune actrice (Norah Baring) dont il finit cependant par douter de la culpabilité. Il entreprend alors de conduire sa propre enquête...

Analyse et critique

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Meurtre est la troisième incursion dans le parlant d’Alfred Hitchcock, et s’inscrit dans la seconde phase de sa carrière britannique. Après des débuts au sein du studio Gainsborough dont le cadre modeste favorise sa créativité, Hitchcock intègre la compagnie British International Pictures (B.I.P.), studio britannique bien plus prestigieux et au sein duquel il est cette fois un talent certes prometteur, mais un de plus parmi d’autres. Il y signe d’authentiques réussites comme Le Masque de cuir (1927) et Chantage (1929), et d’autres œuvres où il semble encore se chercher. Meurtre constitue un intéressant entre-deux, poursuivant dans le registre du suspense où il semble trouver ses marques. Adapté du roman Enter Sir John de Clemence Dane, le film dessine grandement l’approche du thriller à venir pour le réalisateur.


Le récit endosse la figure du faux-coupable grandement revisitée par la suite, et détourne celle du whodunit. L’heure n’est pas encore au road-movie échevelé pour l’accusée Diana Baring (Norah Baring), résignée à son sort et dont la culpabilité est établie le temps d’un procès expéditif. La scène d’ouverture pose en effet une réalité qui semble implacable, avec Diana prostrée face au corps inerte de la victime et l’arme du crime à ses pieds. L’équilibre entre humour britannique et gravité se dessine d’ailleurs dans le microcosme social que constitue le jury par lequel l’ignorance ordinaire, l’effet de groupe et le déterminisme social scelle le destin de Diana condamnée à mort pour un crime dont elle n’a aucun souvenir. Cette dynamique est illustrée par Hitchcock par un effet de répétition, une sorte de musicalité dans les interactions communes par les cadrages et le montage qui achèvent de convaincre le groupe de voter au plus vite « coupable ». Seul John Menier (Herbert Marshall) grand acteur et assigné au sein du jury, a daigné émettre un doute mais a aussi finalement cédé à l’avis commun avant de le regretter.


Une des phrases-clé déterminant son avis moins tranché est l’habitude qu’il a d’inviter la vie pour nourrir son art d’acteur, et le sentiment que cette affaire nécessite la démarche inverse : se servir de son art pour mieux comprendre l’incertitude de la vie. Avant cette tirade, Hitchcock aura illustré cette idée par l’image durant l’enquête policière initiale. Durant une scène où la police interroge les acteurs de la troupe avant leur entrée sur scène, le passage du naturel à leur rôle dessine déjà de manière triviale une certaine dualité, tandis que les vues de la scène depuis les coulisses découpent cette espace en deux pour nourrir une ambiguïté implicite. La résolution obéit d’ailleurs à ce motif avec un meurtrier agissant pour masquer sa mixité/dualité ethnique tout en affichant une ambivalence sexuelle dans sa caractérisation.


L’enquête n’est pas particulièrement palpitante, mais servie brillamment par ce fond passionnant et un Hitchcock débordant d’inventions formelles. Il sait jouer des nouveaux apports du parlant lors de la scène de quasi-épiphanie durant laquelle face à son miroir, la volonté de sauver Diane s’éveille chez John Menier sur fond de Tristan et Yseult de Wagner. Il prolonge aussi la force évocatrice et plus explicite du muet, de manière furtive lorsque le sol de la demeure de Manier s’enfonce sous le pas des acteurs pour faire ressentir le confort du luxe, ou la scène de trapèze finale avec toutes les émotions contradictoires traversant l’esprit du coupable en fondus enchaînés. Sans être un opus majeur, Meurtre est donc une œuvre intéressante qui appose une pierre de plus au grand édifice hitchcockien.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 2 mai 2025