Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Mademoiselle Ogin

(Ogin-sama)

L'histoire

À la fin du 16ème siècle, alors que le Christianisme est proscrit au Japon, Mademoiselle Gin (Ineko Arima), la fille d'un maître de la cérémonie du thé, tombe amoureuse du samouraï Ukon (Tatsuya Nakadai) qui est chrétien. Le guerrier refuse ses avances, préférant se consacrer à sa foi ; Gin est alors forcée de prendre pour époux un riche commerçant qu’elle n’aime pas et à qui elle refuse sa couche. Pour se venger, ce dernier propose sa femme comme concubine au général Hideyoshi qui avait autrefois remarqué la beauté de la jeune fille et qui règne avec une main de fer sur le pays. Quelques années plus tard, Ukon revient et avoue son amour à Ogin qui ne souhaite plus qu’une chose, divorcer pour reprendre sa liberté…

Analyse et critique


Et c’est avec ce film historique en costumes traditionnels (genre nommé au Japon le jidaï-geki) se déroulant au 16ème siècle, à l’instar des plus célèbres œuvres de Mizoguchi, que s’achève la carrière de Kinuyo Tanaka derrière la caméra. Sur le plan stylistique et notamment rythmique, il est très différent de l’autre film historique de Tanaka, La Princesse errante, pour lequel la réalisatrice avait voulu imposer un tempo analogue à ses films précédents basé sur une succession assez rapide de séquences toutes assez brèves ; sauf que si ça collait parfaitement bien à ses films plus intimistes, ça ne s’harmonisait pas vraiment à sa fresque, le film ne parvenant jamais par ce choix à trouver l’ampleur voulu par un tel sujet. Il n’en est pas de même pour Mademoisse Ogin qui pour la première fois adopte une cadence presque contemplative, Tanaka parvenant à trouver la juste durée pour chacune de ses scènes, jamais trop courtes ni jamais trop longues, le spectateur parvenant à rester captivé tout du long par la sorte de fascination qu’exerce la gestion formelle du film. KiunyoTanaka dira avoir lu le roman de Toko Kon plus de 30 fois tant elle était obsédée par l’idée de le porter à l’écran : "J’aimerais apporter mon expérience de quinze ans de jidai-geki avec Kenji Mizoguch ; si le maitre était encore vivant, j’aurais certainement fait ce film en tant qu’actrice". Et au final la cinéaste n’aura pas trop à rougir de la comparaison tant son film s’avère être une nouvelle réussite, son regard féminin faisant que son héroïne ne sera jamais assujettie avec servilité comme chez Mizoguchi mais maintiendra constamment la tête haute.


L’histoire que raconte le film prend pour principaux protagonistes des personnages ayant réellement existé et sa trame principale tourne autour d’un amour contrarié entre une jeune femme – fille du maitre de thé - qui veut être libre de ses choix et un samouraï marié qui préfère sa religion à l’amour. La période en toile de fond est celle des persécutions envers les Japonais de l’époque convertis au christianisme. La religion du samouraï étant justement celle-ci, le Japon l’ayant banni et ayant décidé que ses adeptes seraient persécutés et exécutés, on imagine tous les ressorts dramatiques que pouvait receler un tel récit. A travers cette fresque historique, Tanaka a pu une dernière fois nous offrir un superbe portrait de femme, celui d’une jeune fille forte et moderne qui décide de vivre selon "ce que lui dicte son cœur", se moquant des convenances et des traditions, voulant surtout s’affranchir de l’assujettissement des hommes et pouvoir choisir elle-même son compagnon. Pour sauver celui sur lequel elle a jeté son dévolu, elle acceptera de se marier à un riche commerçant mais elle refusera toujours d’accomplir son devoir conjugal. Ce dernier se vengera en offrant son épouse comme concubine au farouche et omnipotent seigneur gouvernant le pays. Ce n’est pas pour autant qu’elle cèdera aux avances de ce dernier, digne et droite jusqu’à la fin.


Mademoiselle Ogin c'est une lenteur contemplative sans tomber dans l’excès, une sobriété et une fluidité narrative, la somptuosité de sa direction artistique que ce soit dans la photographie, le choix des paysages, les décors et les costumes, la douceur d’une mise en scène subtile, ample et lyrique sans exagération grandiloquente et enfin une direction d’acteurs absolument impeccable. Pour ce genre de films habituellement dévolus aux cinéastes les plus chevronnés, c’est une sorte d’accomplissement et de reconnaissance pour la réalisatrice qui a su parfaitement gérer son matériau d’origine ainsi que le budget conséquent qu’elle a eu à disposition. Sa maitrise de la composition et des cadrages fait que de nombreux plans font penser à des tableaux. Si Tanaka a pu se lancer dans ce défi un peu fou c’est grâce au fait que le film ait été produit par une société de production indépendante, le Ninjin Club, fondée par les actrices Keiko Kishi, Yoshiko Kuga et Ineko Arima, qui visait à garantir la liberté de travail des acteurs face aux contraintes des grands studios. Et du coup un casting prestigieux dominé par la merveilleuse interprétation de Ineko Arima vient entériner la réussite de cette attachante tragédie romantique en costumes.

Lire le dossier 6 films de Kinuyo Tanaka

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 7 novembre 2022